Durant la Première Guerre mondiale, plus précisément de la fin de l’année 1914 à l’automne 1915, les batailles à l’Est du front français se cristallisent sur un sommet des Vosges, au nom difficilement prononçable pour les Français : le Hartmannswillerkopf, aussi appelé HWK par les Allemands et Vieil-Armand par les Français. Les combats y sont d’une rare violence pour un sommet complètement anonyme avant la guerre.
Pourquoi une bataille à cet endroit précis ?
Depuis la perte de l’Alsace en 1871, le gouvernement de la IIIe République n’avait qu’une idée : reconquérir cette province française. La guerre 14-18 ayant été déclenchée par l’Allemagne, l’occasion était trop belle de lancer une offensive rapide en plaine d’Alsace. Dès le 7 août, le 7e corps d’armée franchit la frontière et le soir-même, le 133e Régiment d’Infanterie (RI) entre dans Thann sous l’acclamation de la population. Le lendemain, l’armée française prend Mulhouse puis pousse jusqu’au pied des Vosges jusqu’à Cernay ainsi qu’au nord-ouest de Mulhouse en dépassant Lutterbach. Cependant, le 9, la riposte allemande se fait violente et la situation tourne mal pour les Français. Ils reculent puis regagnent du terrain ; cet effet yo-yo dura plusieurs semaines durant l’été jusqu’à la stabilisation du front vers la fin octobre dans les Vosges. Ainsi, les troupes dominent la plaine d’Alsace grâce à l’occupation des principaux sommets : le Ballon de Guebwiller, le Mölkenrain, le Langenfeldkopf, le Südel et le Hartmannswillerkopf.
L’Hartmannswillerkopf est une montagne totalement inconnue, couverte de forêts dont le seul intérêt est qu’elle domine la plaine d’Alsace.
Alors que le front se calme, le haut commandement français veut reprendre l’offensive et fixe la date au 25 Décembre 1914, mais les attaques aboutissent peu : l’artillerie allemande est bien plus puissante que l’artillerie française. Les assauts du 25 échouent mais le lendemain, les lisières de Steinbach et Aspach-le-Haut sont atteintes et le 27 des soldats ont continué la lutte à Steinbach, maison par maison. Aucun d’entre eux ne reviendra. Le village tomba aux mains des Français le 3 janvier 1915. Résultats : deux semaines de combats ininterrompus au prix de 12 officiers et 700 hommes ; pour pas grand chose.
Dans la nuit de Noël, le 28e BCA fait la conquête de L’Hartmannswillerkopf très difficilement en raison de l’absence de chemin, mais il n’y a aucun ennemi. Le bataillon creuse des tranchées en contre-pente. Les Allemands essaient de déloger les Français dès le lendemain en attaquant au nord et au sud. Les combats qui vont suivre seront très difficiles.
Les terribles combats de janvier 1915
Dès le début du mois de janvier 1915, les combats font rages entre Français et Allemands, chacun lançant un assaut après l’autre sans jamais maîtriser le territoire de manière définitive. Une centaine d’hommes dans chaque camp s’affrontent.
Les combats sont plus décrits dans les écrits allemands que français. Par exemple, l’attaque allemande du 9 janvier est décrite en une phrase et demie par le général de Pouydraguin alors que du côté allemand elle est décrite sur trois pages. Cependant, d’autres jours sont décris et nous avons le résumé de certaines offensives. Ces récits montrent la dureté des combats et ô combien les soldats, allemands ou français, ont eu d’horreurs à subir. Par exemple, le 21 janvier les Allemands parviennent à hisser non sans mal sur les pentes un Minenwerfer moyen de 17 cm dont les obus écrasent les positions françaises au sommet du HWK.
Chaque obus pèse 100 kg : 20 coups suffisent à provoquer la reddition de la compagnie d’alpins. L’auteur mentionne qu’au 3ème tir, le sous-lieutenant qui la commande est décapité par un obus. Le général de Pouydraguin témoigne : « l’abri du lieutenant Canavy est enfoncé, lui-même a la
tête emportée par un obus, le dépôt de vivres et de munitions détruit ». Plus loin, le Hauptmann Goes décrit : « Dès le 3e projectile, un porte de commandement du piton avait été défoncé : deux officiers furent trouvés tellement déchiquetés qu’ils étaient méconnaissables, un autre fut grièvement blessé, un quatrième légèrement atteint ».
Le 27e Bataillon des Chasseurs Alpins (BCA) tente de porter secours au 28e BCA qui a sonné le clairon pour demander de l’aide (ils sont encerclés), malgré tous les efforts le 27e doit s’arrêter à cause de la neige qui rend difficile la marche, ainsi que les solides tranchées ennemies qui sont protégées par un épais rideau de fils de fer.
Durant des jours, les récits montrent que les pertes des sous-officiers et officiers, ce qui laisse apparaître la même évidence pour le reste des soldats. Les survivants sont faits prisonniers mais leur héroïsme est salué par les Allemands : ils leur rendent leurs armes et défilent dans les rues de Mulhouse.
Au début de la guerre, les Ballons étaient recouverts de forêts de pins, mais suite aux tirs d’obus il ne reste que des cadavres d’arbres et un paysage désolant, agonisant. De nombreuses photographies montrent les conditions de vie des soldats durant les combats, dans les tranchées, la vue depuis les tranchées également ; les cimetières sont aussi les témoins de ces soldats tombés sur les pentes du HWK. L’ennemi des Français n’est pas que le « Boche », c’est aussi la neige qui cause de nombreux dégâts : les soldats souffrent de gelures graves aux pieds, certains devant être amputés.
Reconquérir l’Hartmann au plus vite
Alors que le sommet a été pris par les Allemands, le général Joffre ordonne de reprendre les positions perdues dès le 22 janvier 1915. Les bataillons se succèdent avec de lourdes pertes mais empêchent les Allemands de s’emparer des positions françaises. Ces derniers s’enterrent à proximité et aménagent leurs tranchées non sans difficultés compte tenu de la météo peu clémente à cette période de l’année. Ils peuvent compter sur des ânes ou des mules pour transporter le matériel le plus lourd, mais en général il s’agissait du ravitaillement en nourriture, vin rouge, cognac et chocolat.
Il était indispensable de bien nourrir ces hommes pour être capable de résister au froid et de supporter de gros efforts.
D’autre part, l’aménagement consista à améliorer les sentiers vosgiens de façon à ce que les relèves puissent atteindre leurs positions. Un funiculaire fut aussi aménagé pour transporter les lourdes charges que même les animaux avaient du mal à amener dans les abris ; pour ce faire il fallut dynamiter la roche et faire travailler plus de 1000 hommes pour réaliser la route. Au bout de quelques temps, les soldats disposaient d’un dépôt de munitions, de plusieurs postes de secours.
En février, quelques combats éclatent, mais c’est le 27 que se déroule une grande offensive française. Elle pilonne l’ennemi toute la journée, Goes détaille l’attaque côté allemand et relate « d’énormes masses de terre, des rochers et des troncs d’arbres [sont lancés dans les airs] ». Il estime le nombre d’obus reçu à 3000, ce qui est énorme compte tenu de l’objectif limité dans l’espace. Malgré ces efforts, l’infanterie ne réussit pas une fois arrivée auprès des tranchées allemandes : Goes dit « Enveloppés dans leurs manteaux à capuchon, blancs de neige, les alpins tombent comme des mouches. Aucun Français n’a pu mettre les pieds dans la tranchée allemande. L’attaque de la 1ère brigade alpine a été brillamment repoussée ». A la suite de cet échec, l’HTW se transforme en aimant qui attire toutes les troupes qui se trouvent à proximité.
Les offensives françaises victorieuses de mars 1915
L’état-major ne se décourage pas de l’échec du 27 février, la reprise de l’offensive a lieu le 5 mars à 6h30. Elle fut retardée à 13h en raison du mauvais temps. Après un bombardement assez faible de la ligne allemande, le 13e bataillon réussit à progresser : il enlève un fortin et des éléments de tranchée à l’ouest, fait une dizaine de prisonniers et prend deux mitrailleuses. Le bataillon repousse deux contre-attaques et continue de progresser mais sans percer en profondeur (environ 350 mètres ont été pris) car il est stoppé net par l’artillerie allemande.
Pour les combats du 5 et 7 mars, le régiment d’infanterie allemand 161 a perdu 9 officiers et 310 hommes. Il a été intégralement remplacé par le 25.
Le 22 mars, un nouveau régiment d’infanterie français est chargé de lancer une nouvelle attaque. Les combats furent très violents avec dans un premier temps les tirs d’obus qui ont pulvérisé les abris et les troncs d’arbres, et dans un second temps le corps-à-corps au poignard et à la baïonnette. Ailleurs, les soldats sont décimés, tous ceux ayant réussi à atteindre la tranchée tombent sous un feu d’enfer ; les autres restent bloqués devant les barbelés allemands.
Malgré ces ralentissements, les Français ne sont plus qu’à 150 mètres du sommet, en conséquence, le 25 mars, le 152e RI reçoit l’ordre d’achever la conquête de l’HWK. L’assaut est réalisé le 26, en quelques heures seulement : à 14h45 les troupes s’élancent pour atteindre le sommet qu’ils gravissent non sans difficulté jusqu’à 16h. Ils l’ont enfin atteint sans un seul moment d’arrêt. Ils ont capturé 140 Allemands dont 3 officiers.
