DIONET-GRIVET Suzanne, « Géopolitique de l’eau », Editions Ellipses, Paris, 2011, 253 pages

Compte rendu par Jacques MUNIGA

Avec le forum mondial sur l’eau qui doit se tenir à Marseille du 12 au 17 mars 2012 ; avec l’inscription du thème de l’eau en classe de 5e du collège et en classe de 2e du lycée, le livre de Suzanne DIONET-GRIVET vient à propos.

En effet, si le cycle de l’eau a toujours été étudié, en précisant que sa répartition était inégale à la surface de la terre, deux nouveaux facteurs, l’explosion démographique et le réchauffement climatique modifient profondément l’approche de ce thème.

Le livre de Suzanne DIONET-GRIVET saura-t-il répondre à nos attentes de renouvellement de la question ?

L’auteur est enseignante notamment en classe préparatoire. On y décèle quatre parties parfaitement équilibrées avec leurs quatre sous-parties. Mais au-delà, même le nombre de pages est égal !
L’ensemble donne donc une impression de composition de géographie qui a respecté la rigueur d’une démonstration bien menée. Mais entrons dans le vif du sujet.

Le livre propose d’aborder le thème de la géopolitique de l’eau sous quatre aspects à savoir :
– La pression humaine sur les ressources en eau
– Les usages de l’eau
– Les enjeux géopolitiques
– Les enjeux environnementaux

A priori, l’auteur envisage de dresser un tableau complet sur la question de l’eau bien que l’on puisse critiquer la déclinaison des parties proposées. Il faut en convenir, avec un titre comme celui de « Géopolitique de l’eau », on pouvait s’attendre à une approche différente. Suzanne DIONET-GRIVET nous présente un exposé sur l’eau alors que l’on aurait souhaité avoir une analyse fine sur la géopolitique de l’eau comme l’annonce d’ailleurs le titre.

Première partie : La pression sur les ressources en eau : la raréfaction de l’eau et la croissance des inégalités.
Cette première partie est déclinée, comme les autres, en quatre sous-parties. La première de ces sous-parties, s’intitule « le cycle naturel de l’eau : la planète bleue ». Non seulement cette approche est étudiée dans tous les manuels et on aurait, ici, pu s’en dispenser mais au-delà il semble que l’assemblage des informations par ailleurs très bien illustrées, en essayant d’être concises, perdent parfois jusqu’au sens. A titre d’exemple ce sous-titre évocateur : « renouvelable ne veut pas dire non épuisable ». Jusqu’à présent nous savions que l’eau était une ressource renouvelable grâce à son cycle d’ailleurs décrit par l’auteur. Et maintenant nous apprenons que celle-ci est en fait « épuisable ». Suzanne DIONET-GRIVET nous précise : les eaux « sont épuisables par excès d’exploitation ». Et l’auteur poursuit en citant dans une seule et même phrase l’exemple californien et l’exemple libyen sans réelle précision. Or, ces deux exemples auraient mérités bien plus qu’une seule phrase ! Puis elle continue par un très long paragraphe sur les pollutions de l’eau.
Quelle relation Suzanne DIONET-GRIVET veut-elle établir entre une ressource fossile effectivement épuisable en Lybie et des eaux polluées inutilisables en l’état ?
Il en va de même dans la deuxième sous-partie intitulée : « le cycle humain de l’eau : la raréfaction de la quantité d’eau avec l’augmentation de la consommation humaine ». Globalement, l’auteur veut nous dire que l’explosion démographique a engendré une demande en eau accrue mais il n’y a pas à proprement parler de raréfaction de l’eau qui serait due à l’augmentation de la consommation.
Tout ceci reste assez confus comme cet autre sous-titre intitulé : « le prélèvement est un bon indicateur de la pression sur les ressources ». En effet, si le tableau tiré de « G. de Marsilly, L’Eau, un trésor en partage, Dunod. 2009 » retient toute l’attention, la suite est plutôt décevante. A titre d’exemple, l’auteur essaie d’introduire une différence entre l’eau utilisée qui est consommée et celle qui n’est pas consommée ; entre l’eau prélevée à usage unique et celle qui a plusieurs usages successifs. Outre le fait que ce paragraphe manque de clarté faute de développement probablement, il alourdit sérieusement la lecture de l’ouvrage.
Enfin, les deux dernières sous-parties traitant du « défi social de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement : une crise au sud » et du « stress hydrique dans le MENA, triangle de la soif et arc de crises » peuvent recevoir les mêmes critiques que celles-ci-dessus.
En revanche, il faut absolument saluer la pertinence des documents (fort nombreux) qui accompagnent ce chapitre. De même que le tableau sur l’augmentation de la demande en eau déjà signalé, il faut relever les nombreuses cartes comme celle des disponibilités en eau dans le monde d’après la FAO ou ces extraits d’articles du « Monde », « d’Economia » qui sont d’excellentes illustrations pour les enseignants soucieux d’appuyer leurs cours avec des exemples.

Deuxième partie : Les usages de l’eau.
Là encore, nous avons un chapitre qui est des plus classiques dans les manuels traitant du thème de l’eau. Entre la révolution hydraulique, l’eau des champs, l’eau des villes et la gestion de l’eau, le chapitre égrène des notions largement diffusées ailleurs et le lecteur reste toujours dans l’attente de la « Géopolitique de l’eau » pourtant annoncée dans le titre.
A titre d’exemple, l’auteur, dans le sous-chapitre « l’eau des champs », s’est faite un devoir de consacrer une longue sous-partie aux « sociétés hydrauliques de l’Asie des moussons ». Outre le fait que l’on est loin du sujet annoncé, ces quelques pages ne nous apprennent rien de bien nouveau. Cette partie est même d’une banalité déconcertante comme par exemple cet apport : « depuis 1000 ans, les sociétés hydrauliques ont creusé des canaux pour évacuer l’eau et élevé des digues de terre pour se protéger des flots ». Dans les manuels de collège des années 50, on pouvait déjà lire la même chose !
Il en va de même de ce sous-titre dans le sous-chapitre concernant « l’eau de villes ». On peut y lire : « les conflits d’usage de la région de Saint Etienne au XIXe siècle au Sud-Ouest américain… ». S’appuyant exclusivement sur un article de Luc Berger publié dans le cadre du FIG de Saint Dié, 2003, traitant du problème stéphanois, Suzanne DIONET-GRIVET tente de faire un parallèle avec les conflits du Sud-Ouest américain. Oui, peut-être…. Mais il semble que non seulement les échelles sont différentes, mais aussi les époques et surtout les enjeux.
Enfin, dans le dernier sous-chapitre intitulé « l’or bleu : la gestion de l’eau », l’auteur traite du prix de l’eau. Elle essaie d’introduire une « distinction […] entre l’eau-ressource et l’eau-service public. Elle nous précise que l’eau-ressource concerne la rivière, le puits, la fontaine. Cette eau serait gratuite. Elle nous dit même que « n’importe qui peut puiser un seau d’eau dans la Loire ou la Seine ». Probablement ! Mais Suzanne DIONET-GRIVET sait-elle que le creusement d’un puits dans nos pays développés est soumis à autorisation et que dans les pays en voie développement, arides de surcroît, les puits sont étroitement surveillés ? En revanche, l’auteur ne parle pas de « l’eau marchandise ou bien de l’humanité » thème pourtant d’actualité et qui rejoindrait le thème de la « Géopolitique ». Dommage !

