En couverture du numéro 1 figure l’ambition de la revue : « construire librement sa pensée »

Précisons que son rédacteur en chef est Michel Taubmann, ancien militant de la Ligue communiste, qui a été journaliste, notamment à France 3 puis Arte (il a dirigé le bureau parisien de l’information), et a écrit plusieurs ouvrages, sur L’Affaire Guingouin (éditions Lucien Souny, 1994), sur l’Iran (par exemple La bombe et le Coran, une biographie du président Mahmoud Ahmadinejad, éditions du Rocher, 2008 ; Histoire secrète de la révolution iranienne, Denoël, 2009 ; Iran, l’heure du choix. Entretiens avec Reza Pahlavi, Denoël, 2009), et sur Dominique Strauss-Kahn (Le roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, éditions du Moment, 2011), à propos duquel il s’est longuement expprimé sur les plateaux de télévision lors de l’affaire du Sofitel de New York. Ajoutons qu’il a fondé, après les attentats du 11 septembre 2001, le Cercle de l’Oratoire, cercle de réflexion défendant l’intervention militaire en Irak et en Afghanistan, et combattant la montée de l’antiaméricanisme en France à l’époque. Souvent qualifié de « néoconservateur » par ses détracteurs, ce cercle, qui tirait son nom de son lieu de réunion à l’origine, une salle du Temple protestant de l’Oratoire du Louvre, dont l’épouse de Michel Taubmann, Florence Taubmann, présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de France, était pasteur. Ce cercle disposa, à partir de 2006 et jusqu’en 2008, d’une revue intitulée Le Meilleur des mondes (Denoël). On retrouve ainsi au sommaire des deux premiers numéros de Building, des auteurs qui ont été membres du Cercle et/ou qui ont écrit dans sa revue : Florence Taubmann, Pascal Bruckner, Antoine Basbous, Frédéric Encel, Bruno Tertrais, Bertrand Lebeau, Gérard Grunberg par exemple.

 

En couverture du numéro 1 figure l’ambition de la revue : « construire librement sa pensée ». M. Taubmann lui fixe dans son éditorial une autre ambition : « reconstruire du sens politique » dans un contexte de campagne électorale et de « crise morale sans précédent », où gauche et droite, « indispensables à la démocratie », « appartiennent intellectuellement à un monde en voie de disparition ». M. Taubmann, notant « l’aspiration à l’épanouissement individuel », appelle à « un nouveau type de lien avec les autres » et ajoute : « L’avenir ne s’écrira pas en recyclant les idées d’hier. Il va falloir construire du neuf » dans le cadre de la mondialisation : « Building ne croit pas qu’il faut « changer le monde », cette chimère a causé trop de tragédies au XXe siècle. Il faut le transformer, l’améliorer, le réparer. Et cela représente en soi déjà une belle utopie. »

Fort logiquement donc, la revue consacre son dossier à « Gauche et droite en crise ». Dans un entretien avec M. Taubmann, le politologue Pascal Perrineau (directeur du CEVIPOF) explique, se référant à la classification de René Rémond, que « Le Sarkozysme est un Bonapartisme moderne », moins libéral et plus pragmatique et étatiste qu’on pourrait le penser, avant de conclure que Nicolas Sarkozy, pour l’emporter, « va devoir rassembler toutes les familles de la droite et s’inscrire plus qu’en 2007 dans les pas d’une synthèse gaullienne». Gérard Grunberg (directeur de recherche au CNRS et spécialiste du socialisme français), s’interrogeant sur les origines du réformisme socialiste français, livre un très intéressant article « Les trois grands débats de la social-démocratie » et leur influence chez les socialistes français, qui sera utile aux professeurs de Terminale puisqu’il présente de manière simple et claire la crise révisionniste au sein de la social-démocratie allemande fin XIXe autour des réflexions de Eduard Bernstein, puis en 1918 la controverse Kautsky – Lénine sur la question de la démocratie pendant et après la révolution, mais aussi le débat sur la Troisième Voie proposée dans les années 1990 par Tony Blair et suivie en Allemagne par Gerhard Schröder.

