Nombreux sont les récits de combattants de la Seconde Guerre mondiale disponibles, mais la plupart concerne les fronts européens. Les combats dans le Pacifique sont largement méconnus ou  bien souvent uniquement par les batailles aéronavales. L’’aspect terrestre des combats est le parent pauvre. Des cartes des offensives américaines, il se dégage une certaine impression de facilité de la progression d’île en île qui ne traduit pas la réalité des combats au sol.

C’est donc une lacune importante que vient combler la traduction en français du livre d’E.B Sledge. Engagé volontaire dans les Marines, il est affecté à la 1ère  division de Marines comme servant de mortier dans une compagnie d’infanterie. Il participe aux combats pour Peleliu et Okinawa qui se trouvent être parmi les plus sanglants en termes de pourcentage de pertes pour les américains lors de la guerre. Il prend des notes qu’il met ensuite au propre pour sa famille, avant que celles-ci ne soient publiées en 1981. Il nous livre ici le récit d’une expérience de guerre riche en enseignements sur ce que fût la violence de l’affrontement américano-japonais. Un ouvrage considéré comme une référence par des spécialistes comme V.D Hanson ou J Lynn.

 

 

Un marine à rude école …

Originaire du sud des Etats-Unis Sledge intègre les Marines comme élève-officier. Il est incorporé dans une école d’officier à Atlanta, à la fin de son année de collège, durant l’été 1943. Mais devant la longueur de la formation, il choisit de rejoindre une unité combattante comme simple soldat. Son récit commence donc avec sa formation en tant que marine.

Alors que sur d’autres fronts, on manque d’homme et que les soldats reçoivent une formation accélérée, ici ce n’est pas le cas. Sledge a droit à 8 semaines de formation de base dans un camp des marines de la banlieue de San Diego jusqu’en décembre 1943.  Il rejoint ensuite le camp Elliot pour perfectionner sa formation de fantassin jusqu’en février 1944. Voyage ensuite de près de 3 semaines en direction de la Nouvelle Calédonie pour parfaire la formation avant de gagner Pavuvu dans les îles Salomon où il intègre le 5° régiment de la 1ère division de Marines et poursuit son entrainement jusqu’à la fin août 1944.

Quel que soit l’endroit, on est frappé par la dimension physique de l’entraînement, le respect de la discipline et la pression mise sur les recrues. Tout cela correspond à la représentation classique que l’on peut avoir d’une formation de marines. Sledge  ne remet pas en question ces méthodes et considère qu’elles ont contribué à le préparer à ce qui l’attendait. Notamment car tout au long de la formation, l’encadrement est assuré par des hommes qui ont connu le feu et peuvent ainsi transmettre leur expérience. Mais c’est dans le récit de son expérience combattante que Sledge se distingue.

En tant que servant de mortier de 60mm dans une compagnie d’infanterie, il est régulièrement en première ligne. Quand il n’appuie pas de ses tirs ses camarades, il est souvent employé comme brancardier pour évacuer les blessés. Il est sur la ligne de front, participe aux débarquements.

Peleliu, le corail sanglant.

Peleliu fait partie de ces batailles peu connues du front Pacifique. Cette ile des Palaos de 12 km² ne semble pas être d’un intérêt stratégique majeur et l’utilité de sa conquête fait encore l’objet de débats chez les historiens militaires. Prévue pour durer quelques jours, celle-ci va durer 10 semaines de septembre à novembre 1944. La 1ère division de Marines y perd plus de  6500 hommes mort ou blessés (65% de pertes à la compagnie K où sert Sledge, 150 hommes sur 235) tandis que les 11 00 défenseurs japonais sont éliminés. Preuve de la détermination japonaise, certains défenseurs réussissent à se cacher jusqu’en 1947….

A Peleliu, les Japonais changent de tactique, fini les charges banzaï suicides, place à une guerre d’attrition, de position et de harcèlement jour et nuit. Infiltrations nocturnes, tirs de snipers mettent à rude épreuve les nerfs des Américains. Toute progression est difficile sur cette île corallienne où il est quasi impossible de creuser des positions pour s’abriter et où règne une chaleur terrible. Les marines souffrent terriblement pour réduire les dernières positions situées sur le « nez sanglant » (les crêtes du mont Umurbrogol). Dans ces rudes  combats  les marines emploient des lance-flammes et sont soutenus par des bombardement au napalm.

Le récit de Sledge est précis, simple et abrupt quant il décrit les souffrances des hommes.  Souffrances physiques mais aussi psychique, comme celle de ce marine qui hurle la nuit et que ses camarades tuent en voulant le faire taire…Ou la stupeur qu’a engendré la perte d’un chef respect le capitaine Haldane   Il nous fait également part de ses interrogations également sur le son comportement personnel et celui de certains de ses camarades qualifiées d’  « asiatiques » parce qu’ils n’hésitent pas à mutiler des cadavres pour ramener oreille, dent en or ou autres trophées…. Il reconnaît d »’ailleurs que c’est grâce à un de ses camarades qu’il évite de  se comporter de même.

 

Okinawa

Okinawa (avril-juin 1945) est une bataille plus connue, mais toute aussi rude. Sur les 65 vétérans de Peleliu qui font encore partie de la compagnie K, seuls 25 en sortent indemnes. Si les tactiques japonaises restent semblables, rendant toujours aussi difficiles la neutralisation des défenses, le milieu lui est autre. Les soldats souffrent de la pluie, parfois même du froid. Les moyens engagés sont cependant bien plus importants, la puissance de feu de l’artillerie américaine  est complétée  par les tirs des cuirassés et les bombardements aériens. Tandis qu’au dessus des soldats passent els kamikazes qui tentent de détruire la flotte américaine. Dans cet enfer, la capitulation allemande du 8 mai 1945 ne provoque guère d’effusion dans les rangs des soldats.

Alors qu’à Peleliu, Sledge était un novice, là il fait désormais partie des vétérans ce qui l’aide à surmonter ses peurs et angoisses. Il porte un regard acéré sur le comportement des nouveaux, simples soldats comme officiers. Comme à Peleliu, certains n’hésitent pas à massacrer, mutiler, en quête de souvenir. Tandis que certains officiers ne saisissent vraiment qu’une fois au feu ce qui les attend. C’est une guerre atroce où la peur de l’adversaire attise la haine. On est ici bien de l’image idéalisée du marine  et de la guerre propre.

En conclusion

Un témoignage de premier ordre qui nous plonge en première ligne avec la compagnie K du 5° régiment de marines. Si Sledge ne remet jamais en cause le bienfondé de la guerre, son expérience constitue cependant un cauchemar qui hantera les nuits de l’auteur bien après la fin de la guerre. Le style de l’auteur, comme les cartes et photographies que contient   l’ouvrage rendent sa lecture comme la compréhension des opérations aisées. Le récit de Sledge est un incontournable pour celui qui veut percevoir l’expérience de guerre ; il a d’ailleurs fait l’objet d’un épisode dans la série The Pacific.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau