Hitler a été l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat. Celle de Maurice Bavaud est sans doute la plus mal connue, et elle a suscité, avec un jugement surprenant en 1955, et une reconnaissance très tardive par la Suisse, une enquête particulièrement minutieuse.
Grand reporter au service international de l’Obs, Jean-Baptiste Naudet a couvert de nombreux conflits à travers le monde. De l’Ukraine il y a encore quelques semaines, jusqu’aux premiers affrontements qui ont suivi l’implosion de l’Union soviétique, alors qu’il était encore étudiant à l’école supérieure de journalisme de Lille, Jean-Baptiste Naudet fait partie de ces reporters de guerre, présents au milieu des combats, hantés par ce démon du savoir et du dire.
Il a aussi compris que le terme « histoire » signifiait enquête. Et c’est bien à cet exercice qui se livre, en faisant œuvre d’historien à propos de la trajectoire, souvent mal connue de ce jeune homme qui s’est mis en tête, alors qu’il est séminariste en Bretagne, de tuer Hitler, qu’il considère comme une incarnation de Satan.
Maurice Bavaud est issu d’une famille catholique de Neuchâtel, particulièrement pieuse, et il apparaît comme un enfant plutôt introverti, assez torturé par la notion de péché. Il entretient une relation très particulière avec l’Eglise catholique, très attaché à la liturgie et au rituel grégorien.
C’est dans ce séminaire de Saint-Ilan qu’il noue une amitié fusionnelle avec Marcel Gerbohay un jeune breton, particulièrement charismatique, qui se considère comme l’un des survivants de la famille impériale russe assassinée par les bolcheviques dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.
Avec quelques camarades séminaristes, les deux amis constituent une fraternité, une société secrète qui se fixe comme objectif cette mission de vouloir changer le cours de l’histoire, quitte à pratiquer l’assassinat, malgré le cinquième commandement.
Le livre projette le lecteur dans cet univers intime qui est celui de Maurice, ses doutes, ses angoisses aussi. Il décide effectivement d’agir tout seul, après avoir quitté le séminaire, et parvient assez facilement à se procurer une arme, un pistolet de dame très peu efficace au-delà de 5 m, et à suivre Hitler dans ses déplacements. Il parvient à l’approcher à Munich, lors de la cérémonie commémorant le putsch de la brasserie, le 9 novembre 1923. Il est à quelques mètres de Hitler lorsque les bras tendus par les SA pour le salut nazi l’empêchent d’ajuster son tir. Le récit de Jean-Baptiste Naudet commence par cet épisode mais examine minutieusement aussi bien les préparatifs que l’autre tentative, celle qui a conduit le séminariste jusqu’à la résidence privée de Hitler, les Berghof, dans les Alpes bavaroises.
Cet individu isolé à très peu de chances de parvenir jusqu’à sa cible, même si la description qui est faite de l’environnement dans lequel Hitler se déplace, montre qu’un homme isolé, mieux préparé, et surtout prêt à mourir, aurait pu réussir son projet.. Un autre individu isolé, Georg Elser avait été très proche de réussir un attentat, à la bombe cette fois-ci.
Maurice essaye encore une fois d’accéder à Hitler en se rendant au quartier général du parti nazi à Munich. S’il pénètre assez facilement dans les locaux, c’est pour s’entendre dire que le Führer se trouve à Berchtesgaden. Un échec encore une fois ! Il n’a plus d’argent, dépense ce qui lui reste au buffet de la gare et prend le train pour Paris sans billet. Le 13 novembre 1938 il est arrêté par la police ferroviaire, pour absence de billet, et comme ressortissant étranger livré à la Gestapo de Augsburg. La police nazie découvre le pistolet, les munitions, une photo de son ami breton Marcel Gerbohay, la fausse lettre de recommandation est un étrange ordre de mission manuscrit : « cet homme est sous ma protection immédiate et n’a rien fait qui ne soit selon mes ordres. »
Le trajet vers l’enfer vient de commencer
Dans les chapitres suivants, Jean-Baptiste Naudet décrit la mécanique judiciaire nazie. Il n’est pas question ici de trouver la moindre considération pour les droits de la défense, mais ce qui est remarquablement décrit se trouve dans l’apparence de justice, dans le caractère minutieux de l’enquête. La Gestapo a du mal à imaginer une initiative purement individuelle. Et l’enquête sera particulièrement minutieuse, puisque, après de multiples séquences de torture, Maurice livre l’identité de son ami Marcel.
