Gilbert Étienne, Repenser le développement,
Armand Colin, septembre 2009.

Je suis très heureux de la sortie de ce livre, car Gilbert Étienne me fournit depuis bientôt 50 ans les exemples de terrain des pays où je ne suis pas allé, ou pas assez : Chine, Inde, Pakistan, Afghanistan et certains pays d’Afrique subsaharienne. Maintenant professeur honoraire à l’institut des hautes études internationales et du développement à Genève, il fait le bilan des plus de 50 ans qu’il a passés à revenir régulièrement dans les mêmes villages et les mêmes administrations. Il est un de ceux qui m’ont permis d’échapper aux modes qui frappent les théories du développement comme toutes les autres, dont les affirmations péremptoires ne résisteraient pas à la visite d’un village et seront oubliées dès la mode suivante.
Gilbert Étienne est d’abord un expert du monde agricole, car ce monde constituait la quasi-totalité des pays pauvres au début de sa carrière, et reste une part très importante et souvent majoritaire de leur population d’aujourd’hui.
C’était un livre extrêmement difficile à résumer sans le dénaturer puisque composé de centaines de descriptions familiales ou de responsables de tout niveau, où les réflexions synthétiques d’économie ou de politique ne sont que incidentes et ne sont vraiment regroupées que dans le chapitre de conclusion, et d’une manière discrète et nuancée. Je me permettrai donc pour des raisons de lisibilité de regrouper certaines idées pour des conclusions partielles ; dès qu’elles s’écartent du texte, je les mets entre parenthèses.

Un premier démarrage afghan, pakistanais et indien

Le livre démarre par un premier crapahutage en Afghanistan en 1953, époque où la route goudronnée s’arrêtait à la frontière du Pakistan, bien que s’agissant d’une voie millénaire. Il décrit l’Afghanistan de l’époque comme un pays non pas sous-développé, mais « pré développé », avec une production en phase avec sa faible population d’alors et sa très forte mortalité (pour d’autres raisons que la famine), puis démarrant assez bien avant les « interférences » sovieto-communistes, pakistano-talibanes et américaines.
Le chapitre suivant traite du Pakistan où il débarque en 1952. L’époque coloniale y a légué des infrastructures « impériales » et relativement laïques. Comme en Afghanistan un début prometteur de développement (en 1965 on parle du miracle pakistanais) est gâché par le populiste Ali Bhutto, puis par le régime, meilleur mais islamiste, du général Zia, sans parler de l’explosion démographique. Il faut lire la description concrète de la vie de telle et telle famille villageoise. Tout cela donne en 1988 un Pakistan ébranlé, mais encore en développement rapide.

L’auteur passe ensuite à l’Inde d’après-guerre, indépendante depuis peu. Il rappelle que jusqu’au XVIIIe siècle l’Inde n’était pas globalement sous-développée, ce qui explique notamment que les Anglais en aient largement sous-traité l’administration. Les nouvelles élites locales formées à l’anglaise, tant administratives qu’industrielles prolongent un démarrage commencé avant l’indépendance. Mais l’auteur souligne que depuis son passage en 1953, la qualité et la classe politique et administrative s’est effondrée et que la corruption déjà sensible « à la base » a gagné l’ensemble du pays. Il verra ce fléau s’aggraver jusqu’à aujourd’hui dans tous les pays étudiés, Chine comprise.
Tout cela s’articule avec les séjours dans les villages, et la description extrêmement concrète des techniques, des rendements et des modes de vie, des plus pauvres à ceux qui le sont un peu moins, par leur caste ou d’autres qualités. Un coup de chapeau au passage au remembrement et à la multiplication corrélative des puits tubés, qui faciliteront la révolution verte à partir de 1966. Il en ressort un infinie variété des situations géographiques, linguistiques, techniques, sociales.

Indira Gandhi a droit à une description très nuancée, du fait de son populisme et de son socialisme paralysant, ainsi que de sa maladresse (stérilisation forcée des hommes) qui entraînera un rejet de la limitation des naissances.

