Ce numéro de la revue Horizons Maghrébins présente un dossier issu d’une recherche (dont les grandes lignes sont présentées en pages 100-102) : La migration prise aux mots, récits, circulation des imaginaires et dynamiques sociales dans les migrations ouest-africaines ce qui constitue une ouverture vers le sud pour ce média consacré au Maghreb. Il accueille aussi deux hommages à des hommes de dialogue entre les cultures: François de Ravignan, agroéconomiste décédé en 2011 et au théologien Jacques Levrat.
Dossier Migrations
Les auteurs rappellent que la migration est un phénomène ancien dans les sociétés africaines, leurs propos est de rechercher, d’analyser les productions culturelles autour de la migration tout en les replaçant dans leur contexte historique, anthropologique et sociolinguistique?
La Route
Quatre articles décrivent le voyage rêvé ou vécu.
On y trouve une analyse de la place des mouvements migratoires dans le cinéma et la littérature africaine de Sembène Oousmane à Alain Gomis. Une étude des contes initiatiques peuls rapportés par Amadou Hampâté Ba rappelle la place du nomadisme dans les sociétés africaines et la recherche d’un paradis perdu : le pays de Heli et Yoyo.
A travers la route Mali-Maroc il est question d’un danger longtemps tu : les violences sexuelles subies par les migrantes et leurs conséquences durables et dramatiques.
Les migrations soudanaises étudiées mettent en lumière la complexité des migrations entre tradition mystico-religieuse dans le récit des Soninkés ou des Mandingues, nécessité économique des migrations vers l’Europe ou voyage de l’étudiant vers la ville marocaine de Fès. L’auteur montre à la fois la figure positive de l’aventurier et l’image plus contestataire donnée par les artistes (Alpha Blondy ou Tiken Jah Fakoly)
La frontière
« Aller ailleurs » , franchir une frontière symbolique autant que réelle amène, essentiellement chez des hommes jeunes (18 – 35 ans), à une identité particulière de soi décrite à partir d’une chanson de rap algérien « oh la mer ».
un second article est consacré à la mise en mot de la frontière et de l’expérience des migrants comme lieu obstacle et mythe à la fois.
Traversées et renversements
Dans les romans marocains et mauritaniens existe un personnage emblématique des migrants sud-sud : l’esclave transsaharien étudié dans 4 récits, une occasion de découvrir une littérature peu connue.
La mise en récit de l’expérience douloureuse de la migration vers l’Europe montre les préjugés diffusés dans les discours du pays de départ comme du pays d ‘accueil. références bibliographiques utiles.
L’analyse de « 2103, le Retour de l’éléphant » de l’auteur tunisien Abdelaziz Belkhodja annonce une inversion du regard avec la description d’une cité utopique installée au sud de la Méditerranée et qui devient lieu de destination de migrants venus du nord. Le voyage de John vers Carthage autorise une comparaison en une autre lecture des réalités nord-sud.
L’interview de Saïd Messari, invité du numéro nous invite à la découverte de la peinture marocaine contemporaine.
François de Ravignan, une passion pour la terre et ses petits paysans
Divers témoignages rappellent les analyses de cet agronome sur les causes de la faim dans le monde, ses méthodes pour décrire le travail paysan en Afrique mais aussi dans les Corbières, son intérêt pour le développement local. Les nombreux écrits très respectueux des peuples qui l’ont accueilli sont mis en valeur comme l’attention qu’il portait aux paysages. Un bel hommage à un grand témoin de l’évolution des campagnes dans la seconde moitié du XXème siècle.
Jacques Levrat: l’homme su livre et du dialogue interreligieux
D’autres témoignages rendent hommage à ce chercheur et militant du dialogue islamo-chrétien, toujours à l’écoute de l »autre.
Je suis historienne moderniste de formation: histoire rurale et histoire culturelle. Par mes engagements associatifs en faveur des actions de coopération et de développement je suis particulièrement intéressée par l'histoire de l'Afrique et d'Haïti et plus généralement l'histoire de la colonisation mais aussi la situation aujourd'hui et l'avenir.
Bruno Modica est chargé de cours en questions internationales et chargé de formation au CNED de Lille
Il était temps que cette revue dont nous n’avons de cesse de souligner la qualité consacre un numéro à ce continent que l’on présente souvent comme l’oublié ou le perdant de la mondialisation. Les articles des spécialistes, géographes, économistes et experts des relations internationales viennent à tout le moins apporter quelques nuances.
Dans son éditorial, le rédacteur en Chef, Serge Sur ouvre sur un constat troublant, celui d’un éloignement de l’Afrique et de l’Europe, caractéristique selon lui d’une revanche de ces peuples, colonisés par l’Européen et qui trouvent en Asie ou aux Etats-Unis de meilleures possibilités pour assurer leur développement.
