La Revue Dessinée revient en ce printemps avec un menu comme toujours éclectique : les déserts médicaux, l’alimentation, mais aussi l’international avec la situation du Liban et de la Turquie.

Les frontières invisibles

Christophe Dabitch et Barrack Rima racontent le Liban d’aujourd’hui mais expliquent aussi l’histoire très particulière de ce pays déchiré pendant plus de quinze ans par la guerre. Le reportage s’intéresse, à travers le cas des transports, au quotidien à Beyrouth. La ville qui compte 1,9 million d’habitants se caractérise par les taxis et minibus qui y circulent, sachant que 30 000 sur 70 000 sont illégaux. Il ne s’agit pas d’une enquêtesur l’aménagement mais bien plutôt d’un angle pour comprendre la question de la fragmentation de la société libanaise. Comme le dit un des protagonistes, «  des frontières invisibles, il y en a beaucoup ici mais tout est caché derrière les mots du vivre-ensemble ». On n’oubliera pas pour mieux comprendre la situation la traditionnelle double page finale intitulée ici «Un pays pris en étau» doublé d’une deuxième «Aux frontières du réel».

En mal de blouses

Judith Chetrit et Pierre Maurel proposent un très intéressant reportage sur les déserts médicaux. Ce reportage pourrait servir en classe de première par exemple. La double page finale « Des déserts peu peuplés d’idées reçues » est particulièrement éclairante et intéressante car elle bouleverse quelques idées reçues où on s’aperçoit que la situation en Seine Ssaint Denis n’est pas très enviable. Mais il ne faut pas oublier la réalité : 98 % des Français vivent à moins de dix minutes d’un généraliste mais cela ne garantit pas pour autant un rendez-vous facile. Judith Chetrel et Pierre Maurel braquent leur regard sur la Sarthe et notamment le village d’Auvers-le-Hamon et ses 1500 habitants. La commune a tout fait pour attirer un nouveau généraliste et le reportage raconte les démarches pour faire venir un médecin roumain. La réalité en chiffres, c’est qu’il y a de moins en moins de généralistes en France et que 28 % sont sexagénaires. Dans la Sarthe, c’est même 40 % du territoire qui est déficitaire en généralistes. Aujourd’hui, 12 % des médecins basés en France ont eu leur diplôme à l’étranger.

Des bêtes et du bio

Dans «Comme des bêtes» Geoffrey Le Guilcher et Ivan Brun se penchent sur la question des abattoirs. L’enquête s’est faite en s’infiltrant dans l’un d’eux en se faisant embaucher comme intérimaire. Elle raconte à la fois le quotidien des travailleurs mais évoque aussi l’histoire des abattoirs, ce qui est l’occasion de citer le livre d’Upton Sinclair sur le sujet, écrit en 1906 ! Pour ce qui concerne notre époque, le reportage est très complet, évoquant aussi bien la productivité, les conditions de travail et les risques d’accident. Geoffrey Le Guilcher et Ivan Brun expliquent les combats de l’association L 214 et enquêtent par exemple sur la façon de tuer les animaux dans les abattoirs. Du coup, après une telle plongée, vous aurez peut-être envie de vous tourner vers le bio. «A toutes les sauces» s’intéresse à ce marché et ses risques de récupération. Cela s’explique sans doute par le fait que ce marché a été multiplié par sept en quinze ans. La question des labels est absolument centrale et cruciale. Le reportage se termine par un entretien avec Adrian Müller qui insiste sur le fait que l’agriculture bio peut nourrir neuf milliards d’êtres humains.

Inconsciences

Cécily de Villepoix présente Fritz Haber, ce chimiste allemand auquel David Vandermeulen a consacré, il y a quelques années, une passionnante série en bande dessinée. Chimiste né en 1868, mort en 1934, Fritz Haber travailla d’abord sur la synthèse de l’ammoniac pour produire des engrais. La question est d’importance dans le monde du début du XXème siècle. Il faut se rappeler que l’Allemagne était alors dépendante des importations d’azote d’Amérique du Sud pour la production de ses engrais. Au moment de la Première Guerre mondiale, Fritz Haber déclare vouloir faire quelque chose pour son pays. Sa femme s’oppose à lui, d’autant plus qu’en tant que chimiste elle sait ce que cela pourrait donner dans un cadre guerrier. Elle finira par se suicider en se tirant une balle en plein coeur. Les travaux de Fritz Haber seront récupérés et utilisés pour mettre au point le Zyklon B.

Musique, ciné, travail et danse

La musique est au programme comme à chaque numéro avec Brigitte Fontaine, personnage atypique de la chanson française. Pour les plus jeunes, Arnaud Le Gouëffflec et Nicolas Moog rappellent qu‘elle s’était produite en première partie de Georges Brassens à Bobino avant de signer son premier album en 1966. Elle rencontra peu après Jacques Higelin et elle fut rapidement présentée comme une « Gainsbourg femme ». Effrayée par son succès, elle entama alors une période underground, une traversée du désert, avant de revenir sur le devant de la scène à partir de 1995. « La revue des cinés » s’intéresse au film d’Akira Kurosawa en le comparant à un scénario digne de Star Wars, le burlesque en plus. C’est un classique de 1958 et l’un des films à gros budget du cinéma japonais de l’époque. On lira aussi une intéressante réflexion autour du concept de bureau partagé et on dépoussièrera sans doute ses idées reçues sur la hoop dance.

Retour sur images

La Revue Dessinée poursuit aussi son travail de sensibilisation et de compréhension des images. Elle le fait cette fois avec l’ «Instantané» qui est consacré à une photographie intitulée «Les combattants de Maïdan». Une autre rubrique «Retour sur» revient sur l’épisode de la chemise arrachée de Xavier Broseta, directeur des ressources humaines d’Air France. Le reportage est beaucoup plus large et parle de la situation et des évolutions au sein d’Air France.

Du côté de l’international

« A la botte du sultan » se focalise sur Recep Tayyip Erdogan président de la République de Turquie. L’introduction fait le parallèle entre 2004 où quand il était premier ministre, tous les espoirs d’ouverture du pays semblaient permis. Quatorze ans plus tard, devenu président, l’ambiance a totalement changé. Un document final revient sur la période entre juillet 2016 et décembre 2017 en pointant la liste des journalistes et opposants pourchassés.

La Revue Dessinée continue donc de proposer des reportages passionnants, offre son lot de découvertes et éclaire plusieurs enjeux essentiels de notre monde.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.