La révolution verte et la démographie

Gilbert Étienne est un des grands témoins de la révolution verte dont il vante les immenses mérites, bien qu’il soit conscient qu’aujourd’hui elle a atteint ses limites, du fait des besoins en eau et de la consommation d’engrais qu’elle suscite. Les problèmes sont très différents aujourd’hui. En particulier l’étranglement de l’agriculture faute d’infrastructures (réseaux d’eau fuyant massivement, routes et électricité), déjà sensible à l’époque de révolution verte, est devenu le problème numéro un en Inde aujourd’hui, auxquels s’ajoutent comme en Chine l’incompétence et la corruption des potentats locaux à qui la décentralisation a donné du pouvoir. Plus généralement, les nouvelles élites urbaines sont incompétentes pour ce qui concerne les choses de la campagne.
Dès le début et jusqu’à aujourd’hui il est frappé par l’ignorance et le mépris des questions démographiques, surtout au Pakistan et en Afghanistan, « alors même que l’islam est favorable à la limitation des naissances depuis le XIe siècle », mais aussi en Inde aux échelons moyens et particulièrement dans le nord très peuplé de ce pays, et enfin en Chine lors des coups de folie de Mao, qui ont obligé à lancer tardivement et probablement trop brutalement la politique de l’enfant unique. D’ailleurs on voit au fil de ses voyages se rétrécir la surface cultivée par famille, malgré l’exode rural : à la fin de l’ouvrage la quasi-totalité des exemples cités donnent 0,2 à 1 ha.
La combinaison du plafonnement de la révolution verte et de cet entassement démographique agricole implique de basculer une partie la population vers le secondaire et le tertiaire (Fourastié !), sur place ou dans une ville proche, ce qui est largement entamé depuis quelques dizaines d’années, là où le gouvernement s’en est soucié, par exemple dans les campagnes chinoises à partir de 1970 grâce à Den Xiaoping, souvent tout simplement en donnant enfin aux habitants la liberté de le faire.
Mais la démographie, c’est aussi le vieillissement, surtout en Chine. On permet donc d’avoir deux enfants à un couple d’enfants uniques (comme il n’ya pas de retraites, la question si artificielle de leur financement ne se pose pas, et le vrai problème est donc traité).

La Chine de Mao

Gilbert Étienne est catastrophé par le peu qu’on lui laisse voir, et très agacé de ne pas voir le reste. Les statistiques deviennent surréalistes puis inexistantes à partir du grand bond en avant (1958). Les observateurs étrangers dénoncent une disette ; on saura plus tard que c’était la plus grande famine de l’histoire. Et pourtant les campagnes chinoises étaient séculairement plus efficaces que les campagnes indiennes, notamment «du fait d’une bonne administration recrutée par concours, principe repris depuis par les Britanniques puis les autres Occidentaux».
Si le régime est prudent quelques années après 1949 avec les «capitalistes nationaux» et la réforme agraire (néanmoins quelques millions d’exécutions de « grands propriétaires » qui possédaient 10 à 20 ha), il passe à la nationalisation générale des entreprises et des terres vers 1956, puis aux communes populaires en 1958. Le tout est jugé par Gilbert Étienne relativement moins sanguinaire que l’époque correspondante de l’URSS. Peu à peu l’enthousiasme réformateur ou révolutionnaire est remplacé par la peur. Heureusement les Soviétiques jouent un rôle décisif (mais pas gratuit) en permettant les grands travaux d’infrastructure et d’industrialisation via l’envoi de coopérants et formation de cadres chinois en URSS. Au fur et à mesure que l’égalitarisme se répand, s’accentue le gâchis des cadres. Tout cela est décrit très concrètement par les visites de villages et d’institutions, instructives bien que se limitant à ce qui est « modèle » (comme lors de mes visites en URSS !).
Le redémarrage est net à partir de 1961, mais en 1966 survient la révolution culturelle. Gilbert Étienne est sensible au gâchis de compétences : universités fermées pendant 10 ans, cadres envoyés à la campagne ou poussés au suicide. Chou en Laï reconstruit discrètement l’économie à partir de 1971 en renouant avec les étrangers, occidentaux cette fois, pour réparer la rupture catastrophique de la coopération soviétique. Les visites à la campagne montrent que les paysans réagissent très positivement à la décollectivisation, que les progrès se multiplient mais dans un contexte de pauvreté (on espère vélo et machine à coudre), qui peut être féroce à certains endroits (faute de vêtements chauds pour chaque membre de la famille, ne peut sortir pendant l’hiver qu’une seule personne à la fois). Comme en Inde des progrès sont « nationaux » avec des produits rudimentaires et peu de contacts avec les techniques étrangères. La conclusion est étonnamment indulgente pour Mao : «en dépit d’énormes gaspillages, de nouvelles élites se sont formées, et les excès ont facilité la nouvelle révolution de Deng Xiaoping».

