Qui connaît aujourd’hui François Lay, dit Laÿs ? C’est tout le mérite de l’ouvrage d’Anne Quéruel de rappeler l’itinéraire de ce baryton de l’Opéra de Paris, né à La Barthe-de-Neste (aujourd’hui dans les Hautes-Pyrénées) en 1758 et mort à Ingrandes (en aval d’Angers, Maine-et-Loire) en 1831. Ce livre n’est ni une biographie académique, ni un roman. L’auteur a consulté de nombreux documents, principalement aux Archives nationales (la série AJ 13), et propose une bibliographie qualifiée d’« exhaustive » en fin d’ouvrage (p. 173-175). Pourtant, l’appareil critique est réduit, et le récit se contente parfois de restituer des dialogues ou des épisodes certes vraisemblables mais qui ne s’appuient sur aucune source dûment collationnée.
La révélation d’un talent
L’essentiel est ailleurs cependant. Le lecteur prendra connaissance avec plaisir de « la vie tourmentée » de François Lay. Dès l’âge de 12 ans, le Gascon, à la voix exceptionnelle, est repéré dans son village natal par deux chanoines de Notre-Dame-de-Garaison (à Monléon-Magnoac), célèbre sanctuaire marial de la région. François rejoint le couvent et y déploie son talent ; les occasions de chanter sont en effet nombreuses (p. 15). Le jeune homme, qui songe à se tourner vers une carrière ecclésiastique, est envoyé au petit séminaire d’Auch. Il est invité par un banquier à donner un concert privé ; sa voix fait merveille. C’est à Toulouse qu’un nouveau pas est franchi. François Lay, qui entame un doctorat de théologie, accepte de nombreuses invitations à divers salons mondains. Il rencontre un « avocat à la réputation montante », Bertrand Barère de Vieuzac (p. 18). L’intendant de Languedoc, qui assiste à la grand-messe de Pâques 1779, est séduit, et ordonne aussitôt au Gascon de se rendre à Paris, afin de présenter sa candidature au concours de l’Académie royale de musique. François est engagé comme « doublure baryton » quelques mois plus tard. C’est le début d’une nouvelle vie à l’Opéra de Paris. Pour éviter les moqueries, le jeune homme, à « la silhouette déjà replète » (p. 21), prend un nom de scène : Laÿs.
Les premières années sont celles de la découverte et des exubérances. Avec ses amis Chéron (basse) et Rousseau (ténor), Laÿs prend ses habitudes à Versailles, où il est apprécié par Marie-Antoinette. L’atmosphère est parfois tendue entre la direction de l’Opéra et les chanteurs. François est même emprisonné trois jours en août 1781, quelques semaines après l’incendie de la salle du Palais-Royal. Anne Quéruel restitue bien l’agitation politique de la décennie. François fréquente ainsi un club, Le Lycée, où il rencontre comédiens et gens de robe. Il y écoute avec intérêt le peintre Jacques-Louis David (p. 41 et 60).
De la Révolution à l’Empire
En mai 1789, Laÿs chante à Versailles pour l’ouverture des États Généraux. Le 14 juillet 1790, il chante à la Fête de la Fédération. En 1792, il entonne la Marseillaise devant la municipalité de Paris (voir la chronologie, ici p. 166). Il se passionne pour la chose politique. Admis au club des Jacobins (p. 57), il devient proche de Robespierre. « À la tête d’un groupe d’exaltés de l’Opéra », François organise une forme d’« épuration » à l’intérieur de la grande maison (p. 65), avant de prendre conscience des excès révolutionnaires. Un temps emprisonné à la fin de 1792, il est finalement libéré grâce à son ami, désormais député des Hautes-Pyrénées, Bertrand Barère. Au premier semestre 1793, son interprétation de Figaro n’est pas appréciée par les critiques (p. 74).
C’est dans une atmosphère politique de plus en plus tendue que Laÿs entreprend un voyage dans les Pyrénées. Ce retour du fils prodigue est un succès (p. 79-89). À Paris, le Gascon vit douloureusement les derniers moments de la Convention montagnarde. Entre mars et octobre 1795, il est emprisonné (p. 101), victime de sa proximité avec Bertrand Barère. Même s’il a renié Robespierre, au point d’être la « tête pensante » du 9 Thermidor, selon les mots de Denis Richet (dans le Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 43), ce dernier, orateur hors pair, est une figure majeure de la Terreur, ce que ne souligne pas assez l’auteur (voir, sur ce point, l’ouvrage de Robert Launay, Barère, l’Anacréon de la guillotine, Paris, Tallandier, 1989, 1ère édition en 1929).
Les années suivantes sont plus calmes. François Laÿs parvient à rétablir sa situation. Il est apprécié par Bonaparte. Le 2 décembre 1804, il chante lors du sacre de Napoléon, aux côtés d’Adolphe Nourrit (p. 127). C’est l’apogée d’une brillante carrière.
Les dernières années
Après la chute de l’Empire, l’heure est aux désillusions. Sous la Restauration, le parcours politique de François Laÿs est en effet mal vu. Mis à la retraite en 1826, le Gascon, qui a du mal à faire valoir tous ses droits, se retire avec sa famille sur les bords de la Loire, à Ingrandes, où il meurt en 1831.
Ainsi s’achève un livre fort agréable, qui sait habilement mettre en valeur un personnage exubérant dans un contexte particulièrement complexe. On ne peut que remercier son auteur et son éditeur de Cahors, La Louve. L’ouvrage aurait cependant mérité un index des noms propres et quelques annexes, notamment une liste chronologique des compositeurs et des œuvres interprétées par Laÿs. Ce portrait musical peut en tout cas être accompagné ou prolongé par l’écoute d’œuvres du tournant des XVIIIe et XIXe siècles, par exemple celles de Gluck ou de Gossec.
Luc Daireaux ©