Ce nouveau numéro de la revue Hérodote, en multipliant les exemples de terrain et les analyses critiques, constitue un outil de premier ordre pour comprendre les liens entre géopolitique et changement climatique. À travers des contributions variées, il examine comment les choix politiques, économiques et sociaux exacerbent ou atténuent les effets du changement climatique dans des contextes géopolitiques diversifiés. Sa richesse en fait une ressource incontournable pour les enseignants d’histoire-géographie, permettant d’aborder avec les élèves des problématiques contemporaines complexes à travers des études de cas variées et bien documentées. Plus qu’un simple état des lieux, ce numéro invite à une réflexion approfondie sur les responsabilités partagées et les défis globaux dans un monde en mutation.

 

Une mise en perspective critique

L’éditorial de Béatrice Giblin met en garde contre les discours simplistes et alarmistes, soulignant l’importance de comprendre les interactions entre nature et société. Gaïa Febvre prolonge cette réflexion dans son analyse des Conférences des parties (COP), dénonçant leurs lenteurs et la présence de lobbyistes, tout en reconnaissant des avancées, comme l’inclusion de la sortie des énergies fossiles dans les débats. Elle insiste sur le rôle crucial des mobilisations de la société civile pour accroître l’ambition climatique et combler l’écart entre décisions politiques et besoins des populations.

Gary Dirks, Stéphane Grumbach et Sander Van Der Leeuw explorent la croissance numérique, révélant ses implications écologiques et sécuritaires. La dépendance énergétique du numérique et son rôle dans la militarisation sociétale posent des défis interconnectés entre technologie et transition écologique.

L’Asie en première ligne : défis climatiques et rivalités géopolitiques

Les contributions de Sylvie Fanchette ainsi que d’Yves Duchère et Mai Hue Nguyen se concentrent sur les défis asiatiques. Les grands deltas asiatiques, comme le Mékong, sont au cœur de tensions entre développement économique et préservation environnementale. Sylvie Fanchette critique le « mantra » de l’adaptation, souvent imposé par le Nord, tout en mettant en lumière les risques d’aménagements dévastateurs. Yves Duchère et Mai Nguyen examinent la stratégie chinoise au Vietnam et au Cambodge, où les investissements intensifs accentuent la vulnérabilité socio-environnementale des territoires.

Jean-Luc Racine élargit cette perspective en étudiant l’Inde, où la crise climatique souligne des tensions internes et régionales. Le partage des ressources hydriques transfrontalières et la politique climatique internationale de l’Inde révèlent une posture stratégique oscillant entre coopération et affirmation identitaire.

Afrique et Amériques : entre vulnérabilité et adaptation

L’Afrique, décrite par Roland Pourtier ainsi que par Blaise Bémadji, Médard Ndoutorlengar et Christine Raimond, illustre une réalité où les crises environnementales sont souvent le reflet de problématiques socio-politiques. Le cas du lac Tchad et des zones humides du Sahel montre comment pauvreté, démographie et gouvernance défaillante accentuent les migrations et les conflits. Roland Pourtier souligne l’importance d’une analyse sur le temps long pour comprendre les dynamiques environnementales, sociales et géopolitiques contemporaines.

En Amérique, Hervé Théry s’intéresse aux conséquences climatiques au Brésil, où des inondations et des basses eaux révèlent des interactions complexes entre gestion énergétique, tensions sociales et politiques publiques. Clara Aubonnet, quant à elle, explore le Canada, où les feux de forêt deviennent un objet géopolitique, reflétant des tensions historiques et économiques qui amplifient la vulnérabilité face aux incendies.

Perspectives et réflexions sur la géographie et l’écologie

Le numéro se conclut avec des analyses théoriques et des réflexions sur les interactions entre géographie et écologie. Philippe Pelletier, dans un entretien éclairant, revient sur l’histoire tumultueuse des relations entre ces deux disciplines. Il examine notamment le rôle joué par les intellectuels germaniques et les institutions internationales dans l’évolution de la pensée écologique, tout en critiquant certaines dérives simplificatrices. Anastasia Protassov, à travers l’exemple de la vallée du Ferghana en Asie centrale, déconstruit la notion alarmiste de « guerres de l’eau », démontrant que des mécanismes de coopération peuvent émerger dans des contextes complexes.

Enfin, Anandi Balada, dans sa lettre du Costa Rica, interroge les limites des politiques environnementales exemplaires face aux défis climatiques, montrant que même des modèles de conservation comme le Costa Rica doivent faire face à des contradictions structurelles.