Si les professeurs d’histoire lisent beaucoup de livres d’histoire, l’enthousiasme semble moindre lorsqu’il s’agit de didactique de leur matière. Partant de ce constat, Alain Dalongeville Marc-André Ethier et André Lefrançois entendent faire le point sur les débats qui agitent « didacticiens, pédagogues et enseignants d’histoire ». Il ne s’agit pas d’opposer pratique du terrain et réflexion théorique. 

 

Des partis pris assumés

Alain Dalongeville est entre autres connu pour animer le site situationsproblemes.com et avoir réfléchi à cette modalité de travail depuis de nombreuses années. Marc-André Ethier est rédacteur en chef de la Revue des sciences de l’éducation. André Lefrançois est professeur en sciences de l’éducation à l’université de Québec. Dès l’introduction, les auteurs énoncent leurs convictions : il n’y a pas de fatalité dans l’échec des élèves et il faut privilégier les démarches constructivistes et ne pas réduire l’histoire à une question de mémorisation. Les auteurs souhaitent soulever plusieurs débats : la finalité de l’histoire scolaire, les pratiques, la question du récit et enfin la cohérence des pratiques et objectifs assignés à l’histoire scolaire. 

De quoi parle-t-on quand on parle de didactique de l’histoire ? 

La didactique, c’est « l’étude des conditions, effets et moyens visant à apprendre ou à enseigner les savoirs propres à une matière ». La transposition didactique désigne elle les transformations pour que le savoir savant devienne un savoir à enseigner. Transposer ne veut pas dire simplifier. L’histoire s’inscrit plus que d’autres matières dans une demande politique et sociale. Ce qu’il faut affirmer c’est que les origines ne peuvent constituer à elles seules et pour personne une identité. On retrouve ici les débats autour du « roman national ». Le risque est de, soit ramener les individus à leurs origines, soit de les nier. L’avantage du livre est de décentrer le regard en évoquant l’exemple québécois où la diversité culturelle n’est pas niée. Il est indispensable, en France, d’interroger le statut réel des héros et anti-héros. Il y a une tension entre le fait d’enseigner l’histoire pour faire aimer le pays aux élèves et, le faisant, les conduire à une posture critique de celle-ci. Bref, est-il possible d’aimer son propre pays et, en même temps, de développer une compréhension critique de son histoire ? 

Quelques évolutions récentes

Les auteurs se penchent ensuite sur la question de l’enseignement civique et ses variations en quarante ans. Il faut aussi envisager la question des mémoires sans qu’elle devienne envahissante dans les programmes. Il faut donc former à la pensée critique mais prendre garde à tout risque de relativisme. Parmi les évolutions à encourager, un récit de l’histoire qui se féminise, se mondialise et qui tienne compte également des histoires régionales. On peut évoquer les travaux de Sam Wineburg pour inciter à « lire comme un historien ». Selon lui, l’enseignement de l’histoire doit se faire selon quatre stratégies que les élèves doivent apprendre à maitriser : indexation de la source, contextualisation, corroboration et lecture en profondeur. 

La didactique de l’histoire, un nécessaire dépassement de contradictions

Les auteurs relèvent ce qui influence l’histoire à enseigner. Celle-ci dépend de contraintes institutionnelles, d’une tradition scolaire ou de manuels entre autres. Il est difficile de faire évoluer des représentations d’élèves en étant uniquement dans un mode transmissif comme le montre l’exemple cité des « invasions barbares ». Depuis longtemps, Alain Dalongeville incite à faire travailler les élèves comme les historiens, c’est-à-dire avec des documents parfois contradictoires. Pour que les choses changent en ce sens, il faudrait que la formation évolue. De plus, beaucoup d’enseignants restent influencés par leur vision de l’histoire sous forme cumulative et la reproduisent avec leurs élèves.  Pourquoi ne pas aller aussi vers un récit produit par les élèves ? Il faut également noter que tous les types de documents historiques peuvent être porteurs d’un point de vue. Alain Dalongeville revient aussi sur la place de l’évènement ou sur la nécessité de changer parfois d’échelle temporelle, par exemple pour envisager l’idée de « révolution industrielle ». 

La didactique de l’histoire, un usage spécifique des concepts

Les auteurs reviennent sur le fait que la didactique de l’histoire peut être considérée comme une science pour trois raisons. Elle dispose d’un champ d’investigation et de pertinence, d’une méthodologie spécifique et de stratégies ainsi que de concepts. Il s’agit d’interroger la place des concepts dans l’histoire savante. Ceci peut éviter l’histoire uniquement évènementielle, mais il est fondamental alors de bien choisir le concept central dominant. Ensuite il convient de repérer ses attributs essentiels et de prévoir exemples et contre-exemples. Le livre propose une illustration de ceci à partir du cas québécois puis avec l’idée de Révolution française. 

La didactique de l’histoire, entre théorie et pratiques

Le chapitre aborde la question de la place du document dans le cours d’histoire. Il détaille les différents types et statuts possibles. S’agit-il d’illustrer, de prouver ou est-il un outil pour construire des compétences méthodologiques ? Les auteurs reviennent aussi sur la visite de musée et l’accompagnement en amont et en aval nécessaires. Il faut s’arrêter sur la démarche quasi systématique qui veut qu’on associe un lot de questions à un document. L’idée de mission s’avère plus motivante. Le livre se poursuit sur la question des différentes formes d’évaluation mais traite aussi de la question des manuels. Il s’arrête également sur les questions qui peuvent être difficiles à enseigner comme la Shoah. A la fin, les auteurs plaident pour mieux cerner pour chaque thème le concept central. Ils affirment que « la pluralité dans l’enseignement de l’histoire scolaire n’est pas une concession à une repentance devenue à la mode ». 

En conclusion Alain Dalongeville, Marc-André Ethier et David Lefrançois se disent frappés par l’écart qui existe entre le «  foisonnement et l’originalité de la recherche en didactique de l’histoire et les pratiques concrètes ». L’enseignant a tendance à reproduire un type de pratiques qu’il a connu comme élève ou étudiant. La place de la formation est donc essentielle et les enseignants ont besoin de « vivre pour eux-mêmes des pratiques alternatives » et donc de disposer d’un temps de stage qui dépasse la simple journée. L’échange de pratiques est aussi une voie féconde. «  Il est temps que la didactique de l’histoire pèse davantage sur la formation ». Afin de prolonger cet appel, le livre se termine sur dix livres qui peuvent permettre de s’initier à la didactique de l’histoire.  Un livre à conseiller indéniablement pour aider à réfléchir à ses pratiques.

Un entretien d’Alain Dalongeville avec le Café pédagogique.

Jean-Pierre Costille