Le compte-rendu de cet ouvrage se télescope avec une actualité dramatique : les dernières semaines ont vu Johannesburg être le théâtre d’affrontements ethniques violents, affrontements témoins d’une misère extrême, celle d’une société fragmentée et très inégalitaire.
Depuis la fin de l’apartheid (1994), aucune émeute aussi grave n’avait eu lieu. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’aucun incident n’a pris pour cible la population blanche. Quelles explications peut-on alors tenter d’avancer ?
L’ouvrage de Sabine Cessou, même si ce n’est évidemment pas son ambition première, peut nous donner quelques clés de lecture pour comprendre cette actualité.
Si les assassinats – bien que plus discrets- sont monnaie courante depuis quelques années, l’Afrique du sud fait figure de nouvel Eldorado en Afrique. Son cas tend à prouver que l’Afrique n’est pas vouée structurellement au non-développement…
Johannesburg est pour la région entière l’un des pôles les plus attirants de cette réussite.
A la lecture de l’ouvrage de S. Cessou, l’un des titres de la collection Villes en Mouvement, est-on en mesure d’apprécier cette ambivalence très forte de Johannesburg, à la fois ville à l’énergie débordante, mais aussi ville violente, fragmentée à l’image de ce que fut et est toujours le pays ?
L’ouvrage, bien que classé dans la catégorie ouvrage de géographie, ne se présente pas de façon traditionnelle : le parti pris de la collection est de donner la parole à des acteurs afin qu’ils expriment ce que fut ou est la ville et ce qu’elle pourrait devenir.
Les témoins choisis pour parler de Johannesburg sont divers : noirs ou blancs, intégrés plus ou moins..
A la découverte de Johannesburg par ceux qui la font..
L’ouvrage est conçu selon un fil rythmique, un découpage en 5 séquences qui donnent sur un thème ciblé la parole à ces acteurs de la ville.
La première séquence, intitulée Jo’Burg le vertige, donne la parole à des artistes (chanteur, chorégraphe..), 2 blancs, 2 noirs qui portent un constat sur ce qu’est devenue Johannesburg.
Zola, emblême du kwaito, musique de l’Afrique du sud noire, incarne ce que la nouvelle Afrique du sud veut dire pour la majorité noire : il gagne beaucoup d’argent, vit dans les quartiers blancs mais porte ses origines comme un étendard et finance des structures d’accueil abritant des orphelins malades du Sida à Soweto. Il incarne la volonté de faire rimer réussite, sociale et matérielle et conscience politique. A l’opposé, Santu Mokofeng, photographe, porte un jugement très dur sur la ville. Selon lui, malgré la fin de l’apartheid, il demeure parce qu’il est inscrit dans les paysages et dans la géographie. L’apartheid était un prétexte, qui cachait tous les autres problèmes. Il a disparu, le reste non. «Tout ce qui a changé en Afrique du sud, c’est que la société qui appartenait à M. Verwoerd [principal théoricien de l’apartheid] a maintenant un visage noir, disons Mbazima [actuel premier ministre de la province de Gauteng, connu pour ses goûts de luxe] et les affaires continuent ». Le constat est pour le moins désabusé…
La 2ème séquence, intitulée le laboratoire de la nouvelle Afrique du sud, donne la parole à des témoins plus divers (du libraire au coiffeur bouddhiste..) mais toujours noirs et blancs à parité.
Sont évoquées les entreprises professionnelles (ainsi la librairie multiculturelle ouverte à Newton, un quartier de Johannesburg, le salon de coiffure mais surtout les centres de méditation bouddhiste de la ville) de ceux qui veulent bouger avec la ville. La parole est aussi donnée à Thabo Mpiti, originaire de Soweto, qui s’est lancé dans l’escrime (son club a été financé par la municipalité mais aujourd’hui, plus de fonds, donc le club s’est arrêté)… Faute de moyens et de volonté de la fédération nationale d’escrime, Thabo doit penser à vivre en dehors de son sport et il s’est lancé, par correspondance, dans l’informatique mais il n’est pratiquement jamais sorti de Soweto…
La troisième séquence, scènes en pointe, rejoint la première : styliste, galeristes, producteur qui au travers de leur métier respectif livrent leur perception de ce qu’est aujourd’hui Johannesburg… Et c’est Joel Phiri, producteur, qui résume le sentiment général à propos de la ville : «Il y a tant à faire. Tout est à faire. Beaucoup de choses sont faites ici pour la première fois. Un endroit idéal pour les esprits pionniers».
La séquence 4, arriver, partir, revenir, dresse un état des lieux : où en Johannesburg, à mi-chemin entre le monde développé et le monde en développement, «en équilibre difficile, à l’image du pays, elle se trouve dans un entre-deux» selon William Gumede, un des témoins de cette séquence. Tous portent sur elle la même analyse d’une ville en transformation, profondément ambiguë. Ce que l’on ressent dans ces paroles données : celle de l’étudiant ou du journaliste qui veulent y rester (après l’avoir quittée ou y être tardivement arrivé) mais aussi celle beaucoup plus désabusée de ceux qui n’arrivent plus à y demeurer : trop de violence, trop de souffrance…
Enfin, l’ouvrage se termine sur la séquence 5, les pôles changeants de la ville… Vision résolument plus optimiste de la New York de l’Afrique… Paroles de noirs habitant Soweto ou Yeoville sans concession mais volontaires… paroles de blancs qui voient en Johannesburg la ville de tous les possibles (de la richesse pour le promoteur immobilier, du renouveau et de la réhabilitation pour le jazzman…)
Quelle est donc la réalité de Johannesburg?
Au final, la lecture de toutes ces expériences, de ces vies ne nous permet pas de sortir de cette dualité profondément intrinsèque à la ville : elle est la ville de tous les contrastes, exprime dans ses paysages la ségrégation et la fragmentation mais semble aussi le lieu de tous les possibles. Une certitude néanmoins : Johannesburg accueille la coupe du monde de football en 2010, elle sera donc la vitrine de cette Afrique qui bouge …
Le concept de l’ouvrage est intéressant parce qu’il permet de saisir ce que parfois la géographie ne saisit pas : les impressions, les sentiments des acteurs du territoire étudié. Mais il s’agit-là aussi d’une de ses limites. Pour être parfaitement opératoire, il convient de le confronter à d’autres sources (cartes, données graphiques et statistiques) afin qu’au-delà de la parole se construise l’identité géographique de Johannesburg…
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