Un communauté française présente avant le conflit
La France du Second Empire adopta, dès le début du conflit, une position de stricte neutralité. Mais, au fil des mois, isolément ou par petits groupes, des centaines de Français traversent l’océan atlantique pour offrir leur service à la cause de leur choix. Alors qu’Alexis de Tocqueville Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville 1805 – 1859 – De la démocratie en Amérique, publié en deux livres, le premier en 1835, le second en 1840. venait de prédire l’essor irrésistible de cette toute jeune nation, les fracas de la guerre et son cortège d’horreurs allaient jeter, durant quatre années terribles, des millions de personnes dans les affres de la pénurie et de la misère. Peu connue du grand public français, la guerre de Sécession, restée longtemps l’apanage des chercheurs américains, sort peu à peu de son ethnocentrisme. Le prisme quelque peu déformant de l’étude des batailles et des grandes figures laisse le jour à l’étude critique des problèmes sociaux – hormis l’esclavage – aux aléas diplomatiques et à l’impact des événements internationaux. Comme l’indique Farid Ameur, il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir apparaître l’émergence des revendications des minorités et la présence importante de groupes culturels sur le territoire américain pour que de nouveaux chercheurs s’intéressent désormais à la participation des immigrants à la guerre de Sécession. Ainsi, depuis la fin des années quatre-vingtsBurton W., Melting Pot Soldiers : The Union’s Ethnic Soldiers, Ames, Iowa State University Press, 1988.. conscients de la pertinence d’étudier les effets de la lutte sur la société américaine, plus personne n’ignore aujourd’hui les acquis et les progrès de la recherche historique sur ce sujet. Les immigrants ont joué un rôle considérable dans le conflit, y compris à l’effort de guerre de chaque camp. On estime qu’environ 500.000 Foreign-born participèrent, pour plus de la moitié dans les armées du Nord, à cette guerre civile. Bien entendu, les études sur les immigrants eurent droit à des inégalités de traitement avec une prépondérance pour les Allemands ou les Irlandais, suivis par les Anglais, Canadiens, Mexicains ou encore Italiens. Farid Ameur vient combler cette carence avec une première étude sur la participation des Français qui ne se résume plus, désormais, à quelques figures romantiques.
Une résistance de la communauté française à l’américanisation
A la veille du conflit et malgré les restrictions des autorités impériales qui s’échinent à détourner les départs de Français en direction des colonies, ces derniers participent malgré tout à l’immigration et à cet appel de l’Amérique qui ne cesse, depuis sa création, d’attirer de plus en plus d’hommes et de femmes. Le pays est vaste, les institutions sont neuves et libres (pacte constitutionnel de 1787), le développement économique en plein essor tranchent avec les soubresauts et les révolutions en Europe. Cette nouvelle terre promise devient le fantasme de nombreux jeunes qui espèrent y faire fortune. L’explosion démographique du pays coïncide aussi avec la famine de la pomme de terre en Irlande, la paupérisation des campagnes allemandes et les troubles sociaux qui secouent l’Europe notamment en 1848. Selon une étude statistique du gouvernement américain de 1866, les Foreign-born représentent près de 13,01 % de la population totale. Cependant, les immigrants français n’aspirent pas, a contrario des autres communautés, rester aux États-Unis. Ils espèrent retourner en France après avoir fait fortune. Ils exaltent ainsi leur différence culturelle, entretiennent le culte, par nostalgie ou bravade, de la mère patrie, ne se précipitent pas avec entrain dans le creuset de nationalités proposé par le Nouveau-Monde et restent volontairement à l’écart du mainstream (courant d’opinion dominant à un instant donné) en pleine fermentation. Leur répugnance à lever la barrière de la langue est un des signes les plus profonds de cette résistance communautaire Keskydees pour Qu’est-ce qu’il dit ?, sobriquet donné aux immigrants Français en Californie posant sans cesse cette question aux traducteurs.. Car malgré l’attrait de la jeune république pleine de promesse et de prospérité, l’Amérique reste, pour les Français, une zone de transit tout au plus, un espace d’opportunités sans lendemain. La communauté française porte en elle les germes de la division. Elle n’a pas d’influence, reste hétéroclite, désunie et disparate. Sur toute le territoire américain, les Français restent dispersés. An New-York, ils sont noyés par le gigantisme déjà de la ville millionnaire. A la Saint-Louis, les French born ont cédé le pas et la gestion des affaires aux Américains. Idem en Californie. Partout, les implantations de communautés utopistes périclitent, comme à La Réunion dans la banlieue de Dallas où l’expérience de la colonie fouriériste de Victor Considérant tourne à la débandade. Même son de cloche à Cheltenham, dans le Missourri ou à Corning dans l’Iowa où les disciples d’Etienne Cabet ne se compte plus que sur les doigts de la main à communier autour de l’idéal communiste CREAGH R. (dir.), Les Français des Etats-Unis, d’hier à aujourd’hui, Montpellier, Espaces 34/université de Montpellier III, 1994.. Pire, isolés et où qu’ils se trouvent, les Français relâchent leur lien et se dénigrent entre eux alors que la propagande du Second Empire se plaît à les décrire comme des immigrants solidaires. Ces hommes et femmes démontrent ainsi qu’ils ont importé avec eux les clivages politiques, sociaux, religieux, économiques de la société du Second Empire.
Farid Ameur, en s’intéressant aux French-born, cette population qui conserve comme principal lien son origine, a voulu voir comme la colonie française avait vécu la guerre de Sécession et son déroulement. Les quatre années d’hostilité ont représenté une épreuve dont personne n’avait pu prévoir la longévité et surtout l’ampleur. A défaut de tracer une ligne de conduite ou de consolider ses structures et de renforcer les liens unissant ses membres, la guerre de Sécession risquait de briser définitivement la communauté française et de la diriger à marche forcée vers l’américansiation, ce à quoi elle avait toujours été rétive. Cependant, enrôlé par milliers sous les drapeaux, ce sont ces volontaires que l’auteur a voulu étudier. La participation a ce conflit représente donc la forme la plus aboutie à l’effort de guerre. Et ce contribution militaire de la communauté française n’est pas anodine puisqu’elle fut, dès le départ, illégale. Au nom de la neutralité qu’il entendait observer, Napoléon III interdit à ses sujets résidant en France ou à l’étranger de s’engager, sous peine de poursuite, dans les armées belligérantes. Aux contrevenants, il brandi également la perte de la nationalité française. Le but de cette étude importait également de pénétrer au cœur de l’expérience de ces Français, d’exposer leurs motivations, leurs conditions d’engagement et de suivre leurs parcours dans les armées américaines. Afin d’appréhender la diversité des profils, l’étude a été étendue à la classe des aventuriers, mercenaires et chevaliers errants venu offrir leurs épée depuis le Vieux Continent.
Je ne peux que vivement recommander ce livre, très bien structuré, doté d’une abondante bibliographie et sources américaines. Il s’agit donc, avant tout, d’une étude portant sur les Français déjà installés en Amérique puis rejoins par d’autres immigrants. La guerre de Sécession servi, ainsi, de puissant catalyseur à l’immigration française. Une lecture passionnante qui nous éclaire sur l’attitude de nos lointains aïeuls et sur les clivages de la société du Second Empire !
Bertrand Lamon
Les Clionautes