Le général Olry (1880-1944) a tout de l’inconnu des Alpes. C’est pourtant avec lui que Max Schiavon poursuit son étude du haut commandement français de 1940. Venant après celles des généraux Georges, Corap, Weygand et Gamelin, cette nouvelle biographie examine donc le cas Olry. Le dossier de ce dernier représente toutefois une réconfortante anomalie puisqu’il est la seule exception dans le cortège de ces chefs vaincus. Paradoxe d’une victoire dans une guerre perdue, le général Olry a tenu ferme sur le front des Alpes, domptant militairement les Italiens par une bataille d’arrêt en montagne.

Escamoté par la grande tragédie de 1940, ce succès et son chef d’orchestre sont donc à redécouvrir dans cette biographie

Le parcours de René Olry suit longtemps les chemins du conformisme. Issu d’un milieu bourgeois, c’est un polytechnicien moyen mais un artilleur doué. Officier bien noté sans être exceptionnel, il est attaché aux valeurs de droite traditionnelle de son milieu tant civil que militaire. Catholique pratiquant et homme d’ordre, il est peut-être un peu plus que cela puisqu’on le découvre fidèle lecteur du journal antisémite La Libre Parole avant 1914.

La Grande Guerre lui permet de commencer à sortir du lot. Olry se montre un artilleur efficace sur le Front, mais se fait surtout apprécier en tant qu’officier d’état-major. Son expertise et son potentiel sont remarqués par des chefs influents qui appuient et favorisent la progression de ce sujet d’avenir. Il est sélectionné pour faire partie de la première promotion d’après-guerre des brevetés de l’École Supérieure de Guerre. Il est ensuite désigné pour une mission de confiance en Grèce, où il crée et dirige de 1925 à 1928 un enseignement militaire supérieur dont le navire amiral est une École de Guerre conçue sur le modèle français. À son retour, il suit l’enseignement du CHEM, le Centre des hautes études militaires qui est la pépinière des futurs généraux.

La carrière de René Olry est en somme représentative du cursus type des officiers supérieurs et généraux français de l’entre-deux-guerres, de leur sociologie, leur formation, leurs fonctions et promotions. Par extension, elle apporte également un éclairage sur l’organisation du haut commandement français dans la décennie qui précède la pire débâcle militaire de l’histoire de France. Elle illustre enfin le rôle des appuis dans la construction d’un parcours. Estimé pour sa personnalité consensuelle à l’aura unanimement positive ainsi que pour sa force de caractère, Olry se forge un réseau relationnel de décideurs influents qui poussent sa carrière vers les postes supérieurs à haute responsabilité.

Sa formation au CHEM lui donne l’occasion de s’intéresser à la question de la défense des Alpes. Par le jeu des affections successives et des études, il devient un expert de la guerre en montagne et un spécialiste du secteur défensif des Alpes. Il arrive ainsi parfaitement préparé aux hauts commandements alpins qu’il exerce à partir de 1935. Il dirige notamment le secteur fortifié et la division de Nice, poste lourd de responsabilité car le plus exposé sur la frontière franco-italienne. Progressant dans la hiérarchie, le général Olry devient finalement le chef de l’Armée des Alpes en décembre 1939.

Ce commandement lui permet de donner toute la mesure de son talent de chef. Il met à profit les mois de la drôle de guerre pour parachever la préparation minutieuse d’une possible attaque italienne sur la frontière. Tout le monde pressent en effet que la non-belligérance proclamée par Mussolini n’est que provisoire et opportuniste. Olry prépare, prévoit, supervise, entretient les forces morales, sait parfaitement s’entourer de cadres de valeur, et fait confiance à ses subordonnés en leur déléguant la décision immédiate face aux situations de terrain. La tâche est compliquée par le retrait de moyens qui lui est imposé en faveur du front du nord-est.

Finalement, Mussolini ne franchit le Rubicon que lorsque la guerre éclair allemande a disloqué l’armée française. Il attend son agonie au mois de juin pour s’inviter au partage des dépouilles. Il lui faut prendre son butin avant que les négociations d’armistice n’aboutissent. Malgré l’obstacle du relief, il s’attend à pouvoir refouler assez aisément des Français en nette infériorité numérique et démoralisés par la défaite. Mais les Italiens sont trop présomptueux. Leur élan est bloqué, déconcerté par une défense mordante qui joue pleinement du double avantage des contraintes du terrain et d’un moral élevé. Leurs gains territoriaux sont insignifiants.

Même si cette lutte se déroule dans les tout derniers jours de la guerre, sur des points de friction localisés et avec des pertes réduites, elle est compliquée par la descente vers le sud des troupes allemandes. Mais Olry a également bien anticipé cette bataille de revers contre les Allemands sur l’axe rhône-alpin. Organisant une double ligne de défense avec des moyens de circonstance, il parvient aussi à bloquer leur avancée, ce qui rend son bilan encore plus remarquable.

Dans le contexte de l’effondrement général de juin 1940, les succès tactiques et stratégiques de l’armée des Alpes sont donc une exception magistrale

Cette performance s’explique en partie, ainsi que le souligne Max Schiavon, par l’isolement stratégique dans lequel la débâcle générale a confiné Olry, en lui conférant l’atout d’une totale autonomie de commandement. Seul maître à bord, le bon capitaine a mené son navire à bon port.

Après la défaite, le général Olry reste un des chefs de l’armée de Vichy. Il y a peu de choses à dire sur la suite et fin de sa carrière. Maréchaliste sans ostentation, sa conduite est celle d’un pur militaire et d’un homme intègre. Il organise le camouflage des matériels dans la perspective d’un éventuel retour dans la lutte. Atteint par la limite d’âge, il quitte l’uniforme en 1942. Déjà malade, il décède avant d’avoir connu la Libération.

 

La biographie qu’en propose Max Schiavon propose une mise en lumière claire et scrupuleuse. La qualité et l’exhaustivité des sources et références utilisées est perceptible. La réhabilitation de ce chef capable et invaincu est peut-être un peu trop édifiante, mais elle semble méritée. Désormais, le général Olry n’est plus tout à fait l’inconnu des Alpes.