Spécialiste reconnu de la population, Gérard-François Dumont (Paris IV) s’intéresse ici à la question de l’exclusion qu’il rappelle être une marginalisation multiforme d’une partie de la société. Et c’est bien parce qu’elle comporte de nombreux visages que l’auteur considère l’exclusion comme généralement trop partiellement analysée et qu’un regard en profondeur est nécessaire.
Ainsi pour construire un « indice synthétique d’exclusion » solide, ce sont 13 indicateurs provenant de 4 institutions différentes qui sont mobilisés :
– 6 indicateurs censitaires issus de l’INSEE (taux de chômage, taux de logements HLM, taux d’ouvriers et d’employés, taux de non diplômés, taux de familles monoparentales, taux d’emplois aidés),
– 3 indicateurs fiscaux de la DGI (revenu fiscal médian, part des ménages fiscaux non imposés, limite du 1er décile du revenu fiscal des ménages),
– 1 indicateur de la Banque de France (l’indice de surendettement),
– 3 indicateurs de la CAF (part de la population bénéficiant du RMI, taux d’allocataires de l’AAH Allocation aux adultes handicapés, taux de bénéficiaires de l’API Allocation parent isolé).
Si l’exclusion touche entre 6 % et 11 % de la population et tous les milieux spatiaux, c’est en zone urbaine, là où l’exclusion est la plus hétérogène, que l’auteur propose de tester sa méthode et plus précisément dans les grandes métropoles régionales françaises pour se distancier de l’exemple parisien trop souvent convoqué. En cela, 6 terrains sont analysés (Lille, Bordeaux, Nice, Marseille, Toulouse et Lyon), inévitablement situés en majorité au sud du pays.
Ces présentations techniques faites dans une première partie, l’ouvrage développe dans une seconde partie un portrait de chaque métropole selon la série d’indicateurs avant de les rassembler selon « l’ISE Indice synthétique d’exclusion » dans une troisième partie.
Même si l’on est impatient d’aller directement voir cette troisième partie, on peut progressivement se rendre compte de la physionomie de ces territoires et de percevoir si l’exclusion est centrale ou davantage périphérique. Qu’il s’agisse d’un territoire à faible emprise foncière (Bordeaux) ou dominante par rapport au reste de son agglomération (Toulouse), l’exclusion semble se concentrer dans la commune-centre tout comme pour Marseille à qui s’ajoute un pourtour sud de l’étang de Berre peu favorisé également. Lyon est plutôt marquée par une coupure Est-Ouest alors que Nice révèle les limites de l’industrie touristique et des emplois saisonniers. La situation lilloise est à l’image de l’originalité de sa configuration : l’exclusion se concentre dans les trois communes-centres laissant des interstices en meilleures postures.
La fin de la démonstration s’appuie sur la comparaison entre le modèle urbain européen (l’exclusion augmente au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre, situation qui serait symbolisée par Paris) et le modèle américain (l’exclusion diminue en s’éloignant du centre, situation qui serait symbolisée par les 6 métropoles régionales ici étudiées mais avec des nuances – Bordeaux et Lyon tirant leur épingle du jeu en tant que « modèle américain atténué »).
Des facteurs explicatifs sont livrés pour justifier cette géographie centripète de l’exclusion : chômage dû au redéploiement périphérique de l’industrie, forte présence d’immigrants, d’étudiants en situation précaire, d’habitat insalubre, de résidents de grands ensembles et de populations marginalisées comme les SDF.
Une analyse très détaillée, de nombreuses cartes pouvant illustrer des situations très précises et des prolongements potentiels variés comme ceux évoqués en conclusion : questionner les acteurs de terrain, élargir l’enquête à l’échelon infracommunal ou encore se livrer à des comparaisons temporelles.