Le présent ouvrage est la traduction française de An Indigenous Peoples’ History of the United StatesAn Indigenous Peoples’ History of the United States, New York, Beacon, 2014, paru en 2014. On remarquera l’infidélité du titre français, toute relative car, en réalité, on a bien là une Contre-Histoire des États-Unis.
Roxanne Dunbar-Ortiz est née à San Antonio (Texas) en 1939. Elle s’est engagée dans les mouvements de libération à partir des années 1960, s’impliquant notamment dans la cause féminisme et celle des Indiens. Elle prend une part active au sein de l’American Indian Movement (AIM) et de l’International Indian Treaty Council, dont le but est de faire progresser le droit des peuples autochtones.
Dans son ouvrage, l’auteur déconstruit l’Histoire des États-Unis, telle qu’on la perçoit et telle qu’elle est enseignée. Elle met en lumière les mythes qui ont été mis en place pour justifier l’accaparement du territoire par les colons immigrés. Le découpage chronologique en est d’ailleurs l’héritage. Et son propos prend une force importante dès lors qu’elle prend le soin de le placer dans un cadre spatial beaucoup plus large. Cela lui permet de mettre fin à l’idée d’un « Nouveau Monde », prétendûment « découvert » par Ch. Colomb, une terre vierge propre à être conquise et mise en valeur. Elle s’attache au contraire à rendre compte de la richesse des activités menées par tout un réseau de communautés complémentaires, qui ont développé une agriculture suffisante pour les faire vivre : on est loin de l’image de l’Indien nomade, chasseur et à peine cueilleur, davantage cousin des hommes du Paléolithique que des paysans européens du XVIe s.
Avec une grande minutie, Roxanne Dunbar-Ortiz décrit l’extrême violence qui a accompagné la progression de la colonisation, véritable « guerre totale » menée contre les communautés autochtones. Elle en retrouve tous les éléments, de l’extermination à la déportation des survivants dans d’infimes réserves qu’on n’a cessé de réduire jusque dans les années 1950. Elle montre l’effort exceptionnel pour effacer les traces de la civilisation indienne, multiforme, qui est allée jusqu’à l’appropriation des squelettes à des fins pseudo-scientifiques, ce qui ramène dans nos esprits le traitement infligée à Sarah Bartmann, la « vénus » hottentote promenée en Europe, et dont la dépouille a été disséquée pour en montrer ce qui sépare l’homme noir de l’homme blanc. Elle montre également comment le droit américain, avec le concept de « pays indien », a contribué à écraser les Indiens en leur déniant toute légitimité à résister.Et cette qualification est restée, à tel point que l’armée américaine l’a utilisée pour désigner le Viêt Nam, et, aujourd’hui encore, tout territoire ennemi.
On a eu là un génocide qui n’a jamais dit son nom. Dès les premières pages, on sent ce que violence qui caractérise la société étatsunienne doit à ce crime originel. De fait, Roxanne Dunbar-Ortiz en fait l’un de ses arguments. Elle va plus loin en montrant qu’elle est le trait fondamental de la politique extérieure du pays : les exactions commises à Guantánamo, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs ne sont pas fortuites. Rien que de bien normal, puisqu’il s’agit de « pays indien ». Dans le même temps, un lecteur occidental ne pourra pas ne pas penser aux conditions dans lesquelles les Européens ont accaparé le monde à partir du XVe s. La récente Histoire populaire de la France, de Gérard Noiriel, va exactement dans ce sens.
Aussi, l’auteur en appelle à une décolonisation des esprits, qui passe notamment par le travail d’historienne qu’elle mène depuis près de cinquante ans. Cela passe également par la reconnaissance des droits fondamentaux des Indiens, à qui sont dus des réparations et d’abord une restitution de leurs terres, de leur dignité, de leur culture, ce qui ne peut se solder par une poignée de dollars.
L’ouvrage de Roxanne Dunbar-Ortiz vient ainsi s’ajouter à la liste des auteurs essentiels qu’il faut lire pour aborder l’Histoire des États-Unis avec beaucoup plus de nuances. On le lira avec d’autant plus d’intérêt qu’un historien comme Howard Zinn n’avait guère abordé l’Histoire des États-Unis sous l’angle des peuples autochtones.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes