Devenus aujourd’hui les lieux d’intenses circulations (80 % des échanges mondiaux en volume) et de toutes les convoitises, les mers et les océans concentrent les enjeux mondiaux de demain. Spécifiques par de nombreuses caractéristiques (territoires hostiles, difficiles à contrôler, fragiles et riches de ressources), ces immenses étendues d’eau sont désormais largement appropriées par l’homme si bien que l’on parlera davantage d’espaces maritimes que d’espaces marins.

C’est sur la présentation de ces attributs et ces précisions sémantiques que s’ouvre le dernier numéro de la Documentation Photographique consacré à cette question actuellement aux concours de l’enseignement et rédigé par Antoine Frémont (directeur de recherche à l’INRETS) et Anne Frémont-Vanacore (enseignante en classes préparatoires au lycée Chaptal de Paris).

Et c’est bien parce qu’ils constituent le prolongement des territoires nationaux que les espaces maritimes cherchent autant « à se projeter qu’à se protéger ». Les pays riches sont en tête des échanges commerciaux et des capacités militaires, les flux entre Nord et Sud se retrouvent (notamment au sujet des circulations illicites qui voient les drogues, les migrants et le terrorisme gagner le Nord alors que celui-ci alimente le Sud de déchets, informatiques surtout), les cartes laissent apparaitre des lignes qui se superposent parfois (transports, câbles sous-marins, tourisme), des points stratégiques (détroits, canaux) et des surfaces convoitées (les fameuses ZEE).

Cette dualité entre projection et protection n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes et si les problématiques demeurent mondiales, les réponses semblent bien être locales. Le rôle clé des dockers montre le lien étroit qui existe entre l’économie d’un pays et l’équilibre de son commerce extérieur (exemple de la menace de grève des dockers américains en 2012 – p 19). Mais concilier intérêts personnels et gouvernance globale n’est pas simple : la surpêche se confronte à l’égoïsme étatique (« accepter un nouvel état dans une ORGP – organisation régionale de gestion de la pêche – n’est pas envisageable sans augmenter le total admissible de captures afin de ne pas léser les membres en place, ce qui est en contradiction probable avec la gestion raisonnée de la ressource », p 13), la pollution volontaire et récurrente aux hydrocarbures (déballastage, lavages, vidanges) a des conséquences bien plus graves que les marées noires occasionnelles.

On appréciera, dans ce numéro, des documents toujours savamment sélectionnés dont certains très parlants : l’équilibre économique fragile des canaux interocéaniques (p 23, la photographie de l’élargissement du canal de Panama fait bon écho au planisphère montrant les alternatives aux passages classiques par Suez et Panama) ; la caricature de presse de Kevin Kallaugher exposant les multiples sous-marins cherchant le pétrole face à des ours polaires dépossédés de leur banquise est également éloquente (p 45) ; toujours sur ces questions climatiques, la simulation cartographique de la montée des eaux a inspiré Jay Simmons dans les Iles Britanniques et l’agence Rebuild By Design pour New-York (p 55) ; de manière plus synthétique, la modélisation infographique de la pollution mondiale (circulation, temps de dégradation, ordres de grandeur…) apporte une réponse visuellement immédiate sur la question (p 57).

Au delà du choix des documents, c’est également sur le choix des entrées et celui du ton employé qu’il faut souligner l’intérêt de ce volume : si la surexploitation des ressources est naturellement traitée sous l’angle de la pêche et du pétrole, il est intéressant de voir un focus fait sur un sable fortement demandé car entrant dans la composition du béton, du verre et de certains composants électroniques et illégalement prélevé (p 59). De même, l’analyse sur la maritimisation de l’Arctique, certes en route, est tempérée car il est démontré que les conditions d’accès demeurent encore difficiles (p 44).

De quoi nourrir les interrogations des prétendants aux concours donc mais également celles des enseignants du secondaire et bientôt ceux du primaire puisque les projets de nouveaux programmes laissent entendre qu’une place renouvelée à la question de la mondialisation pourrait être faite.