Réédités à plusieurs reprises, régulièrement présentés sur la Cliothèque les ouvrages de cette collection sont à chaque fois remaniés pour coller au maximum à une actualité sans cesse mouvante. Pour cette géopolitique de l’Afrique du Moyen-Orient, on peut forcément s’interroger sur le choix de faire un seul volume. Il est possible d’imaginer que l’islam pour l’Afrique septentrionale sert de lien avec le Moyen-Orient. Il est vrai que des pays comme l’Égypte, la Libye, qui appartiennent au Machrek font le lien avec le Maghreb, au nord de l’Afrique.

Encore une fois nous apprécierons dans cet ouvrage, comme dans tous les autres de la collection, la qualité de la maquette et une excellente cartographie qui vient illustrer les différentes parties. Dans le premier chapitre sur les dynamiques démographiques et mobilités le lien en terme de dynamisme démographique entre l’Afrique et le Moyen-Orient est évident. La chronologie mentionne d’ailleurs en 2015 la vague de réfugiés syriens en Europe ainsi que la création de l’agence européenne de gardes-frontières en 2016. On n’y trouve une mise en perspective en termes de croissance ainsi qu’une typologie des différentes migrations. La guerre en Syrie est l’objet d’une partie spécifique.
De la même façon, un très un intéressant chapitre « désert et hydropolitique » permet de comprendre le lien qui peut exister entre l’Afrique et le Moyen-Orient, avec cette diagonale désertique qui part du Sahara jusqu’à la péninsule arabique et même le désert salé en république islamique d’Iran. On insistera particulièrement sur le bouleversement des espaces- temps avec le passage des caravanes et la motorisation, un des instruments essentiels de certains conflits, notamment ceux en cours contre les nébuleuses islamistes au Sahel.

Cet ouvrage apportera énormément aux professeurs du second degré qui s’intéressent à la place de l’Afrique dans la mondialisation, une question au programme des terminales, avec les économies de rente et leur ancrage dans la mondialisation. On y verra une évocation des cycles rentiers du XXe siècle, les évolutions actuelles, avec en particulier la rente géopolitique du Tchad qui parvient, malgré la politique ambiguë de ses dirigeants, et des relations assez particulières avec la France, à tirer son épingle du jeu dans différents conflits, comme en République Centrafricaine. Les rentes ne sont pas simplement liées à des matières premières mais également à des prises de position géopolitique. On appréciera la carte de ces conflits liés aux économies rentières qui permet de faire une bonne synthèse de tout ce que l’on peut imaginer de pire de ce point de vue.

Approches transversales

La question de l’islam est évidemment centrale pour aborder la religion et la géopolitique, ce qui est l’objet du chapitre quatre. Des candidats aux concours d’enseignement pourront y trouver certainement matière à réflexion, pour cette partie du programme sur le Proche-Orient, même si la part de l’Afrique apparaît comme proportionnellement plus importante que celle qui est consacrée au proche Moyen-Orient.

Un tel sujet ne pouvait ignorer la question des états et des frontières, des constructions territoriales récentes, avec des situations extrêmement différentes entre l’Afrique et le Moyen-Orient. On n’y verra une référence à la république démocratique du Congo dont les frontières, issues de l’acte final de la conférence de Berlin en 1885 sont le résultat de travaux d’hydrographique. C’est également le cas du Gabon conçu à partir du bassin de l’Ogooué. On aurait pu rajouter le République Centrafricaine, que l’on appelait alors, autant de l’Afrique équatoriale française l’Oubangui Chari.
Les conséquences de ce découpage elles sont connues avec la balkanisation de l’Afrique, et les différents contentieux liés à la création de frontières artificielles sur le dépeçage de l’empire ottoman au Moyen-Orient.

Si la première partie est consacrée à des approches transversales, les secondes et troisième partie sont consacrées chacune à l’un des deux espaces géographiques qui est l’objet de l’ouvrage.

Pour ce qui concerne l’Afrique Noire, Roland Pourtier qui est l’auteur de la majorité des articles, développe l’ensemble des thèmes que l’on peut trouver, avec un souci d’actualisation, notamment pour le chapitre 17, l’Afrique subsaharienne dans la mondialisation. Les géographes de stricte observance apprécieront également dans le chapitre 16 les nouvelles dynamiques spatiales avec cette partie sur les polarités et la hiérarchisation des territoires.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée au Maghreb et au Moyen-Orient, ce qui peut se comprendre si l’on évoque l’unité de civilisation, ce qui n’empêche pas la diversité culturelle. Pour cette partie Brigitte Dumortier est très largement mis à contribution, et s’il ne faut pas attendre d’un ouvrage de ce type des révélations, mais une solide synthèse, le lecteur le plus exigeant dispose très largement de l’essentiel.

Géopolitique des espaces en crise

On soulignera tout l’intérêt du chapitre 20, géopolitique des mers bordières où l’on évoque successivement les passages stratégiques, particulièrement importants en Méditerranée, du détroit de Gibraltar au canal de Suez en passant par la mer Rouge et ce que l’on appelait avec une lettre majuscule les Détroits, à l’époque de l’empire ottoman, c’est-à-dire le Bosphore et les Dardanelles.
Dans ce contexte la Turquie est traitée à part, et cela est parfaitement opportun. On pourrait éventuellement envisager de développer ce point qui est abordé dans l’ouvrage par une carte, là aussi extrêmement pertinente sur la position de carrefour énergétique que la Turquie entend bien occuper. On aurait pu tout de même faire remarquer que le transanatolian project est prévu pour traverser la Grèce, l’Adriatique, pour arriver en Italie du Sud.
Il est évident que le chapitre 25 qui est consacré à la Syrie et à l’Irak, en voie de balkanisation, risque d’être obsolète avant même la parution de l’ouvrage. Il n’empêche que les lignes de force doive être connues, même si l’on aurait pu souhaiter que la question kurde fasse l’objet d’une partie spécifique. Il est vrai que le raisonnement des différentes factions qui divisent, et parfois opposent le peuple kurde ne semblent pas avoir de perception géopolitique spécifique. En l’état actuel des choses, et quelques semaines après le flop monumental du référendum sur l’indépendance, voulue par le clan Barzani, il semble bien que l’on s’achemine vers une mise sous éteignoir de cette aspiration nationale niée en 1923 par le traité de Lausanne mais que ses promoteurs semblent avoir dilapidée.
Cet ouvrage se termine sur les dynamiques des pays du golfe, et on peut s’étonner que la question du wahhabisme ne fasse pas l’objet d’un traitement spécifique. De la même façon le soft power de l’Arabie Saoudite aurait pu permettre un développement, même bref, assez éclairant.

Interface numérique

On appréciera dans cet ouvrage, comme dans l’ensemble de la collection la possibilité d’accéder aux livres en ligne, ainsi que la possibilité pour les concours et les examens d’avoir quatre rendez-vous parents pour décrypter la géopolitique mondiale. Cet ouvrage est conforme au programme de deuxième année des classes préparatoires ECS, mais il peut très largement servir de référence dans les centres de documentation et d’information, où l’on a souvent tendance à privilégier des batteries d’ordinateurs connectés à Wikipédia au détriment d’un apport au livre, y compris numérique. Mais cela suppose une véritable réflexion sur l’usage des centres de documentation dans le second degré, encore un chantier qu’il faudrait ouvrir, sans crainte de bousculer un certain nombre de certitudes et de rentes de situations.