Des contributions variées regroupées en quatre grandes parties qui conduisent le lecteur dans les divers massifs français avec des incursions dans d’autres pays européens.
Connaître, gérer
La première contribution nous entraîne dans le Jura et loin dans le temps avec une étude des pollens. Comment ils nous renseignent sur les premiers défrichements : trace à la fois des changements du couvert forestier, du climat et de l’impact des activités humaines. L’étude montre une évolution graduelle des paysages en lien avec les pratiques agropastorales du 5ème millénaire avant J.C. jusqu’au XXème siècle.
C’est ensuite le regard du médiéviste qui fait l’inventaire des sources, montre l’intérêt de la toponymie et de l’apport récent de la palynologie. Ces diverses sources permettent une chronologie des défrichements, mettent en évidence le rôle des religieux puis des laïcs et les effets sur la structuration de l’espace.
Quittant le Jura pour la Haute-Durance c’est l’exploitation des mines et le charbonnage qui retiennent l’attention, des pratiques gourmandes en bois car entre le Xème et le XIIIème siècle l’abattage minier se faisait par le feu. Les restes de charbon de bois sont pour l’historien une source importante tant pour la datation que la connaissance des techniques employées et complètent les traités miniers qui furent publiés entre le XVIème et le XIXème siècle. L’auteur détaille un exemple la mine du Fournel mine d’argent et de plomb dans la région de Briançon entre 1000 et 1500 m d’altitude, ce qui permet de mettre en relation l’extension de la forêt de mélèzes et montre des traces d’une gestion raisonnée pluriannuelle.
Les forêts savoyardes d’altitude connaissent entre le XIIIèmè et le XVIème siècle une gestion communautaire. L’analyse montre que les communautés ont défendu leurs droits d’usage face aux seigneurs pour en contrôler les ressources (bois d’œuvre, bois de chauffage) et qu’elles ont tenté une gestion durable de ces espaces
L’œuvre de Colbert va marquer la gestion forestière incarnée en particulier par Louis de Froidour.. En Pyrénées il va, à partir du règlement de 1670, proposer une gestion des bois de montagne qui en fait un précurseur de la « forêt jardinée » reprise au XIX ème siècle par Etienne-François Dralet.
La Grande Réformation (1665-1673) est reprise dans la contribution suivante. Cette réforme forestière si elle marque l’ensemble des forêts françaises a un impact important sur les boisements pyrénéens et méridionaux non sans provoquer des heurts avec les populations et les pouvoirs locaux. L’implantation d’une administration forestière visait à pérenniser la ressource et à acheminer les bois nécessaires pour l’armée et la marine.
Le dernier chapitre de cette première partie très historique porte sur les usages industrielles et la gestion des forêts de la Grande Chartreuse par les moines. A partir de 1660 les Chartreux développent l’activité métallurgique sur le Guiers, les besoins en bois sont importants d’autant que le bois sert aussi aux besoins du monastère et des populations qui en dépendent (bois d’œuvre et chauffage) et au développement d’une activité de vente aux marchands et artisans du massif et des villes proches. A la même date les moines participent à la fourniture de bois pour la marine, résineux pour la mâture, hêtres et frênes pour les rames des galères. L’auteur montre comment et pourquoi l’exploitation forestière est devenue une activité rentable et analyse le mode de gestion des immenses forêts non soumises à la tutelle des eaux et forêts.
Vivre, survivre
Sur le versant oriental des Vosges se déploie un paysage ouvert de moyenne montagne. Le pays welche se caractérise par un équilibre entre exploitation forestière et agriculture, un habitat dispersé lié à l’AOC Munster, un paysage identitaire dans une zone où on parle un patois roman. L’évolution récente, depuis 1950, est marquée par une reprise de la forêt qui représente aujourd’hui une ressource en bois énergie alors que le verger autrefois dévolu à la production d’alcool de fruits recule. Les arbres demeurent une composante essentielle du paysage.
En Vercors l’histoire du maquis est étroitement liée à l’exploitation forestière. Alors que l’économie de guerre intensifiait la production de charbon de bois, les forêts du massif accueillaient une population nombreuse de bûcherons et charbonniers: immigrants italiens, réfugiés politiques, jeunes des chantiers de jeunesse chargés d’alimenter les villes en bois de chauffage. En 1943 l’instauration du STO transforme la forêt en refuge pour les réfractaires, s’y côtoient résistants, main d’œuvre de l’exploitation forestière avec la complicité des gardes forestiers. L’exemple d’Ambel et quelques photographies illustrent l’article.
