Nouvelle ressource pouvant accompagner la mise en place des nouveaux programmes de collège de 2015 mais pensé de manière plus large pour traiter de l’enseignement de la géographie en collège et en lycée, cette copieuse publication de 9 chapitres et plus de 300 pages s’adresse « aux jeunes (ou futurs) professeurs d’histoire et de géographie » avec l’ambition de leur proposer fondements théoriques et applications destinées au travail en classe.
Fruit du travail de dix rédacteurs, l’ouvrage s’ouvre sur une longue introduction visant à cerner les contours de la discipline, son insertion désormais actée dans le champ des sciences sociales, son regard renouvelé envers les questions naturelles depuis le glissement de l’étude de leurs faits vers les sciences de la vie et de la Terre. Conclusion intéressante de cette mise au point : des définitions par la négative qui permettent de sortir des clichés (pp 48-49).
Le cœur du livre décline de nombreuses façons de faire, des entrées thématiques mobilisant des supports commençant aujourd’hui à rentrer dans les usages : l’art, par exemple, permet d’évoquer avec le cinéma, la BD ou encore la littérature, les spatialités des individus au travers des narrations et des illustrations. On peut notamment y travailler des parcours d’individus comme cela est proposé très concrètement pour le roman policier « Total Kheops » de Jean-Claude Izzo (pp 133-134).
L’étude des supports s’approfondit lorsqu’il est question de s’interroger sur le « statut didactique particulier » (p 297) de certains d’entre eux : les documents d’aménagement (chap. 9, point II), les médias d’actualité (chap. 4, point I), les magazines de géographie « grand public » (chap. 4, point II). La déconstruction des discours produits par ces documents doit servir à l’apprentissage des représentations, de la confrontation des points de vue, de la (non) mise à distance. Autant de démarches qui contribuent à développer le regard critique de l’élève et à lui faire conquérir un peu plus son autonomie. Et il est ici bon de rappeler « qu’un document n’est jamais vraiment géographique en lui-même, il le devient sur la base des interrogations que l’on formule à son sujet » (p 161). Cela est d’autant plus important à souligner que ces documents trouvent généralement une place de choix dans les manuels. Ainsi la mise en page, le rapport texte-image, les cadrages photographiques sont loin d’être neutres dans la conception des outils destinés à l’élève. Des indicateurs d’analyse existent comme « l’imagement » (p 97) qui, sur la question des images, permet de cerner la part des illustrations dans les pages d’ouvrages, le choix des lieux, l’ordre de défilement et le lien avec le texte principal.
Le livre propose également un bel éclairage sur divers concepts de la discipline, notamment les composantes du raisonnement géographique : le modèle hypothético-déductif y est bien décortiqué (p 65), les systèmes complexes aussi (p 66). Le fait que la signification des concepts peut souvent renvoyer à un véritable flou artistique est abordé de manière originale avec l’étude des résultats d’une recherche de mots clés sur google images (chap. 5, point II) : le côté esthétisant des images proposées perturbe la donne, la comparaison avec la langue anglaise également. Le cas problématique du développement durable est bien épluché (chap. 9, point III) : notion ni scientifique, ni géographique mais bien politique, elle ne prend pas en compte les acteurs ni les interactions et fait intervenir des temporalités bien souvent non concordantes. Les trois piliers ne peuvent pas vraiment se concilier.
Le regard sur les textes des programmes est porté aussi avec une dimension analytique : le thème de l’aménagement montre qu’il n’est pas évident pour le législateur de trancher entre angélisme et fatalisme (pp 286-287), entre une vision prescriptive et une vision plus engagée. Plus qu’un obstacle, il y a là une occasion de répondre au « défi pédagogique » posé par cette entrée : en étudiant différents scénarios, différents choix, on peut travailler l’étude de l’écart entre les objectifs affirmés d’une stratégie et les arbitrages de terrain. La lecture globale des textes officiels sert également à montrer qu’un objet d’étude peut prendre des acceptions très variées selon les différentes parties du programme dans lesquelles il se situe : cas du développement durable en 5ème (acception faible) et en 2nde (acception forte).
Enfin, le dernier apport majeur de l’ouvrage tient à la prise en compte de la progressivité des apprentissages. C’est sans doute ce point qui rend le mieux hommage au sous-titre du livre souhaitant faire le lien entre le collège et le lycée. Cette façon de procéder est abordée sur le thème de la ville (chap. 6, point II) mais réellement détaillée avec minutie sur la question cartographique (chap. 2, point II). Et on ne boudera pas son plaisir au sujet des quelques incursions dans le monde du primaire qui, désormais se raccroche au collège par le biais du cycle 3 : ici, c’est même à l’échelle de la jonction cycle 1 et cycle 2 qu’un paradoxe important est soulevé : « les élèves de maternelle sont de fait mobiles, c’est ensuite en cycle 2, alors que cette mobilité est plus réduite, qu’on leur donne les « clés » de l’espace » (p 73). De quoi réinterroger sérieusement le statut du déplacement dans les classes et à l’extérieur des établissements.
Des apports solides donc sur les questions des concepts, des supports, des programmes et des progressions. Toutefois, on pourra regretter un certain déséquilibre dans le poids des chapitres, notamment un très maigre volet sur la France des marges (question pourtant apparue au programme du CAPES et de l’agrégation) et certains points dont l’exploitation en classe n’est pas proposée comme c’est le cas souvent ailleurs. L’équipe composite montre également des degrés différents de connaissance du monde scolaire et de ses réalités, ce qui dessert également un peu la cohérence générale du texte tout comme le fait que certaines plumes s’avèrent très exigeantes alors que le texte, rappelons-le, s’adresse prioritairement aux novices. Ceci étant, rien n’empêche aux enseignants confirmés et aux formateurs de s’y plonger et d’y prélever la riche matière qui s’y trouve pour y géographier le monde d’aujourd’hui et de demain.