Yaël Nazé est astrophysicienne et spécialiste des étoiles massives. Son ouvrage, Femmes astronomes, entend mettre en lumière le rôle fondamental d’un grand nombre de femmes dans les découvertes de l’astrophysique contemporaine.

L’ouvrage est articulé autour de sept grands chapitres ayant tous pour point commun de présenter de grandes astronomes et la nature de leurs découvertes.

«  la moitié du ciel »

Un large aperçu des travaux et découvertes des femmes en matière d’astronomie, de l’Antiquité au vingt-et-unième siècle.

La plus ancienne femme astronome est En-Hedu-Anna (« prêtresse de l’ornement du ciel »), fille de l’empereur babylonien Sargon Ier, en charge des « observatoires babyloniens ».

Viennent ensuite l’Egyptienne Aganike (fille de Sésostris), la Grecque Aglaonikè (qui saisit le mécanisme des éclipses de lune) et l’Alexandrine Hypatie (autrice d’ouvrages d’astronomie et de mathématiques et ayant réalisé un astrolabe).

En Orient, c’est la princesse Sonduk (610-650. Elle est la fille du dirigeant du royaume de Silla ) qui est évoquée. Elle fait bâtir, durant son règne, la « Tour de la Lune et des étoiles » présentée comme le premier observatoire d’Extrême-Orient.

Un rapide saut dans le temps nous emmène à la rencontre de la Polonaise Maria Cunitz (1610-1664) qui améliore les tables astronomiques de Kepler, de Catherina Elizabetha Margarethe Koopman Hevelius (1646-1693. Elle aussi est polonaise) qui publie deux catalogues stellaires, de l’Allemande Maria Margarethe Winkelman Kirch (1670-1720) qui découvre seule la comète de 1702 et de la Danoise Sophie Brahe (1556 ou 1559-1643. Elle est la sœur de Tycho Brahe) , véritable « collègue de travail » de son célèbre frère.

Autre figure marquante, l’Ecossaise Mary Fairfax Grieg Somerville (1780-1872). Elle traduit et complète la Mécanique céleste de Laplace et rédige une remarquable introduction à la mécanique céleste qui va connaître un grand succès.

En Chine, c’est la figure de Wang Zhenyi (1768-1797) qui est retenue. Astronome, elle rédige plusieurs traités sur la discipline.

Pour conclure avec cette liste non exhaustive, on mentionnera encore l’Étasunienne Creola Katherine Coleman Johnson (1918-2020), excessivement douée pour les mathématiques mais victime de la ségrégation. Elle entre à la NASA et se spécialise dans le calcul de trajectoires.

L’autrice précise encore qu’en 2021, l’Union astronomique internationale (UAI) compte 21 % de femmes et que la première présidente de cette institution a été la française Catherine Césarsky entre 2006 et 2009.

 « Les astres chevelus. Le dévouement des deux Caroline »

Un large focus sur deux grandes figures de l’identification de comètes : Carolina Lucretia Herschel et Carolyn Jean Spellman Shoemaker.

Caroline Herschel est née en 1750 à Hanovre. Littéralement fascinée par son frère William, elle va d’abord le rejoindre en Angleterre puis l’accompagner en tant que choriste. Lorsque William Herschel se consacre tout entier à l’astronomie, il est entre autres l’inventeur de la planète Uranus, elle le suit dans ses travaux.

Caroline Herschel, en août 1786, découvre une comète et perçoit dès lors un salaire. Elle devient ainsi « la première femme au monde à être payée pour faire de l’astronomie (p.56) ». Elle poursuit ses observations et découvre huit « astres chevelus » tout au long de sa carrière scientifique. Elle va également réviser avec brio le catalogue stellaire de Flamsteed. A la fin de sa vie, elle est une véritable « sommité » scientifique, devenue en 1835 membre honoraire de la Société royale d’Astronomie, membre de l’Académie royale irlandaise en 1838 et décorée de la médaille d’or pour la Science en 1846 par le roi de Prusse. Elle décède à l’age de 97 ans, le 9 janvier 1848.