L’Afghanistan et le Pakistan s’enfoncent dans la violence

En 1973, Daoud, cousin du roi prend le pouvoir avec l’appui d’officiers communistes et proclame la république dont il devient président. En 1978, les mêmes officiers le tuent et ouvrent une période de répression. L’économie rurale avait pourtant progressé, le pays était devenu excédentaire en blé, les vergers et vignobles rapportaient plus que l’opium aujourd’hui et les émigrés vers l’Iran alors prospère envoyaient des fonds. Les communistes attaquent l’islam, les mollahs réagissent, deux présidents successifs sont assassinés, les troupes soviétiques entrent dans le pays en décembre 1979. Elles y resteront 10 ans. Les élites s’en vont.
Le gouvernement communiste privé de l’appui soviétique tombe en 1992, les talibans, surtout Patchounes, prennent Kaboul en 1996 et sont chassés par les Américains en 2001.
Gilbert Étienne revient en 2002, est effaré par les destructions, notamment des vergers, et constate le gaspillage de l’aide tant du fait de la corruption des Afghans que de la dispersion des Occidentaux (fourniture de cosmétiques aux femmes de Kaboul certes longtemps privées, mais rien pour l’agriculture ni les infrastructures). La culture de l’opium s’est répandue. La suite est conforme à ce que nous suivons dans les journaux.

Au Pakistan, c’est une période plus ou moins démocratique (1988 – 1999) qui échoue et se termine par un coup d’état militaire suite au populisme et à la corruption. Les services secrets s’allient aux talibans. Gilbert Étienne donne toutefois un satisfecit à Nawaz Sharif qui libéralise six mois avant l’Inde, accueille les investissements étrangers et les dirige notamment vers l’électricité et les routes. Pour la quatrième fois, Gilbert Étienne revoit les mêmes villages en 1993 et note de fragiles progrès.

Avec le coup d’État militaire de 1999, l’armée envahit l’économie, les attentats se multiplient, mais la croissance continue notamment du fait de l’aide américaine massive à la suite du 11 septembre. Depuis 2007, les troubles qui s’étendent, la hausse des prix du pétrole puis la crise mondiale entraînent un effondrement. Gilbert Étienne note toutefois que depuis le printemps 2009 le pays se mobilise enfin contre les talibans, tandis que la société civile, dont il fait une description assez flatteuse, résiste bien.

Les réformes indiennes

Gilbert Étienne date de lancement des réformes de 1980 et leur accélération de 1991. Auparavant l’Inde avait reculé du 10e au 20e rang des puissances industrielles, et la Corée du Sud, à égalité vers 1960, était passée loin devant. Elle était isolée technologiquement, en déficit chronique et ne tenait que grâce à l’aide des pays occidentaux, de l’URSS et de la Banque Mondiale. La production nationale, protégée, n’était pas exportable. Bref les défauts classique du socialisme. Indira Gandhi revient au pouvoir, mais cette fois comme libérale. Le scooter remplace la bicyclette. Les freins au investissements étrangers et au secteur privé se desserrent. Indira est assassinée en 1984 et son fils en 1989
L’accélération des réformes vient du gouvernement Rao et de son ministre des finances Mahoman Singh. L’équipe a médité le succès des dragons de l’Asie du Sud-Est. Le FMI soutient les réformes, l’ouverture à l’étranger se généralise, les grands groupes privés indiens s’y associent, le développement de l’industrie et des services qualifiés se confirme. La croissance dépasse les 7 % à partir de 1994 et les 9 % à partir de 2005.

