La Chine a fait l’actualité sportive et diplomatique de cet été, elle continue à être très présente dans l’actualité éditoriale de la rentrée 2008. Nombreux ont été les éditeurs à consacrer un volume de leur publication à ce géant démographique qui ne cesse de fasciner. Les éditions Lars Müller Publishers ont pris le parti de publier un livre de photographies : celles d’Andreas Serbert, un photographe free lance suisse, qui vit à Tokyo depuis 1997 et s’intéresse à l’Asie. Serbert publie ses photos dans Courrier International, Géo, Newsweek

Les photos présentes dans ce volume ont été exposées en septembre à Winterthur (Canton de Zurich). Un documentaire sur ce travail doit sortir en 2008. Les textes qui accompagnent les photos sont ceux d’un couple d’écrivains chinois et d’un professeur d’histoire (Université Japan Campus).

Après cinq ans d’enquêtes-voyages, Andréas Serbert a voulu montrer que, par le destin de cette population, on peut étudier les mutations de la Chine. Au-delà de la recherche d’une vie meilleure, ces migrations entraînent une déstructuration des sociétés et des familles. Ces photos sont le fruit des rencontres entre le photographe et des mingongs qui ont accepté de livrer une partie de leur vie. Cette population flottante (malgré l’existence du hukou mis en place dans les années 1950) a émergé à partir des années 1980 pour accompagner l’essor économique voulu par Deng Xiaoping. Ces mingongs seraient 150 à 200 millions.

L’exode rural permet de répondre à la forte pression sur les terres qui existe dans les campagnes à cause des fortes densités démographiques. Il permet à l’économie chinoise d’être ce qu’elle est. L’apport financier, technologique et culturel des migrants dans leur village de départ est un facteur de modernisation.

Toutes ces avancées ne sont possibles que grâce au travail de cette population qui ne rechigne pas à l’effort, voire au sacrifice. Souvent mal payée, avec retard, cette population ouvrière ne dispose d’aucune protection sociale (du fait de son absence d’existence légale). Exposée à des matières dangereuses, elle est victime de maladies que l’on qualifierait de « maladies professionnelles » et mise en danger en permanence. A l’échelle de cette masse salariale, les chiffres mis en avant par les auteurs donnent le vertige : 10 000 mains amputées par an suite à des accidents avec des machines. Les occidentaux se rappellent de ces malheureuses ouvrières mortes dans l’incendie de leur atelier de fabrication de jouets en 1993 à défaut d’avoir pu sortir du bâtiment en flammes en raison de la présence de barreaux aux fenêtres et au fait que les issues de secours avaient été condamnées. L’adoption d’une loi en 2008, qui impose l’élaboration et la signature d’un contrat de travail est un progrès, mais, reste une toute petite avancée face à l’ampleur de la tâche qui attend la Chine dans ce domaine.

Ce coup de projecteur que nous offre Andreas Serbert sur cette population de l’ombre donne une vision apocalyptique de la croissance chinoise. Le feuilletage de ce volume amène immanquablement le lecteur occidental à s’interroger sur son mode de vie. Si les supermarchés de nos contrées offrent des produits manufacturés à si bon marché, c’est au prix des conditions de travail de ces travailleurs. L’environnement est aussi bien présent dans ces photographies : un environnement pollué et dégradé par les activités humaines. L’ensemble fait penser au volume édité par les éditions Textuel et Amnesty International (Samuel Bollendorff. A marche forcée. 2008). Malgré tout, la vision d’Andréas Serbert est plus « riante ». Au-delà des images de paysages pollués, de la misère de ces hommes et femmes, apparaît de la vie. La publication des photographies du voyage de M. Zhou à destination de son village natal ou celle des migrants en quête d’un bus ou d’un train pour rentrer chez eux pour les fêtes du Nouvel an est une très bonne idée. Malgré tout, le volume se termine avec les images d’un nouveau voyage au village de M. Zhou (auquel le livre est dédié). Celui-ci, décédé d’une maladie au foie, est désormais enterré là.

L’organisation des JO de Pékin s’est accompagnée d’un coup de projecteur sur les conditions de vie de ces ouvriers bâtisseurs des sites olympiques. Le travail de Serbert s’inscrit dans cette vague, même si les photographies publiées ont été sélectionnées parmi 10 000 clichés réalisés entre 2002 et 2008. L’ambiance qui se dégage de son travail est semblable à celle que proposait l’exposition de la Cité du patrimoine et de l’Architecture cet été. Il semble que l’Occident découvre les revers de cette croissance dont elle a bien profité à titre individuel, dans le cadre de la mondialisation.

Pour aller plus loin :
http://mingongs.com/

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