Carolyn Spellman est née en 1929 au Nouveau-Mexique, à Gallup. Diplômée d’histoire et de sciences politiques, elle débute une carrière d’enseignante. Elle se marie avec le géologue Eugène Shoemaker en 1951. A la fin des années 70, elle se lance dans l’observation astronomique.

En 1983, elle découvre sa première comète, pour en arriver à un total de 32 en onze ans de travail ! Elle a également mis en évidence plus de 800 astéroïdes.

Les époux Shoemaker vont recevoir en 1988 la médaille Rittenhouse, le titre de « Scientists of the Year » en 1995 et en 1996 la médaille de la NASA.

 « La classification des étoiles. La patience d’Annie & Co »

La spectroscopie et sur les grandes figures de Newton, Wollaston, Fraunhofer et Secchi avant de s’intéresser au physicien Edward Charles Pickering (1846-1919).

Ce dernier va être nommé à la tête de l’observatoire de Harvard. Il décide de réaliser un catalogue stellaire indiquant la luminosité (et la position) précise des étoiles. Il est en outre persuadé que la photographie est à même de faire avancer les connaissances astronomiques, notamment par le cumul d’observations que génère cette technologie.

Bénéficiant d’un certain nombre d’évergésies pour mener à bien son projet, il va, pour pouvoir dépouiller toutes les données qu’il récolte, avoir recours au travail féminin.

« Entre 1875 (année où les premières femmes furent engagées) et 1919 (le décès de Pickering), 45 femmes seront ainsi employées par l’observatoire de Harvard, qui se montra pionnier en la matière » écrit Yaël Nazé (p.92). Avec ses collaboratrices, Pickering établit le catalogue Henry Draper (HD) qui repose sur un système de classification renouvelé.

Trois des femmes employées à Harvard sont retenues par l’autrice : Williamina Paton Fleming (elle répartit les étoiles en quatorze groupes, allant des lettres A à O. Elle découvre également plus de 300 nouvelles étoiles variables, 59 nébuleuses, 94 étoiles de type Wolf-Rayet et 10 novae !), Antonia Caetana Maury (à l’origine d’une nouvelle classification spectrale en vingt-deux classes et trois divisions) et Annie Jump Cannon (elle organise les différents types spectraux selon les lettres O B A F G K M, qu’elle divise en dix sous-classes numérotées de 0 à 9. Cette classification est encore utilisée aujourd’hui. Elle a également découvert 277 étoiles variables, 5 novae et une binaire spectroscopique).

C’est ensuite Cecilia Helena Payne-Gaposchkin qui est mentionnée.

Personnage assez extraordinaire, elle effectue des études de sciences puis se spécialise en astronomie. Elle comprend que la classification des étoiles O B A F G K M correspond à une suite de températures décroissantes. Elle parvient également à déterminer la composition des étoiles.

Yaël Nazé écrit (p.134) qu’elle souhaitait que l’on souvienne d’elle « non pour ses idées ou ses découvertes, mais pour ce qu’elle appelle le « principe de Payne-Gaposchkin » : un scientifique doit constamment se demander si ce qu’il recherche est son propre avancement ou celui de la Connaissance …».

Le chapitre contient en outre un encart didactique de grande qualité sur l’utilisation du diagramme HR pour Hertzsprung et Russel, diagramme qui permet de saisir l’âge et la distance des amas stellaires.

 « Les étoiles pulsantes. La révolution d’Henrietta »

La personnalité et aux découvertes de Henrietta Leavitt.

Issue d’un milieu puritain, Henrietta Leavitt se passionne toutefois pour les sciences et entre en 1895 comme assistante à l’observatoire de Harvard. Elle devient bien vite une très grande spécialiste des étoiles variables (elle en découvre plus de 2400).

Elle met également en évidence la relation entre la période et la luminosité des étoiles changeantes.