On retrouve le condamné à mort dans la prison de Plotzenzee à Berlin en 1940. Les exécutions étaient initialement prévues à la hache, mais en 1937 les services pénitentiaires s’équipent d’une guillotine en acier. Maurice essaie d’écrire à ses parents, prie, tandis que la Gestapo poursuit ses investigations. Maurice a livré le nom d’Émile Jacquot, le chef de la section de l’association catholique de la jeunesse française de Saint Ilan.
La veille de son exécution il est informé du rejet de recours en grâce de Hitler. Après 16 mois en prison, trois mois d’attente insoutenable depuis sa condamnation à la peine capitale, Maurice marche vers l’ancienne remise à outils de briques rouges où se trouve la guillotine. Il a vu l’ombre de la mort et marche dans les ténèbres comme dans les jours. » (Livre de Job, 15:17).
Jusqu’au dernier moment, la machine judiciaire tourne sans le moindre accroc. En toc et aux jeux sombres, le procureur demande le nom du condamné, vérifie son identité. Un court extrait de la sentence élue avant que ne claque la formule rituelle : « bourreau, faites votre devoir ».
Pour 60 marks par tête, le bourreau appuie sur le bouton. La nuque rasée craque sous le couperet aiguisé comme un rasoir, les jambes se dressent secouées de convulsions, un arc de sang jaillit.
En ce matin du 14 mai 1941, Maurice Bavaud qui voulait tuer Hitler est décapité à 25 ans. Comble de la cruauté, lors des exécutions les familles reçoivent la facture. Pour celle de Maurice, deux marks 70, de frais d’enregistrement. un marc 50 par jour de détention préventive et par jour de prison, 80 marks 62 frais d’avocat, 300 marques de frais de condamnation à mort, 158 marks 18 de frais d’exécution et 12 pfennigs de frais d’expédition de ladite facture.
Deux ans plus tard, à la suite d’une minutieuse enquête, Marcel Garbohay est également exécuté.
Au-delà de ce qui peut apparaître comme la cruauté ordinaire d’un régime politique qui a commis tant de crimes, c’est l’épilogue qui mérite l’intérêt. On notera que les services diplomatiques de la confédération helvétique, alors que la Suisse était neutre, n’ont absolument rien fait pour obtenir la grâce de leurs concitoyens. C’est seulement en 1955, qu’à la demande de la Suisse et de sa famille Maurice Bavaud a été à nouveau jugé en première instance, par un tribunal de Berlin. Il a été condamné à nouveau pour tentative de meurtre. Les juges allemands ont alors estimé que « la vie Hitler méritait une protection juridique ». Mais la peine a été réduite à cinq ans de prison, assortie de cinq années de perte des droits civiques. Et c’est seulement en 1956, qu’il est acquitté par la cour d’appel de Berlin, parce que « il n’y avait pas eu de réalisation immédiate du but de tuer Hitler ». La famille reçoit une indemnité de 40 000 Fr.
Jean-Baptiste Naudet est allé au bout de son enquête. Il a pu rencontrer le frère cadet de Maurice, et à partir de 1976, l’écrivain Rolf Hochhut révèle au grand public cette affaire. Dans les années 80 un film documentaire de Villy Herrmann, il fait froid dans le Brandebourg réhabilite le séminariste suisse. Une plaque commémorative est apposée à Neuchâtel.
Journaliste de presse écrite, Jean-Baptiste Naudet a toujours ce mot juste, cette description précise, cette écriture rigoureuse, qui manque trop souvent aujourd’hui. Raconter une histoire, donner à voir, mais surtout à comprendre, c’est sans doute ce qu’il a commencé à faire à la fin des années 80. Au moment où l’on peut constater que les reporters de guerre, peuvent aussi périr dans les combats, comme Frédéric Leclerc-Imhoff, ce livre qui retrace la destinée d’un homme seul, montre que c’est toujours face à soi-même que l’on accomplit son destin.