La coupe du monde en Afrique du Sud est terminée et elle ne laissera pas un souvenir à la hauteur de la production papier l’ayant précédée et accompagnée jusqu’au début du mois de juillet. Emerge de cette intense bouillonnement journalistique et livresque le présent ouvrage qui tire à boulets rouges sur la compétition reine du ballon et son grand ordonnateur, la FIFA. Point de complaisance à attendre des trois auteurs, deux doctorants en sociologie (Ronan David et Fabien Lebrun) et un politiste (Patrick Vassort), fustigeant tout au long de 137 pages états, multinationales, footballeurs, organisations internationales, journalistes dans une dénonciation globalisante du football et de ses dérives et allant jusqu’à espérer la disparition du football. Mais le contenu ne se résume pas à une attaque en règle du sport mondial par excellence et on y trouvera aussi, au fil des pages, un portrait d’une Afrique du Sud en proie à la violence et aux inégalités en tous genres.

En effet, quels contrastes entre les reportages télévisés sur le parc Kruger, les journalistes saluant la merveilleuse organisation de la compétition par les Sud-Africains et l’envers du décor décrit ici ! Nous sommes d’accord avec les auteurs lorsqu’ils expliquent que l’Afrique du Sud présentée aux visiteurs n’est qu’une version aseptisée de la réalité du pays : des townships ou plutôt des portions exigües de townships sécurisés pour touristes et sportifs, peu ou pas d’incidents sauf quelques vols et rares agressions, une population heureuse d’accueillir la coupe du monde, des paysages de cartes postales… Et les auteurs de rappeler certaines réalités. Le pays d’Afrique référence en termes économiques, de participation à la mondialisation est aussi celui de profondes inégalités qui tendent à se creuser, d’une violence endémique et, conséquence de ces deux phénomènes, de l’érection de quartiers sécurisés pour populations fortunées, de maisons protégées par hauts murs et fils électrifiés et de l’action d’une police toujours mieux équipée, usant souvent d’une violence disproportionnée (notons l’arrestation musclée d’un journaliste français « coupable » de vouloir prendre des photos du bus de l’équipe de France). Ségrégation sociale donc mais aussi taux de chômage élevé, espérance de vie en baisse liée à la pandémie du sida, inégalités pour l’accès à l’eau, absence de redistribution réelle et à grande échelle des terres qui dessinent les contours d’un pays bien loin de la nation arc-en-ciel espérée par le pouvoir.

Dans ce contexte, les auteurs s’étonnent, plus s’insurgent de l’organisation de la coupe du monde de la FIFA en Afrique du Sud contre laquelle ils emploient des termes très durs (fascisme, totalitarisme), s’en prennent enfin au gouvernement sud-africain et à la FIFA. Ces deux derniers louent les retombées positives de l’événement sur l’Afrique en général et le pays organisateur en particulier mais des questions sont posées et des affirmations sont assénées :

*A quoi bon construire des stades ultramodernes dans un pays où une grande partie de la population ne peut accéder aux services de base ? D’autant que certains d’entre eux ont été élevés dans des villes dont on se demande ce qu’elles feront de ces infrastructures une fois la fête terminée.

*Que penser de l’Afrique du Sud présentée aux étrangers ? Une Afrique du Sud découpée entre zones accessibles, présentables et zones non-accessibles et déconseillées, un pays disneylandisé pour les touristes, les médias et bunkerisé pour leur éviter toute fâcheuse aventure.

*La FIFA n’est pas venue pour l’Afrique mais pour investir l’Afrique et investir, avec ses associés, en Afrique, dernier marché après l’Amérique (World Cup 1994) et l’Asie (World Cup 2002). Partenaires et sponsors envisagent l’Afrique du Sud comme une porte d’entrée du continent africain. Et même sur le plan strictement sportif, les infrastructures et réseaux établis pour l’occasion n’auraient pour seul objectif que de « détecter et produire » du footballeur pour les championnats européens. Or il est avéré que beaucoup partent effectivement, fournissant une main d’œuvre meilleure marché que l’européenne mais peu sont élus et nombreux sont ceux dont la vie rêvée se transforme en cauchemar.

Il serait naïf de croire que la FIFA est une « gentille » organisatrice soucieuse du bien-être des Africains et dénuée de toute arrière-pensée ; bien sûr elle mène des actions et les sponsors aussi mais participant d’une stratégie globale. Les auteurs rappellent que les messages distillés par l’organisation sur les bienfaits du football ne sont que fadaises mais, in fine, qui le croît ? Même dans le grand public, qui pense réellement que le football et l’instant coupe du monde peut véritablement changer un pays, une situation économique, réduire des inégalités ? Certainement pas une majorité de Français revenue bien vite du mythe « Black-Blanc-Beur » de 1998.
Aucun élément positif ne semble avoir pouvoir sauver l’organisation et le sport dirigés par Sepp Blatter. Les auteurs rappellent les compromissions des élites du football (voir Paul Dietschy, » Histoire du football », http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2942) avec le fascisme italien (1934), la dictature argentine (1978) ou encore l’absence de prise en compte des situations économiques et sociales des pays désignés (Chili 1962) comme si la coupe du monde était une compétition hors-sol. Développant l’exemple sud-africain, ils soulignent la présence de pays où les droits de l’homme sont peu ou pas respectés et, faut-il le rappeler, l’Afrique a obtenu la coupe du monde car Sepp Blatter, élu par ses voix, a introduit la règle de la rotation continentale, permettant ainsi la tenue de la compétition sur le continent africain.

Il y aurait donc bien quelque chose de pourri dans le royaume du football et si le lecteur n’était pas encore convaincu, il lui suffirait de lire le dernier chapitre sur les pratiques sexuelles entourant les dernières coupes du monde pour l’en convaincre.

Ce livre détonne, son contenu peut déranger l’amateur de football mais il ne peut totalement l’étonner. Peut-être que la férocité de la charge tient au choix de l’Afrique pour l’évènement le plus regardé dans le monde, choix tournant le dos à l’éternel afro-pessimisme et en cela, il est une bonne chose. Mais à la suite de ce premier constat, on ne peut s’empêcher de penser avec les auteurs, que l’Afrique, et l’Afrique du Sud, ont d’autres chats à fouetter que d’accueillir 32 délégations et la longue caravane de la coupe du monde même si la reconnaissance n’est jamais vaine.