Au sud des Alpes, un territoire frontalier, la Ligurie alpine, lieu d’un agropastoralisme de subsistance en déclin depuis les années 70 est aujourd’hui en quasi-abandon. C’est l’occasion à partir de l’exemple de Montegrosso-Pian-Latte d’analyser les pratiques d’estive et les divers usages du bois notamment la fabrication traditionnelle de l’outillage de fromagerie. L’auteur montre comment cette zone est devenue un espace touristique et quelles modifications cela entraîne comme le sens même des fêtes pastorales.
Retour aux XVI et XVIIème siècles dans les Vosges à la recherche des sorcières, après un rappel général du phénomène et quelques dates repères, l’auteur analyse la répression en Lorraine entre 1560 et 1630: temps de crise et de pauvreté, rôle et moyens de la justice ecclésiastique.
Restaurer, renforcer
Plusieurs contributions sont consacrées au service de R.T.M. Restauration des Terrains en Montagne. Sont ainsi abordés le contexte de déforestation et d’inondations en plaine qui explique les mesures prises à partir de 1860, le travail de photographie engagé alors qui constitue un fond documentaire de grande valeur, une source pour un enseignement des risques naturels (notamment les séries conservées dans les services départementaux), une réflexion sur la conservation de cette source d’information et sa dimension pédagogique aujourd’hui comme au XIXème siècle en direction des populations de montagne Quelques clichés reproduits ici donnent une bonne idée de leur intérêt..
On peut établir une chronologie des politiques de restauration depuis les grands acteurs tel Paul Mougin pour la Savoie, de la prévention des crues torrentielles au renouveau après les grandes avalanches de 1970 à Val d’Isère et Passy. L’auteur évoque le bilan positif mais s’interroge sur la capacité de l’O.N.F. et de l’État à pérenniser ces actions dans un contexte de rigueur budgétaire.
Un détour en Europe donne une dimension plus large avec l’exportation du modèle français en Bulgarie où le service R.T.M. est mis en place dès 1883, l’article en tire le bilan vers 1960. En Espagne les reboisements aux sources du Guadalquivir mis en œuvre après 1940 ont été marqués par une politique pleine de raideur administrative et des conflits sociaux importants liés au problème foncier.
Protéger, exploiter
C’est par une histoire des forêts de protection que commence cette quatrième partie. Jusque vers 1800 la forêt connait une gestion locale et autarcique par les communautés même si très tôt les États ont cherché à réglementer comme le Sénat de Savoie en 1559. Le rôle du pouvoir central va croissant pour répondre aux risques d’érosion. Depuis les années 1960 la demande de sécurité vient du développement touristique : zonage des risques et recherches menées à Grenoble par l’I.R.S.T.E.A.
Sur ce même sujet une seconde contribution met en lumière un paradoxe:le développement de recherches sur le rôle de protection des forêts et une gestion qui fait qu’aujourd’hui ce sont des boisements vieillissants, des propriétaires privés peu intéressés et des contraintes budgétaires qui pèsent sur la gestion O.N.F.
Quatre pays alpins (France, Suisse, Italie, Autriche) un même souci: délimiter des zones pour la forêt de protection. Les auteurs analysent les méthodes et principes de zonage : détermination de la zone d’aléas, quantification de la capacité de la forêt à maîtriser cet aléa, déterminations des priorités en matière d’actions sylvicoles. Chaque type d’aléa est présenté et les actions comparées selon les pays.
Un chapitre est consacré à une étude de cas suisse : de la surexploitation à la sous-utilisation de la forêt du Mont-Chemin au-dessus de Martigny. Sont abordés la nature des peuplements, les relations ville-forêt, les anciennes activités minières, les difficultés de rajeunissement et les polémiques associées.
Trois courts chapitres ramènent le lecteur en France Tout d’abord dans le Haut-Jura où.paysage et identité locale évoluent du XIXème siècle à nos jours avec la place du sapin,. Puis dans les Vosges une étude fait le point sur le développement récent du bois énergie. Enfin c’est l’histoire paysagère du massif de Donon qui retient l’attention: richesse archéologique, scieries et verreries pré-capitalistes, place actuelle du tourisme
Des contributions variées toujours intéressantes qui rappellent que la forêt a une histoire.