Gilbert Étienne constate l’aggravation de l’incompétence et de la corruption des politiques, les troubles entre hindous et musulmans, mais aussi beaucoup de progrès dans les villages dans un océan de pauvreté persistante. Les emplois non agricoles se multiplient. Mais les moyens financiers sont gaspillés en soutien au niveau de vie (chantiers ruraux, agences d’aide aux pauvres) au détriment des infrastructures qui auraient été durablement utiles à tous. Les routes, déjà dramatiquement insuffisantes, sont maintenant embouteillées, 40 % de la production agricole est perdue, le manque d’électricité paralyse tout, la santé et l’environnement se dégradent. Plus généralement les réformes passent à côté de l’agriculture.
La formation des hommes, souvent vantée à l’étranger, est en fait très déficiente. Une grande partie d’enseignement supérieur n’a pas le niveau (d’où l’importance des Indiens revenant d’Amérique), tandis que le primaire est plombé par l’absentéisme des enseignants. (Comme dans le reste du tiers-monde), la population réagit en plaçant ses enfants dans l’enseignement privé.
La réaction à la crise de 2008-2009 semble bonne, avec un plan de relance enfin fondé sur les infrastructures.

La nouvelle révolution chinoise

La Chine de Deng et de ses successeurs est méconnaissable. Tout était à faire ou à refaire : l’État, la société, l’économie, la santé, l’éducation, l’armée, le juridique. C’est en cours. On est passé d’un système totalitaire à un système autoritaire ; les « étiquettes » sociales (« paysans pauvres », « grands bourgeois » … ), qui notamment interdisait aux « mal étiquetés » d’entrer à l’université ou au parti, sont abolies. Les discussions sont libres, notamment avec les étrangers, à condition de ne pas en tirer de conclusions politiques.
Gilbert Étienne évoque trois raisons de ce succès : la personnalité de Deng, le rôle de Hong Kong et l’environnement international proche, du Japon à Singapour. Une tournée dans « ses » villages lui fait noter d’immenses progrès, notamment dans l’emploi non agricole. Parmi les pages d’exemples concret, je retiens la famille de ce fermier cultivant un tiers d’hectares en blé et maïs, mais ayant son téléphone portable à l’oreille qui lui permet de collecter les poulets des environs et de les revendre à un négociant. Les habitants des villes demandent maintenant des produits nouveaux, dont la viande et le lait.
La privatisation de l’habitat lance le boom de la construction. Les entreprises publiques sont restructurées ou privatisées. 30 millions d’emplois y sont supprimés. La formation de l’élite se fait par centaines de milliers chaque année, dont une grande partie à l’étranger, dont beaucoup ne reviennent pas, et le reste dans un enseignement inégalement performant. Le secteur privé national commence être autorisé en 1982 pour l’artisanat, et son champ est élargi progressivement ensuite. On voit maintenant construire en deux ans la fabrique des premiers Airbus, qui sortent depuis mai 2009. Les usines étrangères assurent 58 % des exportations. Les infrastructures, dont les TGV et les autoroutes, se développent à toute vitesse. Le détail de tout cela est maintenant connu.
Est également connue l’explosion des inégalités : si être ouvrier du bâtiment est un progrès considérable pour un paysan, il lui faut néanmoins travailler 11,6 heures par jour, 27 jours par mois, sans que les heures supplémentaires soient payées, tandis que les « milliardaires rouges » se multiplient. Les vieux se plaignent de la disparition de la gratuité maoïste. Le « coulage » est considérable (gaspillage, investissements inutiles, corruption). L’eau commence à manquer, la formation agricole recule. À production égale l’industrie consomme trois fois plus d’électricité qu’en Amérique.

