« Nous refusons l’amnésie ! » tel est le témoignage de Nadem travaillant à l’hôpital de Falloujah recueilli par Feurat Alani. Il s’agit en effet d’un travail de mise à nue, de porter au yeux du grand public, ce qui est encore largement un tabou dans cette ville et dans la société irakienne. Mais revenons quelques années en arrière, en 2004, lors de l’opération américaine Phantom Fury. Cette dernière est déclenchée à la suite de l’assassinat de 4 mercenaires américains dans la Falloujah occupée depuis la guerre en Irak de 2003. Après un siège acharné de la Cité des Mosquées, les forces américaines choisissent une autre stratégie : le bombardement aérien. Les civils pris en étau entre les combattants et les soldats américains sont les principales victimes de ces violences.
Falloujah Ma campagne perdue commence par rappeler les souvenirs d’enfance de Feurat Alani, journaliste irakien dans cette ville irakienne qui, pour lui, est synonyme d’instants familiaux, de saveurs et de senteurs. L’enfant, devenu adulte, retourne à Falloujah quelques mois après la fin de l’opération Phantom Fury alors que la ville est interdite aux journalistes. Il y constate la quasi disparition de la cité qu’il associait à une mémoire pleine de bons moments, une ville dont la géographie a été métamorphosée du fait d’un conflit dont le terrain de bataille a été ce milieu urbain. Il en est ainsi du stade de foot qu’il aimait fréquenter avec son oncle, désormais transformé en cimetière.
Au travers de ses rencontres dans la cité, il est confronté à un sujet dur et peu abordé en Occident : l’utilisation d’armes toxiques par l’armée américaine sur la population de Falloujah. Les dessins d’Halim , en noir et blanc, montrent le désarroi et la douleur auxquels fait face le journaliste face à ces révélations. Les planches sont expressives jusqu’à l’insoutenable dans l’hôpital de Falloujah. Débute alors une enquête journalistique qui l’emmènera aux États Unis et en Europe afin de dénoncer les conséquences de l’utilisation de ces armes chimiques sur les populations civiles irakiennes et les soldats américains eux-mêmes. Ce travail journalistique bute souvent face aux tentatives d’étouffement des autorités américaines et irakiennes. Les individus rencontrés, victimes de ces armes ou travaillant à la reconnaissance des dégâts causés, ont une parole forte, désarmante, qui ne laisse place qu’à l’indignation et à la compassion.
Le déroulé de cette enquête qui prend ici la forme d’un roman graphique est la première édition d’une nouvelle collection « Témoins du monde ». Michel Welterlin, directeur de la cette nouvelle collection, souhaite la rencontre de témoignages de journalistes, écrivains, citoyens engagés avec des dessinateurs. Cela permet selon ses mots de « saisir la réalité présente ou passé ». La coopération ici entre le dessinateur Halim, aux multiples récompenses, et Feurat Alani, lauréat du prix Albert Londres pour son précédent ouvrage Le Parfum d’Irak est une réussite.
Il s’agit d’une bande dessinée dont on ne sort pas indemne et Feurat Alani rappelle que cette ville, symbole des violences américaines pendant la guerre en Irak, sera par la suite un centre conquis par l’État islamique.
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