Marc Michel est un spécialiste de l’Afrique auteur notamment du manuel « Décolonisation et émergence du Tiers-Monde », mais aussi de «les Africains et la Grande Guerre » notamment. Il propose ici un ouvrage sur Fachoda dans la collection déjà présentée et intitulée « l’histoire comme un roman ». Le but est de proposer des ouvrages d’historiens qui retraçent dans un style romanesque des événements ou des destins exceptionnels.
Plusieurs rubriques existent en plus du récit, à savoir tout d’abord une présentation des principaux acteurs que l’on va rencontrer tout au long du livre. Une quinzaine sont ainsi évoqués en quelques lignes. A la fin, il existe un «que sont-ils devenus » comme une sorte de prolongement. Signalons enfin plusieurs cartes pour aider à visualiser et à comprendre. Deux cahiers additionnels regroupant des documents d’époque comme des extraits de carnets d’Alfred Baratier complètent la partie des annexes.

Fachoda : un épisode oublié ?

Marc Michel déplore en amorce de son ouvrage que cette affaire ne soit plus très connue ou très développée notamment dans les manuels scolaires. Pour l’anecdote, le manuel que j’utilise évoque quand même l’épisode de Fachoda, même si ce n’est que sur une ligne ! Si tel est le cas, rappelons alors brièvement les faits. En 1898 une mission française conduite par Marchand parvient à Fachoda et, peu après, les troupes de lord Kitchener parviennent au même endroit. Cette rencontre a une certaine logique si l’on pense à la progression nord-sud des Anglais et à celle ouest-est des Français. Après quelques hésitations, les Français reculent. Ce n’est pourtant pas n’importe quel incident pour l’auteur car il dit qu’il s’agit là de l’ « épisode final de la compétition européenne pour le partage de l’Afrique , …l’ épilogue de la question Égypte. »

Une expédition extraordinaire

Elle est impressionnante en terme de chiffres : elle mit deux ans pour traverser l’Afrique sur plus de 6000 kilomètres. Tant d’énergie déployée s’explique par la force que représentent des mots ou des lieux comme les sources du Nil. Marc Michel réhabilite l’action de personnages aujourd’hui oubliés comme Victor Liotard. Installé à Bangui, il réussit en quelques années à passer des accords avec les pouvoirs locaux, créant une sorte de tête de pont. L’auteur retrace ainsi les prémices de la mission Marchand car elle n’apparaît pas sur rien. Il raconte aussi toutes les intrigues pour obtenir des appuis. Sur ce point précis, on pourra, selon ses centres d’intérêt, objecter que peu de choses nous sont épargnées. Ce n’est pas la partie la plus passionnante du livre pour le moins. Il retrace aussi brièvement les trajectoires de ceux qui composent la mission Marchand. L’auteur retrace ensuite des épisodes plus connus comme le démontage et le transport du Faidherbe.

Une affaire internationale

Cette affaire ne peut être comprise qu’en réinsérant tous les acteurs et notamment les politiques français et par exemple les ministres des colonies. Théophile Delcassé jeune ministre transforme un sous-secrétariat en véritable ministère et il veut augmenter la puissance de la France. Il ne faut pas négliger le poids du parti colonial dans la société française. Dans cette affaire, la France cherche à rompre son isolement diplomatique pour essayer d’avance ses pions. Fachoda reste encore aujourd’hui comme un « symptôme » souvent réutilisé comme une formule dans les questions internationales. L’exemple le plus récent concerne un article qui évoquait la rivalité entre monde anglophone et francophone.

Une affaire gigogne

L’affaire se déroule dans un contexte qu’il ne faut pas oublier pour comprendre notamment combien le « recul » du gouvernement français est mal vu. C’est le moment de l’Affaire Dreyfus. Il y a la « vraie » France qui soutient Marchand et l’autre qui l’abandonne à son sort et accepte ce qui est présenté comme une humiliation. De façon plus originale, Marc Michel revient ensuite sur le retour de la mission Marchand en France et évoque les tentatives de récupération dont elle a été l’objet. Assez vite cependant elles ont avorté. On passe ensuite à un point plus connu dans les conséquences immédiates : c’est le moment où on voit surgir tout un tas de publications qui vantent les mérites du commandant Marchand.


Des conséquences paradoxales

Marc Michel précise que cette affaire peut être vue comme le début de l’installation des sociétés concessionnaires. C’est aussi ce qui explique qu’ensuite la France récupérera le Maroc. Marc Michel dit clairement que « l’entente cordiale est la fille de Fachoda ». « C’est donc en partant d’un troc colonial qu’une des plus longues alliances de la France s’est concrétisée ». De plus les hommes politiques français qui ont mis finalement mis en place cette alliance étaient peut-être ceux dont la trajectoire menait le moins facilement à un accord avec l’Angleterre.

Au total, le livre entend souligner un paradoxe et revient sur un oubli alors que l’affaire fut importante. Certes, on peut lire des aspects de la colonisation à travers cet épisode, mais il faut reconnaître que sur plus de 200 pages, peu de détails nous échappent : à chacun de voir s’il veut en savoir autant.

© Jean-Pierre Costille