Compte-rendu de lecture, proposé par Gérard BUONO,
Lycée Soult et UFC Champollion, Albi.

Depuis le premier mai 2004, l’élargissement de l’Union Européenne a créé une situation nouvelle et inédite. L’intégration de dix membres supplémentaires, en particulier des trois républiques baltes et de la Pologne, a eu pour effet immédiat de créer sur le continent européen une enclave : le petit territoire de l’oblast de Kaliningrad, l’ancienne Königsberg. Cette région russe, l’une des 89 entités composant la fédération de Russie était jusqu’en 1945 la partie Nord de la Prusse Orientale.
L’ouvrage paru, et son sous-titre « une île russe au sein de l’Union Européenne élargie », pose clairement les objectifs de l’auteur : Kaliningrad est-elle le trou noir de la nouvelle Europe, ou la nouvelle situation géopolitique créée par l’élargissement va-t-elle profiter à la ville et à son territoire. Et pour la Russie quelles dynamiques peuvent être engendrées par la maîtrise d’une exclave de cette nature ?

Cette publication des PUPS est directement issue d’une thèse d’un auteur qui est présenté comme associé au LEPAC, Laboratoire d’Etudes Politiques et d’Analyses Cartographiques, et à l’Institut de géopolitique de l’Université Paris VIII. Donc au courant initié par Yves Lacoste (membre du jury de soutenance de la thèse en question) et Béatrice Giblin, qui a encadré la recherche effectuée. Et cela se retrouve, parfois lourdement, dans les contenus. En effet, si la précision des données et la qualité des cartes, annexes et bibliographie sont incontestables, l’insistance à organiser la réflexion autour de l’analyse des « représentations géopolitiques des russes et des européens», la longueur de certaines mises au point, et les développements excessifs de certains rappels induisent une lecture fastidieuse. Le ton reste celui d’une thèse plus que celui d’un ouvrage destiné au grand public, même le plus éclairé. La compilation n’est pas évitée, par exemple dans les annexes (parfois très utiles pourtant, comme les tableaux de mise au point sur la toponymie du territoire, et ses variations entre noms germaniques, lituaniens, russes, voire soviétiques…).

Cette lourdeur n’est donc pas pour autant un obstacle rédhibitoire, et une lecture sélective permet la mise à profit des nombreux apports précis, consistants, et nouveaux. Grâce en particulier à l’utilisation de sources multiples (la bibliographie utilise nombre de publications difficilement accessibles : allemandes, suédoises, britanniques, plus rarement russes) ; à des cartes nombreuses, d’échelles différentes, et de provenances variées ; et à une qualité éditoriale certaine : l’ouvrage est complété d’un index détaillé, d’une table des matières consistante, utile pour récapituler un plan très approfondi, et dans une mise en forme soignée et réussie (typographie, brochage, qualité du papier, pagination sont bien au-dessus de ce que beaucoup d’éditeurs nous infligent parfois).

L’auteur conclut sur l’idée que les changements sont positifs pour la région de Kaliningrad : croissance du fret maritime, rénovation urnaine en cours, stratégie concertée de développement régional. Il relève cependant la faiblesse des investissements étrangers, malgré la création d’une Zone Economique spéciale, et la persistance de carences sociales et politiques (pauvreté, insécurité, autonomie difficile vis à vis de Moscou, tensions entre UE et Russie, dont Kaliningrad deviendrait vite l’enjeu).
La troisième partie (très classiquement intitulée « Enjeux et perspectives ») n’hésite pas à envisager un « risque Kaliningrad », sous la forme d’une hypothèse : celle d’une remise en cause du statut actuel de l’enclave. La perspective d’une autonomie, voire d’une indépendance de Kaliningrad, « quatrième république balte », serait en effet une remise en cause directe de l’intégrité territoriale de la Russie. Ce risque de séparatisme est replacé dans le contexte de la Russie post-soviétique, avec une évaluation des forces centrifuges et centripètes, des sentiments dominants de la population, et des réponses du « centre » quant au renforcement de la souveraineté russe sur la région : monuments à la gloire de la grande Russie, renforcement du religieux, stratégie économique pilotée depuis Moscou, et volonté de changer l’image du territoire de Kaliningrad.

La conclusion, logiquement, renvoie à la question de la nature du régime politique actuel de la Russie, Kaliningrad étant jugée « pas si différente finalement, malgré son enclavement, des autres régions russes souffrant d’isolement ». La seule distinction relevée, « celle d’être née allemande », pouvant cependant être complétée par l’importance dans la situation géopolitique de l’enclave de Kaliningrad de l’Union Européenne, dont le poids et la nature très exceptionnelle n’ont pas d’équivalent.

Sur un sujet aussi central dans nos programmes (et dans les questions géopolitiques actuelles en Europe), il s’agit au total d’une publication d’un réel intérêt.

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