Absence d’information, oubli ou invisibilisation d’un phénomène : les blancs laissés sur une carte ne sont pas neutres. Cet ouvrage collectif est à la fois un livre de réflexion et un beau livre qui propose une quarantaine de cartes inédites.
Un sujet original
Par ses vides, la carte décuple la curiosité et suscite un désir de découverte. L’hypothèse des auteurs est que les vides cartographiques n’ont rien d’anecdotiques et qu’ils ne sont pas qu’esthétiques. Ils peuvent relever de choix politiques ou culturels. Cet atlas prolonge, d’une certaine manière, « l’Atlas de l’invisible » mais s’en distingue aussi. Il prend le contrepied, d’une part, des discours enthousiastes sur le déluge des données et, d’autre part, des nombreuses approches qui tendent à privilégier les pleins.
Que signifie le blanc ?
Ce livre prend le parti de s’intéresser au vide dans un monde où les terres inconnues deviennent rares. Tout processus de création cartographique implique une sélection d’informations mais aussi un agencement pour rendre compréhensible la carte. Il faut bien mesurer que le blanc des cartes est inhérent au processus même de fabrique de la carte. La cartographie, c’est donc aussi l’art de l’omission. Les historiens ont montré que le blanc sur les cartes est polysémique et on a pu tenter de le combler par différentes stratégies.
Les auteurs
Sylvain Genevois est géographe de formation. Ses travaux portent sur la didactique de la géographie et les technologies numériques. Il anime un blog contributif Cartographie(s) numériques(s). Matthieu Noucher est géographe et chercheur au CNRS. Il a publié « Blancs des cartes et boîtes noires algorithmiques » en 2023. Xemartin Laborde est journaliste cartographe au Monde. Il a participé à plusieurs atlas dont « l’atlas des forêts dans le monde » et aussi récemment à l’ouvrage « Mappemondes ».
Du déluge au désert des données
Cette partie de l’ouvrage remet en cause l’idée de déluge des données en montrant l’existence de nombreux déserts de données. La couverture informationnelle est toujours relative et dépendante du contexte. Il existe encore des déserts de données. La géonumérisation accélérée du monde n’oblitère pas les logiques d’omission et le maintien de vides relatifs. Google street view n’offre qu’une vision fragmentée du monde. On peut relever également que les fonds marins n’ont faits, jusqu’à aujourd’hui, l’objet que d’une exploration encore très lacunaire. Le blanc sur une carte peut signifier également qu’on ne communique pas une information ou qu’on ne l’a pas produite. On peut aussi noter qu’on est capable de faire disparaitre les nuages des images satellites comme à La Réunion afin de rendre plus lisible une carte.
Faire parler les blancs des cartes
La couleur blanche peut évoquer une valeur nulle ou indisponible. Le point Nemo est le lieu de l’océan le plus éloigné des terres. Il faut s’interroger pour savoir ce qui se cache derrière un « null ». L’exemple des pays qui n’ont pas de données pour la vaccination contre le Covid-19 peut constituer un exemple intéressant. Dans les bases de données mondiales qui ont été constituées, des blancs des cartes demeurent sans qu’on sache précisément l’origine de ces valeurs nulles.
Représenter le vide
Représenter les vides peut servir à mettre en évidence ce qu’on ne voit pas habituellement. Le livre propose un exemple de carte appelée « personne n’habite ici » avec plusieurs flashs sur des territoires français. Un autre aspect abordé est celui des zones blanches téléphoniques. On peut tout de même remarquer qu’à mesure que l’on voit se développer les performances des réseaux de téléphone, les blancs des cartes ressurgissent. Plusieurs exemples sont aussi proposés. La partie se termine par les cartes d’émission lumineuse.
Révéler ou masquer le blanc
Il s’agit ici de porter l’attention sur le processus d’invisibilisation propre à la fabrique des cartes. Il existe une vaste zone blanche aux Etats-Unis qui vise à protéger les radiotélescopes de l’Observatoire scientifique de Green Bank et les récepteurs de la Navy Security Group Activity, une unité de renseignement militaire. Certains ont choisi justement de s’installer pour profiter de cette configuration particulière. Aujourd’hui, la cartographie est devenue un support incontournable des combats autochtones pour la sécurisation de leurs territoires. Les peuples autochtones font valoir leurs droits fonciers. Le chapitre parle aussi des zones de survol aérien interdit. Ces zones de restriction sont davantage liées à des zones de conflit et peuvent donc évoluer en fonction de la situation. Elles couvrent une large partie de l’Europe orientale ainsi que la majeure partie de l’Iran ou de l’Irak.
En conclusion les auteurs soulignent que les cartes d’aujourd’hui feignent d’ignorer l’absence de données en privilégiant des visualisations continues grâce à des jeux d’interpolation ou d’extrapolation opaques. La carte apparait donc comme un objet d’art autant que de savoir et de pouvoir. Prendre le temps de regarder les blancs plutôt que de chercher à les combler peut être une opportunité de diversifier nos manières de voir le monde.