De son côté l’Europe a dépensé sans compter, du moins c’est qu’elle affirme, pour aider l’Afrique à sortir du sous-développement, avec des résultats pour le moins mitigés. Les ONG représentent, mais en partie seulement une alternative aux aides bilatérales ou multilatérales sans que l’on puisse espérer baser sur celles-ci un développement durable.
L’Afrique est riche d’un potentiel humain important, de ressources encore mal mises en valeur. Elle a besoin de trouver en elle-même les moyens de sa stabilité politique. Encore faut-il que les puissances qui convoitent ses richesses lui laissent la possibilité de le faire.
Roland Pourtier, le Président de l’association des géographes français analyse les sociétés en mutation dans le continent. Il affirme d’emblée que le changement social, avec ses gagnants et ses perdants est en marche. Le géographe se situe au marges de l’histoire en évoquant les changements dans la longue durée.
Si la traite et la colonisation ont désorganisé les sociétés, elles ont toutefois constitué le terreau des mutations qui s’accélèrent depuis les indépendances. Des cultures hybrides naissent, associant ainsi des traditions ébréchées et une aspiration à l’universalité, pour le meilleur et parfois pour le pire.
C’est la ville qui est le lieu privilégié du changement, ce qui n’est pas forcément positif, notamment pour cette quête de l’autosuffisance alimentaire. Toutefois, dans un continent très faiblement urbanisé et où la quasi totalité des villes ont été fondées par les colonisateurs, l’air de la ville, comme on le disait au XVIIIe siècle en Europe, rend plus libre qu’ailleurs.
C’est la diffusion des technologies de l’information et de la communication, les TIC, qui joue un rôle d’accélérateur des mutations africaines. Pour la téléphonie mobile, le Continent est le marché le plus prometteur du monde et la diffusion des terminaux est suivie de très près par les grands opérateurs mondiaux.
L’article de François Lafargue fait d’ailleurs le lien avec celui qui précède, à savoir un intérêt accru pour l’Afrique sub saharienne de la part des grandes puissances et des pays émergents comme la Chine et l’Inde.
L’Afrique est ainsi au cœur d’une rivalité mondiale, à la fois pour ses ressources mais également, on l’a vu pour l’immense marché qu’elle représente à terme. La Chine on le sait vient en Afrique contrer les États-Unis, les puissances européennes, et notamment la France perdant sans cesse des positions. Cette dernière reste le second partenaire commercial du sous-continent derrière la Chine et devant les États-Unis.
La Chine trouve en Afrique un débouché pour ses produits manufacturés à bas pris et un moyen d’assurer sa sécurité énergétique. Des interventions diplomatiques en direction de pays peu fréquentables comme le Soudan ou le Zimbabwé lui assurent également une clientèle dans les enceintes internationales.
Pour les États-Unis on différenciera les actions des compagnies pétrolières nationales et l’intervention plus politique visant à éviter que certains États, comme le Soudan, ne deviennent des bases arrières du terrorisme transnational. Les États-Unis sont également présents en Afrique avec une seule base militaire à Djibouti.
L’Inde tout comme le Brésil renforcent également leurs positions. Avec des atouts différents de la Chine néanmoins. Bien entendu pour l’Inde les matières premières sont une puissante motivation, Arcelor Mittal, exploite des mines au Sénégal, mais le pays est également présent sur le plan militaire dans le cadre de missions de l’ONU. Les pays africains peuvent aider l’Inde à obtenir ce siège de memnre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies qu’elle convoite.
Le Brésil, ancienne colonie portugaise cherche également à jouer les liens historiques avec ses homologues du continent noir. Le Mozambique comme l’Angola faisant partie de l’espace lusophone.
Cet empressement des nouveaux venus dans le pré carré africain est ressenti en France comme une menace. La Françafrique est de plus en plus mal perçue et le discours de Dakar, dont parle plus loin dans ce numéro Yves Gounin, risque de laisser des traces profondes.
Il est d’ailleurs à craindre que cette compétition au chevet de l’Afrique ne vienne favoriser une nouvelle mansuétude à l’égard des régimes autocratiques les moins présentables. On s’éloigne de plus en plus des pieuses intentions du discours de la Baule, même si, sous la présidence de Mitterrand, la Françafrique a bien fonctionné.
Ce que l’auteur de l’article juge toutefois positif, c’est que cette compétition au chevet de l’Afrique, amènera à renforcer les aides publiques au développement. Reste à savoir si celle-ci ne sera pas une fois de plus engagée pour la réalisation d’éléphants blancs, au détriment, encore une fois des populations.