Yaël Nazé écrit (p.165) que la relation (période-luminosité) de Leavitt a permis une double révolution dès son élaboration : montrer que le Soleil ne se trouve pas au centre de la Voie lactée, et que cette Voie lactée n’est qu’une galaxie parmi d’autres… cette relation sert encore aujourd’hui et est considérée comme un outil de choix. Et pourtant, si la loi de Kepler ou les lois de Newton portent bien le nom de leur découvreur, la relation période-luminosité semble avoir perdu son créateur en cours de route ! ».

« Les usines stellaires. Le non conformisme de Margaret »

Margaret Burbidge baigne dans un univers de sciences. En 1939, elle obtient un diplôme en astronomie. Elle travaille ensuite à l’observatoire de Londres Elle part ensuite à Yerkes (Wisconsin). Elle travaille ensuite à Cambridge puis part en Californie. Avec son mari et deux autres scientifiques (Hoyle et Fowler), elle rédige un article scientifique célèbre, le B²FH. Ils y affirment tous les quatre que les éléments se seraient progressivement formés au sein des étoiles.

Margaret Burbidge est également l’une des premières à calculer la vitesse de rotation des galaxies et à en déduire leur masse. Elle s’intéresse également aux quasars et en publie, avec son époux, le premier livre complet. Elle obtient également la direction de l’observatoire de Greenwich et est élue présidente de l’American Astronomical Society en 1976.

« La matière noire. Les interrogations originales de Vera »

Vera Rubin décroche son diplôme d’astronomie en 1948 et rejoint, à la suite de son mari, l’université de Cornell (État de New York). Lors de ses travaux, elle trouve que « des galaxies de même magnitude s’éloignent plus vite dans une direction du ciel que dans l’autre (p.199) ».

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, elle prouve que l’Univers n’est pas homogène.

Vera Rubin devient la première astronome à observer, en toute légalité, à l’observatoire du mont Palomar.

Vera Rubin déduit également de ses observations qu’il « doit exister dans les galaxies de la matière non lumineuse dont il faut tenir compte dans le calcul des vitesses de rotation (p.208-209) ».

Elle a reçu la médaille nationale des Sciences en 1993, le prix Russel et la médaille Watson en 1994 ou encore la médaille d’or de la British Royal Astronomical Society en 1996, la seule femme à l’avoir obtenue avant elle étant Caroline Herschel.

Les phares de l’espace. La découverte incroyable de Jocelyn

Jocelyn Bell est née à Belfast en 1943. En 1965, elle obtient un diplôme de physique puis elle entame une thèse sous la direction d’Antony Hewish dans le groupe de radioastronomie de Cambridge. Ce dernier charge Jocelyn Bell de construire une antenne géante afin de pouvoir détecter des quasars qui sont des galaxies dont le noyau est un gigantesque trou noir.

Jocelyn Bell s’exécute et va mettre en évidence l’existence de pulsar. Pour la découverte de ces « phares de l’espace, Jocelyn Bell ne recevra pas le Nobel qui ne sera attribué qu’à son directeur de thèse, Hewish. En dépit de cette injustice, elle sera gratifiée de nombreux prix et distinctions dont la médaille Herschel en 1989 et la grande médaille de l’Académie des Sciences françaises en 2018.

Écrit dans un style alerte, Femmes astronomes est un ouvrage stimulant qui répond aux objectifs de son auteur : placer sous les projecteurs des scientifiques de renom qui, du fait de leur sexe, ont parfois été purement oubliées ou ne sont pas entrées dans les mémoires collectives au même titre que des Copernic, Kepler ou Hubble.

Des encarts très didactiques complètent les chapitres pour permettre de se familiariser avec les notions d’astrophysiques abordées.

L’ouvrage constitue une source de premier ordre pour qui souhaiterait alimenter une séquence consacrée aux découvertes scientifiques ou à la place des femmes dans la société.

Grégoire Masson