Une recension de Christine CAUHAPÉ
Gare de l’Est est une revue grand format franco-belge semestrielle née de la volonté de passionnés de l’Europe de l’Est formés à l’université de Nantes et à Sciences-Po Paris.
Sa première particularité est qu’elle est le fruit du travail d’une association Loi 1901 s’appuyant sur le travail de bénévoles et d’organismes publics et universitaires ( CNL, Nantes Métropole, Fédération Wallonie-Bruxelles ), les collaborations éditoriales ici y sont signées de La Ligue des Droits de l’Homme et de Novastan – média franco-allemand qui conduit une ONG basée au Kirghiztan chargée de la formation de jeunes journalistes d’Asie centrale -.
Sa seconde réside dans l’espace géographique qu’elle couvre et qui s’étend de l’ex-Yougoslavie aux confins de l’Asie Centrale en passant par la Russie et l’Europe Orientale post -1991.
Les contributeurs sont tous des spécialistes de la géopolitique de cette région, des journalistes, des photographes, des intellectuels et des experts des questions abordées.
Eva Bertrand, la présidente est l’auteur d’une thèse de doctorat en Sciences Politiques « Pouvoir, catastrophe et représentation : mise(s) en scène(s) politique(s) des incendies de l’été 2010 en Russie occidentale » soutenue en 2016 et a vécu de nombreuses années dans ce pays, Ulrich Huygevelde, rédacteur en chef est diplômé de Sciences-po Paris (Master Russie-CEI), ancien vice-président de l’université de Nantes et membre fondateur depuis 2007, Thierry Piel maître de conférences en Histoire Ancienne à l’université de Nantes assure la direction scientifique du projet …
Ces signatures expliquent la qualité des contenus des différents articles. Ceux-ci donnent de l’espace – 4 à 6 pages – au traitement d’un sujet très pointu, offrent de la lenteur et du temps de parole particulièrement dense et documenté au-delà de l’actualité chaude dans laquelle nous baignons en l’Europe Occidentale. Ces articles sont donc avant tout des moments, des rencontres, des partages et éclaircissements sur des pays aux frontières fluctuantes et mal définies vues d’ici.
En effet, il s’agit bien d’une revue de 280 pages richement illustrée de photographies qui sont de véritables œuvres artistiques : cadrage, noir et blanc, filtre, portraits du quotidien, nature morte au plein sens du terme renforcent l’écrit.
Le parti pris de la revue est de restituer le quotidien, la réalité masquée ou ignorée car trop lointaine des territoires, des hommes et des femmes qui y vivent ou y survivent. La revue brosse en parallèle la réalité des pouvoirs autocrates de Vladimir Poutine, Heydar Aliev ( Azerbaïdjan ), Chavkat Mirzioïev ( plus fréquentable aux yeux de l’Occident en Ouzbékistan ) et la résistance au quotidien des démocrates-citoyens, bloggeurs russes insaisissables au grand désespoir du régime actuel, athlètes cavaliers d’une épreuve traditionnelle de Kok Borou ( jeu traditionnel qui consiste à transporter le cadavre d’une chèvre décapitée dans les buts adverses ) lors des Premiers Jeux mondiaux nomades au Kirghizistan en 2014 comme si le temps s’était arrêté.
Le chapitrage retenu est régional : Balkans, Europe orientale – l’Ukraine dans ce numéro -, la Russie, le Caucase Sud et l’Asie Centrale. En une double page intitulée « 6 mois dans… » qui introduit chaque région, le semestriel revient sur l’actualité de chaque pays de la région, de la première Gay-Pride au Kosovo à l’accord signé entre l’Ouzbékistan et la Banque européenne d’investissement le 13 octobre 2017.
La dernière partie Traverses, comme son nom l’indique, évoque des à-côtés, des chemins de traverses de ce vaste territoire entre l’Europe et l’Asie.
Un grand témoin ouvre la revue.
Dans ce numéro 8, c’est Hélène Despeic-Popovic qui fut journaliste correspondante à l’AFP et à Libération, expulsée de Belgrade en 1994 et 1999, elle revient sur les années de dislocation de la Yougoslavie et la guerre qu’elle a couverte. Son long entretien avec Laurent Geslin – co-rédacteur en chef du site Le Courrier des Balkans –
Les auteurs , dans ce numéro 8, donnent la parole à Marc-Antoine Eyl-Mazzega directeur du centre Energie de l’IFRI, aux étudiants déplacés et aux prostituées ukrainiens, à des dissidents d’Azerbaïdjan, ou à un expert du tourisme de la Russie oubliée… permettant ainsi au lecteur de s’infiltrer dans la vie « normale » d’individus que les hasards d’une histoire qui les dépasse confrontent à une réalité qui n’arrive pas jusqu’à nous.
Les photo-reportages sont une véritable immersion aussi bien dans la centrale nucléaire arménienne parmi les plus dangereuses du monde qu’aux côtés des nomades kirghizes sédentarisés de Sary Mogol. Ils sont tous introduits par une présentation d’une page du sujet abordé signé par le photographe car les images se suffisent à elles-mêmes.
L’un des plus grand mérite de Gare de l’Est : répondre à la question « Mais aujourd’hui, qu’en est-il de la Crimée, de l’Ouzbékistan, de l’Albanie, de cette Asie Centrale oubliée par les médias et de l’Ukraine vers qui les caméras des télévisions des chaînes d’information en continu ne se braquent plus ? »
Après la chute du Rideau de Fer en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991, un nouveau mur semble s’être érigé entre l’Occident et ces états, celui du silence qui pèse comme une chape de plomb sur leur réalité. Le premier bâtisseur en est le « grand frère » russe qu’il soit hérité de l’ère soviétique ou des grands désordres mondiaux. L’Histoire est passée mais, comme le démontre parfaitement les contributeurs aux nombreux articles, la réalité demeure la même sauf que la signature est celle de ceux qu’on appelle « Les nouveaux voisins » Poutine ou Xi Jiping.
La dimension européenne de la revue domine tout en offrant une invitation au voyage éclairé et humaniste.
Adossée à une webradio Gare de l’Est propose régulièrement des conférences et des expositions photographiques à Nantes, Paris, Bruxelles, organise ponctuellement des actions de solidarité et de coopération ainsi que des voyages sur place ouverts à tous.
Pas de publicité, pas de publi-reportage, l’association et la revue Gare de l’Est ont donc besoin de lecteurs, de bienfaiteurs, d’amis et de curieux. Une souscription est lancée pour assurer la pérennité du projet et son développement