Nathalie Delapalme, revient pour sa part sur les relations de voisinage avec l’Union européenne. On sait par ailleurs que l’Union a développé, et même encouragé une politique de voisinage avec ces pays issus du démantèlement de l’URSS, comme l’Ukraine ou la Moldavie. L’idée est d’éviter que les populations de ces états ne migrent massivement vers les pays nouvellement entrants, essayant par là même d’accéder à l’eldorado dune Union européenne à fort niveau de vie. Lors de l’ouverture à l’Est de l’Union, les pays africains ont craint, avec juse raison d’être les grands perdants de cet élargissement, les européens étant plus enclins à aider les pays d’Europe que des états africains où l’ assistance économique avait tendance à se perdre dans les sables de la mal gouvernance.
ll est clair que l’irruption en Afrique Subsaharienne des pays émergents a favorisé un redéploiement de l’Union, avec une meilleure articulation des politiques comme la mise en place de structures affectées. (Facilités pour l’eau avec 500 millions d’€ et une aide spécifique sur projets. Le partenariat stratégique a été adopté en décembre 2007, il a le mérite d’exister mais il est encore trop tôt pour en évaluer les effets.
L’article de Roland Marchal revient sur un inventaire utile des conflits en cours en Afrique, et notamment reprend très justement, pour la critiquer la lecture simplement ethnique des conflits. La globalisation a sans aucun doute changé la donne et on en revient à des confrontations liées à des volontés d’appropriation des ressources, même si le facteur ethnique est toujours présent mais plus déterminant.
Les années 90 ont vu se développer des guerres civiles mais aussi des conflits inter étatiques.
Dans le même temps la notion de sécurité ne se limite plus aux États, mais porte également sur les individus, la sécurité publique étant cette fois ci au cœur des préoccupations des populations.
L’idée des Nations Unies est de développer des politiques de sécurité qui soient prises en compte par les africains eux-mêmes, avec notamment une assistance à la formation des personnels. L’Union européenne a développé également des actions de substitutions aux interventions nationales, et notamment françaises, même si c’est toujours Paris qui est le plus engagé dans ces missions en afrique centrale et occidentale.
Cet article est également illustré par une carte des opérations de paix déployées en Afrique et des flux de réfugiés. On voit que la République démocratique du Congo, le Soudan, la Somalie et même encore le Sahara ex-espagnol sont les zones les plus concernées par le problème depuis 1990.
Une synthèse précieuse de Moussa Cissé sur les organisations régionales en Afrique, avec une carte, montre qu ele processus d’intégration est déjà, au moins sur le papier bien avancé, mais il se heurte aux intérêts des grandes puissances qui maintiennent avec une politique de clientèle leur moyens de pression, voire d’intervention sur les États pris isoléments. Les structures comme l’Union du Maghreb arabe, ou la communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest sont des coquilles vides.
Deux articles de Guillaume Fine et Philippe Hugon reviennent sur les perspectives de développement de l’Afrique. Le premier auteur voit dans la constitution de réseaux autour des ONG une solution viable, permettant d’impliquer la société civile et de se substituer aux États tandis que Philippe Hugon estime qu ele dynamisme de l’Afrique est à chercher autour de son potentiel en terme de population et de matières premières convoitées. Pour autant, la manne pétrolière est présentée en l’état actuel comme une malédiction pour l’Afrique, encourageant des comportements de rentiers et ne favorisant pas le développement tandis que la flambée des prix des produits alimentaires touche directement les populations.
Pour changer de continent on citera également un article d’Elizabeth Picard, spécialiste du monde arabe qui revient sur la situation au Liban, une situation toujours bloquée par l’hypothèque Chiite et Syrienne qui joue sur une carte iranienne toujours présente.
Enfin Alexandra Novosselof et Franck Neisse reviennent sur les murs dans le monde, après la chute du mur de Berlin. On se heurte donc aux motivations qui animent les États qui construisent ces séparations physiques entre les hommes. On trouve des barrières électrifiées entre le Botswana et le Zimbabwe, une construction entre l’Arabie séoudite et le Yémen, la frontière américano mexicaine, et bien entendu le mur en Cisjordanie entre Israël et le réduit palestinien. Certes la fonction est défensive, la construction est à l’initiative du plus riche ou du plus puissant mais le mur de Berlin a montré en sont temps qu’il n’est pas de barrière étanche au désir de liberté ou au désespoir des hommes.
Agrégé d'histoire, Chargé du cours d'histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA) Chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l'ENA. (2001-2006) Enseignant à l'école supérieure de journalisme de Lille entre 1984 et 1993. Rédacteur/correcteur au CNED de Lille depuis 2003. Correcteur de la prépa. Sciences-po Paris. Master 1. Rédacteur CAPES ( CNED Vanves) Rédacteur du cours prépas IEP Professeur d'histoire-géographie au lycée Henri IV …