Claudine Cohen est directrice d’étude à l’EHESS et spécialiste de la préhistoire. Après un premier ouvrage paru en 2003, réédité en 2013, La Femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale qui abordait l’histoire des préjugés qui influencent la vision des femmes aux temps les plus lointains, elle offre au lecteur l’occasion d’aller plus loin grâce à une argumentation très finement documentée. Au-delà des systèmes de croyance qui magnifient la matriarche, elle scrute la place des femmes dans la société, leur participation aux techniques, leurs savoirs liés aux activités de cueillette et s’interroge sur les rapports de domination, avec la prudence inspirée par une réalité lointaine accessible par bribes, des traces chaque jour plus nombreuses grâce à la découverte de nouveaux sites.

Les propos de l’auteur sont, dès l’introduction, resitués dans le cadre des gender studies et des apports de l’ethno-archéologie face aux préjugés longtemps véhiculés .

L’apparition de la femme

Ce premier chapitre s’ouvre sur l’évocation de « Lucy » et sur les imaginaires de la femme préhistorique. L’inventaire des sources d’information : les ossements dont l’identification est souvent malaisée voire controversée permettent d’entrevoir l’intérêt des études sur l’ADN nucléaire qui pourrait révolutionner quelques points de vue.
Les vestiges culturels des figurations sont ensuite confrontés aux représentations (roman, peintures, films). Ces formes de vulgarisation sont analysées : quels apports de la science dans la construction des représentations sur la femme préhistorique ?

L’aube de la représentation féminine: l’image, le corps, le sexe

La Vénus à la corneAbri Lausel, Dordogne introduit la réflexion sur la nature et le sens des représentations modelées ou sculptées de femmes découvertes lors de fouilles.
Depuis les premières ébauches au paléolithique supérieur, la représentation met en avant les rondeurs du corps et le sexe de la femme, souvent sans tête. Se pose alors la question de la signification et l’évolution de l’interprétation, du regard porté sur ces vestiges culturels.

La reproduction, la famille

Ce que peut nous apprendre le site de KostienskiDans la vallée du Don, Russie, qui fournit des éléments sur l’agencement d’un habitat datant de 25 000 ans.
La femme est, bien sûr, un élément majeur de la reproduction, une place entre évolution biologique et normes sociales. Ces interrogations sont rapportées aux travaux des théoriciens de l’évolution comme Darwin mais aussi des anthropologues (Chris Knight, Karen Hawkes…). Elles posent la question de la naissance de la séduction, de la famille, le rapport entre reproduction et vie sociale.

Travaux de femmes

Y a-t-il différenciation des tâches entre hommes et femmes ? Si oui, depuis quand ?
L’auteur présente les scénarios et contre-scénarios élaborés depuis les années 1950. Aujourd’hui, on s’accorde à dire que les femmes comme les hommes participent à l’acquisition de la nourriture, même si on sait peu de choses sur la préparation des repas.
L’étude des populations actuelles de chasseurs-cueilleurs ouvre des perspectives intéressantes quant à la répartition des tâches, des savoirs, des espaces parcourus.
Des questions demeurent :

  • Quelle place des femmes dans la taille du silex ?
  • En l’absence de vestiges (écorces, peaux, fibres), quelles sont les techniques utilisées ?
  • Quelle évolution au néolithique ?
  • Enfin, point important, l’interrogation sur la partition des femmes aux expressions artistiques. Des études récentes évoquent leur rôle, par exemple avec les mains négatives de la grotte de Pech Merledans le Lot, pages 145-146.

Savoirs et pouvoirs

Les stèles dressées de l’âge du bronzeEn Aveyron et dans la région de Béziers dans la deuxième moitié du IIIe millénaire introduisent la réflexion sur la vénération, le respect dû à des hommes et/ou à des femmes.
L’auteur rappelle l’existence depuis l’Antiquité d’un mythe du matriarcat primitif, réactivé aux XVIIIe et XIXe siècles.
Les femmes ont, sans doute dès l’époque préhistorique, des connaissances même lacunaires sur la reproduction : ce savoir leur conférait-il un pouvoir?
L’auteur évoque l’hypothèse du rôle prépondérant des femmes dans la connaissance du monde végétal, de la cueillette à l’agriculture, et le met en parallèle avec les cultes à la fécondité de la terre, la grande déesse comme symptôme de la néolithisation.

Violence, hiérarchie, domination

Après l’image d’un homme de Cro-Magnon «armé d’un gourdin, traînant sa conquête par les cheveux»page 197 où en est-on aujourd’hui ?
La réflexion porte sur la place de l’exogamie, les violences masculines envers les femmes ? A-t-on des preuves ?
Des études récentes suggèrent des violences collectivesGran Dolina d’Atapuerca, Espagne. Ces traces semblent plus fréquentes au mésolithique et au néolithique.
La moindre valorisation des femmes parait confirmée par les marques de sous-alimentation plus fréquentes chez les femmes. On retrouve ces aspects dans le récent ouvrage sur les Préhistoires d’Europe paru dans la collection « Les Mondes anciens ».

De la préhistoire au présent, évoqué en conclusion, montre l’influence des théories féministes dans le renouvellement du questionnement sur la femme préhistorique sans nécessairement leur donner raison.