Stanislas Morel, (http://recherche.univ-lyon2.fr/ecp/equipes/enseignants-chercheurs/stanislas-morel), Maître de conférences en sociologie à l’Université de Saint-Etienne, spécialiste de l’éducation, présente une synthèse sociologique de la médicalisation de l’échec scolaire publiée aux éditions La Dispute.
Constatant qu’il existe des élèves considérés comme « en échec », il s’interroge sur les réponses apportées à ces situations. Il en distingue trois types : les réponses scientifiques qui étudient les facteurs à l’origine de ces situations, les facteurs pédagogiques qui proposent des solutions dans le cadre scolaire et les réponses politiques qui tentent d’établir ou de rétablir l’égalité scolaire. Ces réponses sont complémentaires, parfois rivales et opposées.
La médicalisation de l’échec scolaire commence au XIXe siècle mais reste un très marginale. Dans les années 1960-1970, le problème de l’échec scolaire est un problème d’abord social. Les causes sont d’abord considérées comme sociales, pédagogiques, psychologiques ou génétiques. Dans les années 1980, les causes sont plutôt attribuées à l’environnement social, familial ou scolaire. Depuis les années 1990, les causes sont surtout considérées comme psychologiques, neurobiologiques ou génétiques. Aussi Stanislas Morel constate-il une évolution des solutions proposées.
Dans les années 1960-1980, l’échec scolaire est d’abord interprété comme un retard par rapport à une norme attendue, touchant majoritairement les enfants des classes populaires. Depuis les années 1980, l’échec scolaire est défini comme « la somme des défaillances individuelles d’élèves ‘ à besoins éducatifs particuliers qui ne parvenant pas à maîtriser les savoirs fondamentaux, relèvent d’aides personnalisées et spécialisées » (p. 11/p. 69-72). La difficulté scolaire est désormais le symptôme de troubles intrinsèques. Cette nouvelle définition a contribué à l’augmentation des prises en charge médico-psychologiques.
L’intérêt de l’ouvrage de Stanislas Morel réside dans son approche historique. Il montre comment les acteurs ont d’abord pensé puis mis en place la médicalisation de l’échec scolaire qui, aujourd’hui, concernerait 15 à 20% des élèves atteints de phobie scolaire, de dyslexie ou de TDAH. Cette médicalisation de l’échec scolaire repose d’abord sur les progrès médicaux et de la recherche en psychologie, neurobiologie. Mais elle repose aussi et surtout sur une redéfinition de la notion d’échec scolaire qui elle-même dépend de l’interprétation du rôle à accorder à l’école. L’échec est perçu non plus comme un retard mais comme une anormalité. Il met en échec à la fois la politique de démocratisation de l’école et la volonté familiale de réussite individuelle. Aussi cette nouvelle demande médicale vient-elle à la fois de l’institution, des familles et des enseignants confrontés à une individualisation de plus en plus marquée de la demande pédagogique et soulagés de confier les cas en difficulté scolaire.
La critique peut porter sur le diagnostic de l’ouvrage : la médicalisation de l’échec scolaire accompagnerait une perte de confiance et d’influence de la profession enseignante, combattue maintenant sur son propre terrain scolaire (p. 199-207). Faut-il voir un déclin de la profession enseignante qui ne serait plus reconnue comme des professionnels de la remédiation aux difficultés scolaires ou faut-il voir la reconnaissance de difficultés auxquelles l’enseignant ne peut faire face seul ? Quoi qu’il en soit, la médicalisation de l’échec scolaire montre en tout cas que l’école n’est pas conçue comme autonome. Au contraire, on assiste à une autonomisation du thérapeutique (p. 163-164). En conséquence, c’est désormais à l’enseignant de s’adapter à fois aux découvertes scientifiques et à la nouvelle demande sociale. Le rôle de l’enseignant devient subordonné à celui du chercheur en psychologie ou en neurosciences et à celui du thérapeute. La pédagogie devient subordonnée aux sciences cognitives.
L’ouvrage est à conseiller aux enseignants. La médicalisation de l’échec scolaire n’est pas un thème de recherche neuf mais l’ouvrage, bien construit et agréable à lire, permet de mieux comprendre comment interviennent les acteurs du soin. De plus, au-delà du problème de la médicalisation de l’échec scolaire, il pose le problème de la transmission des connaissances et de sa réception à travers le rapport à l’échec de moins en moins accepté. N’existe-t-il pas un continuum entre les élèves en échec et ceux qui s’en sortent ? Autrement dit, n’est-ce pas à une médicalisation de la pédagogie à laquelle les enseignants sont confrontés ?

Jean-Marc Goglin