Comment l’Entente, aux armées réputées comme les moins bien commandées a-t-elle pu vaincre une armée allemande considérée comme meilleure?

L’auteur, François Cailleteau, est inspecteur général des finances mais est aussi ancien chef du contrôle général des armées de 1989 à 1994. Son étude porte sur les raisons du succès des forces de l’Entente dans la Première guerre mondiale. De par sa formation, l’auteur s’intéresse aux moyens matériels et humains mis en œuvre, mais il n’en oublie pas pour autant la dimension psychologie d’un conflit total.

gagner la grande guerre

Une guerre d’usure inattendue

L’ouvrage montre bien le niveau de préparation des différents belligérants : des plans préétablis de longue date, des armées nombreuses, des opinions publiques sensibilisées.. Mais il analyse aussi le décalage entre les écoles de pensée des différents états-majors persuadés d’une victoire rapide. Et la réalité des forces et moyens en présence qu’ils n’ont pas su voir.
Sur le plan humain, la croissance démographique et le recours à la conscription fournissent des millions d’hommes sous les drapeaux. Cela permet d’absorber de nombreuses pertes et de tenir des fronts étendus. Comment, dans ces conditions, a-t-on pu croire que le sort du conflit pouvait être réglé par une bataille décisive ?
Pourquoi, alors même que l’évolution des matériels favorise la défensive, a-t-on privilégié l’offensive ? L’utilisation, dans les conflits précédents, d’armes à la puissance de feu destructrice (mitrailleuses, fusil à tir rapide) capable de briser les assauts ennemis n’a pas été prise en compte par les généraux. Comme ils n’ont pas assez pris en compte la question de l’approvisionnement des troupes, vitale, dans une guerre moderne. Celui qui avance, s’éloigne de ses dépôts, de ses réserves, doit construire ses lignes de communication en terrain hostile. Alors que le défenseur raccourcit les siennes, se rapproche de ses réserves. Cela limite toute possibilité de percée décisive et facilite les contre-attaques.

Une guerre perdue par l’état-major allemand

L’auteur démontre la supériorité tactique de l’armée allemande tout au long du conflit, aussi bien dans l’emploi des hommes que des armes (chars exceptés). Une supériorité qui explique que les pertes allemandes soient inférieures à celles de leurs adversaires durant la plus grande partie du conflit. Mais ces gains tactiques ne font pas gagner une guerre mondiale.
La critique porte surtout sur les choix opérés par l’état-major allemand. Des choix imposés au pouvoir politique et qui ne tiennent pas compte des réalités de la politique internationale. Pour l’auteur, le choix de l’offensive était possible en 1914, mais contre les Russes et non contre les Français. Car le plan Schlieffen précipite l’entrée en guerre du Royaume-Uni dans la guerre, une offensive à l’Est n’aurait pas eu les mêmes conséquences politiques, et sur le plan militaire, en permettant de sortir la Russie plus tôt du conflit et aurait évité les désastres subis par les austro-hongrois. Des déboires qui obligèrent les Allemands à soulager leur allié sur tous les fronts. Même critique de la guerre sous-marine à outrance, qui en entraînant les Etats-Unis dans le conflit, fait plus qu’annuler les bénéfices de la victoire sur la Russie.
Une prise de risque qui continue avec les offensives de 1918 qui finissent de priver l’armée allemande de ses meilleurs éléments, la rendant incapable de résister à la poussée alliée de l’été.

Mais pas gagnée pour autant par les états-majors de l’Entente.

Les plans alliés n’apparaissent pas meilleurs. Les offensives françaises de l’été 1914 sont aussi meurtrières qu’inutiles. L’auteur rappelle que celles des années suivantes avaient pour but de libérer un territoire envahi, ainsi, s’imposaient sur le plan militaire comme sur le plan politique.
Mais un choix stratégique bien mal appliqué par les généraux sur le terrain. Ce qui conduisit à des pertes bien supérieures à celles de l’adversaire. L’écart ne se réduisant que très lentement tout au fur et à mesure de l’apprentissage du combat par les troupes.
Des généraux qui ne sont pas les seuls fautifs, les intrusions des politiques dans le domaine militaire causant aussi de nombreux déboires : l’intervention du tsar Nicolas dans les opérations militaires ou le désir de Churchill de forcer les Dardanelles ne sont pas des réussites.

Un facteur humain déterminant.

Si l’Entente l’a emporté, c’est que dans cette guerre d’usure, elle a su mobiliser davantage d’hommes, et maintenir la cohésion de son camp.
La mobilisation humaine s’imposait pour combler les pertes. L’analyse montre que, globalement, chaque camp a mobilisé une part équivalente de son potentiel humain. Mais l’Entente a pu augmenter ses forces en élargissant son vivier humain grâce à ses troupes coloniales. Et, surtout, par sa capacité à trouver de nouveaux alliés dont l’intervention permit de fixer une partie des forces ennemies (dans le cas de l’Italie) ou de fournir les hommes nécessaires aux offensives finales (Américains).
A partir de l’analyse des différents facteurs de cohésion des armées et des populations, l’auteur montre les différences d’évolution. A l’exception de l’effondrement de la Russie, les évènements de 1917 (mutineries françaises, désastre italien de Caporetto), ne remettent pas en cause la cohésion des armées et des populations de l’Entente. Tandis que les empires autoritaires voient peu à peu se creuser le fossé entre militaires et civils. Leurs Etats, comme leurs armées, finissent par se dissoudre.

Au final, on regrettera l’absence d’une vraie bibliographie (seules quelques références en note de page) et de cartes. L’ouvrage ne réduit pas le conflit à un affrontement franco-allemand, il rend aux autres fronts, souvent peu connus, leur place. Une synthèse qui traite aussi bien des aspects civils que militaires du conflit, mettant bien en évidence son caractère de guerre totale. Un ouvrage qui permet une bonne approche du premier conflit mondial.
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