Mathieu Magnaudeix est journaliste, correspondant de Mediapart aux Etats-Unis, après avoir couvert la politique française pour le même média pendant le quinquennat de François Hollande. Présidence dont il a, avec Lénaïg Bredoux, « chroniqué la pavane triste » (p. 258) et ce alors que « l’autre gauche semblait dans une impasse » (p. 259). L’auteur qui a l’honnêteté de ne pas cacher son point de vue semble avoir effectué une cure de jouvence aux États-Unis et y avoir retrouvé de l’espoir en la politique. Dans cet ouvrage écrit en grande partie avant que Joe Biden soit désigné candidat des démocrates, l’auteur ne cache pas ses sympathies pour les idées portées par Bernie Sanders et Elisabeth Warren.

               Bien que les échéances électorales polarisent, à juste titre, l’attention, l’auteur ne centre pas son travail sur la rivalité entre Donald Trump et Joe Biden. Il nous présente Alexandria Ocasio-Cortez, jeune élue démocrate, de New York, favorable à un Green New deal. Il insère cette responsable dans un mouvement collectif et dresse le portrait des « nouveaux activistes » qu’il a rencontrés d’un bout à l’autre des EU et qui jouent un rôle significatif dans les réseaux militants, les mouvements sociaux et les courants progressistes qui se sont développés depuis quelques années. Qu’ils appartiennent au parti démocrate, en soient proches ou plus éloignés, tous sont critiques vis-à-vis du cours suivi par celui-ci, trop timoré, trop libéral sur le plan économique, insuffisamment social ou antiraciste, depuis de trop nombreuses années et voudraient en infléchir les positions. Un des intérêts de ce livre est de nous sortir de notre zone de confort. Non, nous dit l’auteur, les habitants des EU ne sont pas tous de caricaturaux trumpistes, racistes, productivistes et défenseurs du lobby des armes. Il existe un-des courant(s) de gauche, antiraciste, écologiste, féministe, plus ou moins lié(s) au parti démocrate. Et, les Français, parfois donneurs de leçons, pourraient apprendre de ces mouvements.

               Selon lui, les EU seraient le théâtre d’un « grand réveil » (p. 73) avec des mouvements sociaux « puissants et inclusifs » (p. 23) dont témoignerait l’engouement de nombre de jeunes pour Bernie Sanders, « l’effervescence » et la diversité des actions menées « depuis Trump » (p. 96) : manifestations féministes ou de Black lives matter, grèves massives d’enseignants… Et l’auteur de comparer ce moment avec les années 1960-1970. Le lecteur sera d’ailleurs étonné du nombre, de la diversité et de la vitalité des organisations, associations, syndicats et réseaux existant dans ce pays qu’ils soient locaux, régionaux ou nationaux. Nombre d’entre eux sont impulsés par des militants issus de ce que nous appellerions le christianisme social (à la sauce US avec le rôle des quakers par exemple) mais de petits courants se disant socialistes se développent.  Certains bénéficiant de financements significatifs de la part de fondations, comme la fondation créée par Georges Soros, ce qui peut poser problème parfois. D’autres veillant, au contraire, à maintenir leur indépendance.

 Ces organisations sont animées par des activistes qui préfèrent être appelés « organizers » (« ʺorganisateursʺ d’un ʺmouvementʺ social, large, diffus, puissant », p. 16) dont certains sont actifs depuis de longues années. Ils ont participé aux manifestations à Seattle contre l’Organisation mondiale du commerce, en 1999, à Occupy Wall street ou aux défilés contre la guerre en Irak voire à d’autres initiatives auparavant. Jouant ainsi un rôle de passeurs auprès des jeunes générations auprès desquelles ils rencontrent un écho significatif et qui fournissent nombre de nouveaux activistes. Ces mouvements sont irrigués par des mobilisations locales partant de la base (dites grassroots). L’auteur souligne aussi le fait que les femmes, les femmes noires, les homosexuel(le)s, oublié(es) ou mis(e)s de côté lors des luttes des années 1960-1970, affirment fortement, de nos jours, leur présence dans ces nouveaux mouvements contestataires.

Un des aspects intéressant de ce livre est qu’il nous immerge dans le langage, les idées et les méthodes de nombre de courants contestataires des EU, qui peuvent surprendre des Français parfois trop sûrs d’avoir toujours raison.  Ainsi dans les annexes, l’auteur cite des extraits d’ouvrages de militants états-uniens qui peuvent dérouter de ce côté-ci de l’Atlantique : « Les questions à se poser lorsque vous planifiez une action » ; « Les 198 méthodes de l’action-non violente ». Pourquoi donc 198 pourrait se demander le lecteur français ? Le langage des contestataires américains, souvent caricaturé en France, est aussi présenté par le journaliste. Celui-ci nous donne une définition claire et commode d’intersectionnalité (p. 12) sur lequel il revient plus loin. Il explique aussi en s’appuyant sur Pap Ndiaye pourquoi l’expression « race » est utilisée (p. 12). Ces activistes s’affirment radicaux mais privilégient des méthodes d’action non-violentes. Ils refusent la violence qu’ils estiment contre-productive et popularisent la désobéissance civile. Ils insistent sur leur refus de la verticalité dans les mouvements, l’impérieuse obligation de produire du collectif mais aussi sur leur volonté d’éviter la « toxicité » entre activistes et la nécessité de s’adresser à des personnes qui ne sont pas déjà acquises à leurs idées.

Pour l’auteur, l’espoir semble renaître aux États-Unis. Nombre de lecteurs aimeraient le croire. Cela passe probablement par les élections présidentielles de novembre qui auraient pu être évoquées un peu plus même si ce n’était pas le sujet de ce livre. Les notes de bas de page et la bibliographie en fin d’ouvrage[1], en grande partie anglo-saxonne, permettront au lecteur curieux d’approfondir ses connaissances.

Un ouvrage clair très utile pour ceux qui s’intéressent aux États-Unis ou aux mouvements sociaux dans le monde.

[1] On notera toutefois l’absence de référence aux ouvrages de Caroline Rolland-Diamond (dont la cliothèque avait recensé Black America. Pour une histoire des luttes pour l’égalité et la justice) qui pourrait éclairer le lecteur maladroit dans la langue de Jim Harrison et Henry James.