Bruno Tertrais (politologue, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, membre du Conseil scientifique de la fondation Terra Nova) s’interroge : « Après Sarkozy, quelle politique étrangère ? » Il dresse un bilan mitigé de cette politique étrangère, qui pour lui n’a pas constitué une rupture, a manqué de cohérence en se limitant à une « politique des coups » (Georgie, Lybie) et a connu des échecs majeurs (en Afrique, en Asie, face aux puissances émergentes), avant de plaider pour une autre politique étrangère d’ajustements (réforme de la gouvernance mondiale, soutien à la mondialisation, autonomie stratégique, nouvelle relation avec les pays émergents). Dans un entretien intitulé « La France entre feu rouge et carton jaune », l’économiste Elie Cohen (directeur de recherches au CNRS, membre du Conseil d’Analyse Économique) compare les programmes de la droite et de la gauche et plaide pour « une social-démocratie de l’innovation » conciliant justice sociale plus grande et incitation à la croissance et conclut : « François Hollande a le mérite de plaider pour la crédibilité financière et la justice sociale, pour la responsabilité écologique et la compétitivité économique ». Enfin, Alberto Toscano (correspondant pour la presse italienne, président du club de la presse européenne) lance un appel : « Europe, la France doit reprendre l’initiative ».

Il y a ceci dit, en filigrane, un autre dossier, moins convaincant, dans ce numéro, puisque plusieurs articles reviennent, directement ou non, sur l’affaire Strauss-Kahn, en dénonçant des dérives morales. Ainsi le dialogue, intitulé « Nouveaux paradoxes amoureux », entre Florence Taubmann et Pascal Bruckner, qui écrit « Avec une gourmandise d’inquisiteurs, on se vautre dans la cochonnerie pour la pourfendre. Dominique Strauss-Kahn est devenu le symbole de la perversité du mâle blanc : pour lesquels de nos péchés paye-t-il ainsi son nouveau rôle de bouc émissaire après avoir été l’un des hommes les plus influents de la planète ? », avant de dénoncer « l’époque de la pudibonderie lubrique ». Quant au journaliste Robert Bellaiche, dans « Samll Brother is watching you », il dénonce la presse française qui s’adonne à la dictature de la transparence, à propos des problèmes conjugaux de Nicolas Sarkozy ou des notes de restaurant de Dominique Strauss-Kahn, et s’interroge : « Veut-on une cybertyrannie où, demain, chacun sera sommé de justifier ce qu’il boit, ce qu’il lit, avec qui il sort et comment il couche ? Souhaitons-nous un monde où les plus compétents renoncent à leurs ambitions publiques pour échapper à une fouille en règle de leur intimité ? ». Enfin Michel Taubmann, dans « Un nouveau pouvoir », voit en Thierry Ardisson et Laurent Baffie, en 1992, des « corsaires installés aux points stratégiques des médias… comme faiseurs d’opinion », « précurseurs et maîtres » de la désacralisation du pouvoir politique.

Non lié à ce dossier (encore que…), Building publie un extrait de The Money Demons. : True Fables of Wall Street (2011), un ouvrage de Edward Jay Epstein (journaliste qui avait écrit un article sur les zones d’ombres dans l’affaire du Sofitel de New York impliquant DSK) consacré à Michael Robert Milken, banquier et inventeur des « obligations pourries » dans les années 1970. Ajoutons un grand entretien avec Claude Allègre (« Science, conscience et franc-parler ») qui fait un bilan désabusé de son passage en politique, attaquant particulièrement Ségolène Royal, François Bayrou et François Hollande (« En l’absence de DSK, la gauche n’a plus de leader crédible en temps de crise. ») et confessant deux erreurs au ministère de l’Éducation nationale (avoir choisi S. Royal comme ministre déléguée et avoir voulu réformer « en s’appuyant sur les parents d’élève, pour faire fléchir les syndicats d’enseignants qui sont le refuge du conservatisme sans vision d’avenir ») ; deux courts entretiens avec Antoine Basbous (directeur de l’Observatoire des Pays Arabes) sur « Quels lendemains pour le monde arabe ? » et Frédéric Encel (maître de conférences à Sciences Po Paris) sur « Printemps arabe : une chance pour Israël ? » ; des témoignages de Majed Bamya (responsable de la Délégation générale de la Palestine auprès de l’UE, et poète) et de Baki Youssoufrou (président de la Confédération étudiante, proche de la CFDT) sur leurs parcours respectifs ; enfin un article de l’artiste plasticien Marc Solal sur « Le prix de l’Art ou l’Art du prix », qui déplore la perte de la valeur artistique et la puissance de la valeur commerciale pour estimer l’œuvre d’un artiste. Sans oublier la re-publication de l’éditorial de René Andrieu, intitulé « Votez Mitterrand », paru dans L’Humanité du 4 décembre 1965.