Vue d’ensemble

Plutôt que de conclure Gilbert Étienne se lance dans un survol général comparant les 4 pays ou le couple Inde-Chine. Il préfère visiblement la démocratie indienne, malgré tous ses défauts, à l’autoritarisme chinois et à la déliquescence afghane et pakistanaise. Mais ces différences politiques ne lui semblent pas avoir d’influence sur le coulage qui est gigantesque dans les quatre pays et qui donne lieu à un essai de chiffrage intéressant. Elles ne semblent pas avoir eu non plus d’influence sur la négligence de l’agriculture dans les dernières décennies. Pourtant en 2007 la Chine, l’Inde et le Pakistan y ont entre 42 et 52 % leur population active ! On semble en avoir repris conscience depuis 2004, et surtout depuis 2007.
Cette vue d’ensemble contient également une comparaison intéressante entre les infrastructures indiennes et chinoises, au bénéfice massif de ces dernières (surtout du fait de l’évolution récente). De même pour la comparaison du commerce extérieur des deux pays, largement paralysé et d’un montant équivalent jusqu’en 1980, date après laquelle la Chine laisse l’Inde quasiment sur place. De même encore pour le PIB par personne qui est en Inde de la moitié ou du tiers de celui de la Chine. Ou pour l’espérance de vie où la Chine (75,5 ans) distance nettement l’Inde et le Pakistan (65 ans). Les quatre pays massacrent l’environnement, plus massivement en Chine mais qui a aussi plus d’argent pour réagir. Gouvernements et élites en sont conscients, mais les décideurs de niveau intermédiaire sont corrompus et incontrôlables. Pour cette raison (entre autres) les riches des quatre pays s’enferment dans des « enclaves résidentielles » qui les coupent encore plus des problèmes réels du pays, et notamment de ceux de la campagne.
Par ailleurs Gilbert Étienne est conscient de ce que l’exposé brut des faits donne raison au libéralisme et tort au socialisme (il le dit moins nettement), même pour l’éducation et les infrastructures. Comme cela ne semble pas correspondre à ses idées, il appelle au secours « les circonstances et le climat qui prévalaient au lendemain de la guerre mondiale ». Dans le même esprit, il rappelle le rôle positif de la Banque Mondiale et de la coopération internationale qualifiée, américaine surtout, dans les premiers pas de l’Inde et du Pakistan, puis dans ceux de la reconstruction chinoise à partir de 1972. Il préfère cette action « concrète » et utile à tous et toutes (infrastructures etc.) à celle à la mode d’aujourd’hui (démocratie, gouvernance, société, statut des femmes…) : l’aide aux vergers afghans aurait été plus efficace que des déclarations générales qu’on ne sait comment appliquer. Gilbert Étienne ajoute à cela des considérations hétérodoxes sur l’éducation : il n’y a pas de lien évident entre la scolarisation et le développement comme le montrent d’une part les statistiques globales (Philippines et certains pays africains bien scolarisés, comparaison entre les régions indiennes) et l’expérience de terrain qui montre la créativité et le progrès de paysans analphabètes. Donc, encore et encore, commencer par le progrès agricole comme d’ailleurs l’Europe l’a fait en son temps. De même pour les privatisations : il en reconnaît l’efficacité et la recommande pour « les petits » (propriété agricole et PME), mais on sent bien que ce n’est pas sa tasse de thé. De même, il n’accorde qu’un « oui mais » au libre-échange.

Enfin quelques pages sont consacrées à l’Afrique, dont il rappelle les différences profondes avec l’Asie (en résumant à ma façon, l’Asie était beaucoup développée, mais ce développement avait permis une croissance démographique ramenant la richesse par tête au niveau africain ; corrélativement l’apport colonial a été plus net en Afrique, bien qu’assez léger, vu la brièveté de l’époque coloniale dans la plupart des régions). L’aide y a été massive, mais peu efficace avec des responsabilités à partager entre l’Occident et les pouvoirs locaux. La qualité des gouvernants fait et fera la différence entre les pays.

L’avenir est sombre en Afghanistan et au Pakistan, et dépendra là aussi largement de l’apparition ou non de dirigeants de qualité. La Chine et l’Inde devraient par contre « s’en tirer », malgré les problèmes type « XIXe siècle européen » exacerbés par la rapidité des changements techniques et démographiques, et les fractures sociales que cela implique, notamment pour les traditionalistes. Par ailleurs l’examen de tous les pays de la région et pas seulement des quatre étudiés ne fait pas apparaître de différence de résultat entre démocraties et les régimes autoritaires. Les dictatures sont par contre catastrophiques. Le grand danger lui semble être la disparition du fonctionnaire compétent et intègre au bénéfice du politicien local, qu’il soit élu ou nommé.

En conclusion, Gilbert Étienne rappelle la phrase de Raymond Aron : « la bêtise et l’ignorance sont des facteurs considérables de l’histoire ». En particulier si l’ignorance de la démographie pouvait se comprendre vers 1950, sa persistance ensuite montre à quel point les responsables ignoraient le terrain ; de même pour la dénonciation de l’exode rural et la diabolisation de l’urbanisation (résumé brutal à ma façon : la ville est un important facteur de progrès, et les conditions de vie y sont meilleures qu’à la campagne, sinon on n’y migrerait pas) ; de même enfin pour les extrémistes de toutes les religions …

Yves Montenay