Le débat sur le numérique, quel que soit le domaine auquel il s’applique, oscille très souvent entre émerveillement ou crainte absolue. Le numérique, couplé à la ville, ne fait donc pas exception à cette règle. Ce livre entend replacer l’enjeu du big data pour la gouvernance urbaine en se méfiant des phénomènes d’exagération. L’ouvrage fait le choix de présenter des textes qui s’appuient sur des recherches empiriques précises et pas des généralités.
Big data et ville : une vue générale
Les années 2007-2008 ont marqué un tournant que l’on peut repérer à plusieurs indices comme la création de l’I-Phone ou d’Airbnb. A partir de là on peut considérer que les données sont devenues une ressource économique. « Elles prennent la forme de traces enregistrant les pratiques individuelles et elles circulent entre et au sein des organisations ». Nulle fascination béate pour le numérique de la part des auteurs qui soulignent bien que « les technologies sont tout à la fois facteur d’inclusion et d’exclusion sociale ». La ville est un bon terrain d’observation à la fois pour mesurer l’émergence de phénomènes nouveaux et aussi pour en mesurer les problèmes. L’application Waze par exemple, en informant sur l’état du trafic routier, peut conduire à de nouveaux engorgements en détournant une partie des voitures. Il ne faudrait pas toutefois se limiter à n’envisager que des plateformes connues car Veolia ou la communauté urbaine de Lyon s’intéressent aussi au big data. La ville a généré des expériences dont beaucoup se révèlent peu abouties à l’exemple de Masdar, cette ville comme un modèle écologique. « Le formalisme numérique s’accommode en effet difficilement avec l’informalité urbaine ».
Les villes contre Airbnb ?
Thomas Aguilera, Francesca Artioli et Claire Colomb s’attaquent à cette question. Ils distinguent trois temps : des processus de politisation de l’enjeu, puis des mesures prises pour réguler et, selon les cas, de façon plus ou moins forte. Le processus qui a vu la question commencer à se poser diffère selon les villes. A Paris, c’est une alliance entre le maire et les hôteliers qui a porté le sujet sur la place publique. A New York ou Berlin, ce sont davantage des mouvements militants qui ont mis le sujet à l’agenda. Les auteurs évoquent ensuite les différents types de politiques appliquées avec l’idée très souvent commune de réglementer la durée de location sur une année. Cependant la variété est de mise entre 30 jours par an à Amsterdam à 120 à Paris, ce qui change tout de même la donne. Les villes ont donc réagi de façon diverse et elles cherchent aujourd’hui à coordonner leurs réponses. Cela s’explique par le fait que très souvent les villes n’ont pas accès aux données d’où la difficulté de décider. Les auteurs distinguent ensuite six types de groupes d’intérêts pour cerner leurs logiques.
La politique des expérimentations urbaines : Singapour, San Francisco
Brice Laurent, David Pontille et Félix Talvard étudient le cas de deux villes qui constituent avec respectivement Virtual Singapore et MuniMobile à San Francisco des exemples d’ « expérimentations urbaines ». Il faut donc les considérer comme des tests destinés à produire de nouvelles connaissances. Ces villes proposent de la visualisation 3D au service des utilisateurs. Virtual Singapore implique la participation des habitants qui fournissent des données. Ce sont ainsi 40 000 capteurs individuels qui ont été distribués aux étudiants. Les habitants prennent donc part à l’expérimentation et récoltent de l’information. A San Francisco l’expérimentaiton est destinée à produire des preuves à l’agence des transports « pour agir sur la tarification et l’administration des services de mobilité ». « La laboratorisation du monde est particulièrement visible en ville ».
La police prédictive : technologie gestionnaire de gouvernement
Predpol est la start-up la plus célèbre en matière de police prédictive. Elle commercialise un produit qui se vante de proposer, en temps réel, les risques d’occurrence des crimes avec une précision de deux-cents mètres. Le marketing est important pour une telle entreprise et passe par une nouvelle forme, un slogan accrocheur et un mythe fondateur. Les auteurs démontent le système en montrant, par exemple, comment l’entreprise propose dans sa phase de lancement un prix soldé. Cette réduction pourrait se comprendre et se justifier jusqu’à ce qu’on apprenne que les agences de police s’engagent à parler de manière positive de la marque ! D’un autre côté, l’entreprise communique sur le fait qu’en passant seulement 5 % de leur temps disponible dans les zones identifiées les patrouilles sont deux fois plus efficaces par rapport à d’habitude. Au-delà de cet aspect, les auteurs proposent de lire le phénomène de la police prédictive « comme une entreprise de rationalisation de l’administration dans la continuité du New Public Managment ».
Les algorithmes et la régulation des territoires
Des affaires récentes ont montré qu’une personne pouvait faire grimper artificiellement un restaurant dans un classement proposé par une application. Dominique Cardon et Maxime Crépel analysent des cas médiatisés d’applications réputées proposant des services de référencement de commerces, d’offres de logement ou de mobilité dans les villes. Les auteurs pointent le fait que les applications de calculs d’itinéraires ont ainsi tendance à déréguler les formes existantes de gestion du trafic car elles se fondent sur d’autres types de données et de représentations. Ils proposent une grille pour permettre de rassembler dans l’analyse la diversité des cas étudiés. Ils font apparaître quatre actants : le « dénonciateur », « l’agent algorithmique », la « cause » imputée et la « victime ». Ces dernières sont d’ailleurs rarement les dénonciatrices. De façon très synthétique les auteurs pointent aussi les différents principes que les algorithmes sont accusés de transgresser comme le « principe d’égalité » ou encore celui de « respect de la vie privée. »
Ce livre a donc le grand mérite de proposer, grâce à l’entrée par des études de cas, une analyse solide des liens entre numérique et ville, loin des discours pré-construits sur les dangers ou les promesses du numérique.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes