Ce livre, seconde édition remaniée, a pour idée centrale, rappelée dans l’introduction de Valérie Lécrivain, « l’esclavage trouve sa raison d’être dans la naissance de la richesse ».
Ce n’est pas l’ouvrage d’un historien mais d’un anthropologue, directeur d’études au CNRS décédé en 2013. Alain Testart a publié Les chasseurs-cueilleurs ou l’origine des inégalités (1982), De la nécessité d’être initié : Rites d’Australie (1991), La servitude volontaire (2004), Critique du don (2007), et Avant l’histoire : l’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac (2012).
Après avoir dans l’avant-propos explicité l’origine des recherches qui ont conduit à cet ouvrage, Alain Testart délimite son étude de la plus haute Antiquité aux royaumes africains ou amérindiens sans aborder l’esclavage moderne de la traite même si cette histoire sert de témoin utile de référence.
L’esclavage comme institution
Ce premier chapitre, en hommage à Moses I. Finley pose la question de la définition du terme esclavage.
Si dans l’Antiquité classique une définition simple : hommes sans droits peut suffire la réalité dans le temps et dans l’espace est plus complexe. Le terme recouvre une même réalité l’existence d’un statut de dépendance, une donnée juridique. L’auteur analyse la notion de propriété du maître sur l’esclave.
Deuxième idée : l’esclave est exclu de la société des citoyens dans l’Antiquité classique, de la communauté des croyants dans l’Islam, du lignage en Afrique noire.
Troisième élément pour une définition, l’esclave est un être dépendant dont le maître tire un profit par son travail ou sa vente.
Cet essai de définition est ensuite confronté à divers exemples pour en mesurer la pertinence. L’auteur montre que l’esclave est utilisé en fonction des besoins de la société mais que des différences existent entre les sociétés esclavagistes et les sociétés lignagères comme en Afrique où, à terme, il y a intégration au sein de la famille, des « sociétés à esclaves » 1.
Ce premier chapitre se termine sur l’évocation d’autres formes de dépendances : captifs royaux, gagés2, affranchis, « clients » comme chez les Soninké, réfugiés.
Pourquoi la condition de l’esclave s’améliore-t-elle en régime despotique ?
Dans cet article de 1998, Alain Testart analyse l’esclavage dans la Rome antique et son évolution dans l’Empire à partir de la lex Petronia qui instaure une certaine protection de l’esclave.
Il aborde ensuite le cas de deux sociétés africaines : le royaume Ashanti où seul le roi peut décider de la mort d’un esclave et chez les Beti du Cameroun.
Il justifie ensuite le titre de ce chapitre en mettant en relation un pouvoir politique fort et la volonté de contrôle de la société par la loi qui, de fait, est plus favorable aux esclaves en limitant les abus des maîtres. Il détaille la situation des esclaves dans le code d’Hammurabi, la loi hébraïque, le Tipitaka bouddhiste et les réalités de la Chine des Han et des Tang, la législation islamique et les sociétés asiatiques Batak(Sumatra) et Konyak (Assan) enfin dans l’Afrique des Ashanti avant de consacrer quelques lignes aux sociétés amérindiennes..
La mise en gage des personnes
Cette situation différente de l’esclavage est présentée à partir de deux études en Afrique et en Asie du Sud-Est. L’analyse des conditions de mise en dépendance est précise et comparée au placé in mancipio à Rome. Elle fait la distinction avec le remboursement d’une dette par le travail.
Ce que merci veut dire. Esclaves et gens de rien au pays du potlatch
Cette étude parue initialement en 1999 entraîne le lecteur au Sud de l’Alaska où les pauvres deviennent en période de soudure « esclaves du poisson séché ». L’auteur analyse le vocabulaire de la servitude en Amérique du Nord, les formes du « don » comparé au « merci » français, pas celui de la politesse mais celui des « corvéables à merci » du Moyen Âge.
Il montre les caractères généraux de l’esclavage traditionnel des peuples amérindiens et la catégorie des « gens de rien », dépendants de fait et non de droit.
Trois questions de méthode
Cette étude théorique parue en 2000 est consacrée à l’exclusion lignagère en Afrique noire par comparaison avec l’esclavage antique. L’auteur met en évidence un nouveau critère de définition de l’esclavage : celui qui ne doit ni service militaire, ni impôt. Il reprend l’approche de Maurice Bloch à propos des Merina de Madagascar où les »Andrevo » sont exclus de la parenté (pas de funérailles dans une tombe pérenne, pas d’accès à la terre) et donc de la communauté des hommes libres. L’auteur tente une classification sociologique des formes d’esclavage : les causes (guerre, dette, condamnation pénale), les rôles de l’esclave (domestique, esclave établi proche du servage, esclave loué, esclave de plantation). Il applique ensuite sa classification à divers exemples en Afrique et en Asie.
Importance et signification de l’esclavage pour dette
Partant de deux exemples : les Indiens Yurok (Californie) et les Ila (Zambie) cet article montre l’importance de l’esclavage pour dette, les « bondsmen » pour reprendre le mot anglophone. La description des formes de dépendance est suivie d’un tour du monde du phénomène 3 avant la proposition d’une définition de l’esclavage pour dettes.
Esclavage pour dettes et prix de la fiancée
La même thématique est reprise dans cet article collectif4 où les auteurs font la distinction entre société esclavagiste et société à esclaves puis analyse la situation spécifique du prix de la fiancée. C’est un essai de théorisation d’une loi sociologique.
Partir pour l’au-delà accompagne. Rôle des fidélités personnelles dans la genèse du pouvoir
Ce chapitre, ajout de cette seconde édition, traite du rôle des fidélités personnelles dans les morts d’accompagnement d’un chef, morts de personnes : épouses, concubines, serviteurs qui sont immolées pour accompagner le chef défunt dans la mort. Du Proche Orient ancien à l’Afrique jusqu’au XIXe siècle en passant par l’Inde et la Chine ce fut une coutume répandue. L’auteur développe l’exemple de la culture Coclé en Amérique précolombienne et récuse la notion de sacrifice qui marquerait une pratique religieuse alors qu’il s’agit d’une pratique sociale attestant de la puissance du défunt. Dans certains cas c’est un accompagnement volontaire. L’auteur associe ces pratiques à l’origine de L’État.
De quelques conceptions erronées à propos de l’esclavage antique. Et de la façon dont elles faussent toute comparaison avec l’esclavage dans les autres mondes.
Un très court chapitre pour réfuter une idée : l’esclavage antique n’était pas plus dur que dans les sociétés de « bons sauvages ».
L’esclavage dans les sciences sociales
Ce dernier chapitre est plus consacré à l’histoire de son étude qu’à l’esclavage en lui-même. L’auteur rappelle que l’intérêt pour l’esclavage est contemporain de sa dénonciation au XIX e siècle. Il présente l’historiographie, entre histoire et anthropologie, de cette étude d’Henri Alexandre Wallon à Herman Jérémias Nieboer, critique l’approche marxiste et montre les apports de l’ethnologie avant d’aborder en quelques courtes pages la traite négrière.
1p. 51
2En service pour dette
3Carte page 249
4Alain Testart, Valérie Lécrivain, Dimitri Karadimas, Nicolas Govoroff, article paru dans Etudes rurales n° 159-160, 2001