Désormais, les Français ont une vue plongeante sur la plaine, les eaux du Rhin, la voie ferrée de Colmar et les cheminées de Mulhouse.
Les Allemands reprennent le Hartmannswillerkopf
Les Allemands ne se laissent pas abattre et renforcent leurs effectifs en faisant appel à des unités venant des Flandres et de Champagne ; de quoi disposer d’une supériorité numérique pour la future offensive.
Un premier assaut a lieu le 19 avril, sans succès. Le suivant a lieu le 25 avril. Il est bien détaillé par l’auteur, Yves Buffetaut. Les Allemands font face à une résistance française assez forte mais les Allemands enveloppent les Français par la gauche et sont incapables de les arrêter. Le lendemain matin, à 8h, le piton est atteint. Les Français sont pris de flanc et de revers, ils n’ont pas d’autre issue que de se rendre (11 officiers et 749 hommes). Chaque bataillon subit des pertes qui s’élèvent au total à plusieurs dizaines de tués, plusieurs dizaines de blessés, des dizaines d’officiers disparus ainsi que près d’un millier d’hommes disparus.
Une carte tirée de l’historique de l’Hauptmann Goes montre le résultat de l’attaque du 26 avril 1915, elle permet de mieux comprendre les assauts qu’on subit les Français de part et d’autres de la montagne. Plusieurs photographies montrent l’étendue des dégâts.
Suite à l’échec d’une attaque française au lendemain de la perte territoriale, les deux adversaires passent leur temps à établir de solides positions. Le calme revient jusqu’à l’été où le camp Français va attaquer la vallée de Munster. Et les combats reprennent furtivement en septembre avec une nouvelle arme : le lance-flamme ; puis éclatent dans une offensive de grande envergure fin décembre 1915, soit 1 an après la première offensive.
Les derniers combats, décembre 1915 – janvier 1916
Dans ce chapitre, l’auteur revient sur les assauts de septembre-octobre 1915, à mon sens cela aurait dû apparaître à la fin du chapitre précédent car cela ne colle pas avec le titre de ce chapitre. Il nous raconte en détail les assauts Français et Allemands qui furent assez violents avec toujours le pilonnage de l’artillerie mais aussi l’utilisation du lance-flamme, d’abord par les Allemands, puis par les Français. En Octobre, le haut commandement allemand décide de lancer des attaques sur tout le front pour empêcher les alliés de transférer des troupes en Champagne ou en Artois. Lors de ces combats, de nombreux soldats et officiers sont tués, blessés ou disparus dans les deux camps ; certains sont même ensevelis. Goes conclut son récit par un certain désarroi face à tant de pertes pour si peu de résultats. C’est une guerre d’usure.
Le 21 Décembre 1915, l’assaut français est une réussite. A la surprise des Allemands, ils ont dévalé les pentes, pris des tranchées allemandes et fait près de 1300 prisonniers Allemands au total ; ceci non sans perte, mais elles furent faibles d’après les écrits du général de Pouydraguin : au 152 il y eut 22 officiers mis hors de combat dont 6 ou 7 tués, le 1er bataillon a perdu 101 hommes, le 3e 150.
Le 22 Décembre fut une journée tragique pour de nombreux soldats. Le régiment était en pleine vue de l’artillerie allemande une fois au sommet : du côté des officiers 11 furent tués, 14 blessés et 34 disparus. Côté soldats, 70 furent tués, 527 blessés et 1353 disparus. Le 152e RI est anéanti.
Le 23 il y eut 753 blessés (dont 53 Allemands). Sur ces deux journées, il y eu au total 1 000 blessés.
La contre-attaque des Allemands est immédiate et rejette les Français dans leurs tranchées de départ ; le 8 Janvier 1916 ils prennent le dernier secteur conquis par les Français le 21 Décembre. La défaite française est consommée.
Désormais, le haut commandement ne veut plus entendre parler de l’Hartmannswillerkopf.
Conclusion
Durant un an, les combats acharnés dans les deux camps n’ont servi à rien. Il n’y avait aucune issue possible dans ce secteur. Le Hartsmannwillerkopf fut une obsession pour l’état major français dans son idée que sa possession était la condition préalable à une offensive en plaine d’Alsace qui n’était pourtant plus d’actualité.
La destruction complète d’un régiment aussi prestigieux que le 152e RI a fini par faire entendre raison au GCG. Après la Grande Guerre, le HWK fut rebaptisé sous son nom français : le Vieil-Armand.
La conférence virtuelle avec Yves Buffetaut s’est déroulée le 9 février 2023, l’entretien a été mené par Maude Robert :