C’est à la rencontre d’un véritable personnage d’épopée que nous convie Alain Rustenholz dans son ouvrage Du drapeau rouge à la tunique bleue – Sur les traces de Charles Marche : de la révolution de 1848 à la guerre de Sécession.

Charles Michel Marche, dit « Marche jeune », est né dans le département de l’Eure, à Nonancourt, le 16 janvier 1819.

Il est ouvrier mécanicien-tourneur au chemin de fer du Nord à la Chapelle et il entre dans l’Histoire, pour avoir, le 25 février 1848, obtenu, auprès du gouvernement provisoire, le décret sur l’organisation du travail.

Si son arrivée dans l’Hôtel-de-Ville a laissé des souvenirs contrastés, comme le relève Alain Rustenholz, voici comment le socialiste Louis Blanc relate « l’irruption » du jeune ouvrier (p.25) : « Nous étions occupés de l’organisation des mairies, lorsqu’une rumeur formidable enveloppa tout à coup l’Hôtel-de-Ville. Bientôt, la porte du conseil s’ouvrant avec fracas, un homme entra, qui apparaissait vraiment à la manière des spectres. Sa figure, d’une expression farouche alors, mais noble, expressive et belle, était couverte de pâleur. Il avait un fusil à la main, et, ardemment fixé sur nous, son œil bleu étincelait. Qui l’envoyait ? Que voulait-il ? Il se présenta au nom du Peuple, montra d’un geste impérieux la place de Grève et, faisant retentir sur le parquet la crosse de son fusil, demanda la reconnaissance du droit au travail ».

Charles Marche est le dépositaire d’une pétition que Garnier-Pagès (p.28) présente de la sorte: « A Messieurs les membres du gouvernement provisoire, le soussigné Aug.Bijon de Lancy, rédacteur de la démocratie pacifique, chargé par une députation d’ouvriers ; Ils demandent : 1°L’organisation du travail, le droit au travail garanti ; 2°Le minimum assuré pour l’ouvrier et sa famille en cas de maladie ; le travailleur sauvé de la misère lorsqu’il est incapable de travailler, et ce par les moyens qui seront choisis par la nation souveraine ». Louis Blanc se chargera de rédiger le décret par lequel le gouvernement provisoire, au nom de la République, s’engage à donner du travail à tous les citoyens.

On prête encore à Charles Marche, la phrase célèbre mais, a priori apocryphe dans sa bouche, « nous mettons trois mois de misère au service de la République ».

Marche prend encore une part active dans les mouvements du 16 avril 1848, du 15 mai 1848 et également dans la grève qui agite les chemins de fer du Nord. Son obédience politique est, au moins en juin 1848, le blanquisme (il figure « au bureau » d’un club politique blanquiste, p.69).

Quelques années après,son choix est fait de l’outre-Atlantique : « Les Marche débarquent à New York, le 14 juin 1853, après un mois de mer dans l’entrepont, à plus de cinq cents adultes et vingt-huit enfants (p.99) ». L’auteur note encore, à propos des Marche (p.99), que « leurs quatre années new-yorkaises sont largement un trou noir. On ne peut les lire qu’entre les lignes de la communauté quarante-huitarde internationale, le distinguer en filigrane du groupe de moins de 6 000 français, et loin d’être tous des quarante-huitards, d’une ville d’un demi-million d’habitants ».

Marche, le 10 juin 1857, fait l’acquisition de 120 acres de terre ans le comté d’Osage (à 150 km de Saint-Louis)

Il s’engage, le 14 juin 1861 dans la compagnie D d’un bataillon de gardes territoriaux unionistes. Marche s’enrôle pour une durée de trois ans (l’auteur pose la question d’une éventuelle nécessité économique) et, le 1 novembre 1861, « à Pacific, comté de Saint-Louis, Marche devient l’un de ces Boys in Blue » écrit Alain Rustenholz (p.133).

Marche devient cuistot à l’hôpital de la 32e brigade, 7e division, 17e corps d’armée. Le 1er mars 1863, il demande une permission et ne reparaît plus. Il est arrêté le 22 janvier 1864 et traduit devant une cour martiale. Il invoque pour sa défense une blessure et l’impossibilité de rejoindre sa compagnie après que celle-ci se soit mise en mouvement. Reconnu coupable, il est condamné à trois mois de prison militaire à Nashville.

Il obtient toutefois le 25 août 1868, la « nationalité américaine à titre militaire (p.143) ». Il finit sa vie dans un établissement de combattants volontaires invalides, à Leavenworth. Il y décède de vieillesse le 23 mars 1893 et y est enterré sous le nom de Charles Marsh, « en uniforme bleu, parmi les autres Boys in Blue (p.150) » .

Alain Rustenholz s’est attaché au personnage de Charles Marche et il offre, dans ce livre dense, regorgeant d’anecdotes et cherchant à intégrer Marche au flot de l’Histoire, une lecture enthousiaste et dynamique d’un individu au parcours pour le moins singulier.

Grégoire Masson