Troisième partie : Les enjeux géopolitiques : conflits de l’eau et hydrodiplomatie.
Avec ce chapitre, le lecteur entre enfin dans le vif du sujet. Alors, guerre de ou pour l’eau ? D’après Suzanne DIONET-GRIVET qui rejoint de nombreux géopoliticiens, les guerres n’éclateraient pas autour de la question de l’eau. Par contre, « la raréfaction de l’eau est capable de générer des violences dangereuses lorsqu’elle est associée à d’autres problèmes ethniques, religieux, politiques ou diplomatiques ».
Le ton est donné. Puis l’auteur décline son chapitre, comme une très bonne composition, en quatre sous-chapitres en respectant un ordre décroissant en commençant par les situations quasi-conflictuelles pour glisser vers l’hydrodiplomatie avant d’aborder les cas dit de « second niveau » et de s’arrêter aux « formes de coopération ».
Bon chapitre, bien mené, bien illustré avec des documents pertinents, le lecteur se délecte et l’enseignant y trouvera outre de nombreux exemples, surtout une excellente approche « géopolitique » de l’eau. Les sous-titres parlent d’eux-mêmes. A titre d’exemple concernant les hydroconflits aux risques importants, on peut lire : « L’eau, outil de guerre pour Israël » suivi de « Le Tigre et l’Euphrate aux mains de la Turquie » puis « Le Nil, pomme de discorde entre états riverains ».
Un très bon développement dans ce chapitre, comme par exemple le cas du Moyen Orient qui explique que la guerre des Six-Jours en 1967, si elle était au départ une guerre israélo-égyptienne a très rapidement changé de registre pour se placer sur le terrain de l’accès à l’eau. En effet, nous dit-on, « l’occupation militaire israélienne de Gaza, de la Cisjordanie et du Golan ont permis aux Israéliens de récupérer leurs ressources en eau ». Et de préciser un peu plus loin que « la loi du plus fort s’impose dans la gestion de l’eau ». Voilà qui est clair et limpide (comme de l’eau).

Quatrième partie : les enjeux environnementaux : la nécessité d’une révolution bleue.
Là encore, l’auteur s’éloigne de l’attente du lecteur. En effet, le premier sous-chapitre traite du réchauffement climatique !
Quand on sait combien cette notion est complexe, controversée et peu tranchée à l’heure actuelle, on peut s’étonner de la voir ici traitée en une dizaine de pages !
D’ailleurs ce sous-chapitre est à l’image de la première partie. A titre d’exemple : « si les calottes glaciaires fondaient, elles feraient monter le niveau de l’océan de 12 mètres ». Alarmant ! Mais est-ce du domaine du possible, du probable, du réaliste ? Sur quelles mesures s’appuie cette information ? Mais plus loin, l’auteur nous précise que « Le Groenland bénéfice d’un enneigement encore suffisant ». Faut-il alors s’alarmer ou prendre simplement des précautions ? La réponse n’est pas donnée.
Avec les trois sous-chapitres suivants, on retrouve la « géopolitique ».
En effet, avec des titres comme « l’augmentation de l’offre », « une nouvelle gestion de la demande » et « la gouvernance en question », le lecteur retrouve un intérêt évident à parcourir ces dernières pages.
Il y apprend par exemple le concept « d’eau virtuelle ». Le principe est en théorie assez simple et réaliste. « Dans la mesure où la boisson représente 1m3/hab/an et les usages domestiques annuels 100m3, presque tous les pays au monde disposent d’assez d’eau ». Un des problèmes réside donc dans l’eau agricole. Le concept consiste à faire une sorte de péréquation mondiale. Les régions à forte présence d’eau produiraient une agriculture demandant beaucoup d’eau et les régions moins bien dotées en eau se spécialiseraient dans des productions à forte valeur ajoutée. L’idée est séduisante mais qu’en pensent les « marchés financiers » ? Y trouveraient-ils leur compte ?
Quoiqu’il en soit, cette dernière partie ouvre des perspectives à grand renfort d’exemples comme celui de la « Bolivie où les habitants de Santa Cruz de la Sierra ont tranché dans le conflit public-privé en optant pour le modèle particulier de la coopérative ».

En conclusion :
Cet ouvrage est assez contrasté. Il présente, dans tous les chapitres, de très bons documents qui permettront assurément aux enseignants d’y puiser abondamment. Mais son point faible reste la structure. Les deux premiers chapitres sont indubitablement mal « apportés ». Ils traitent d’une manière peu approfondie de vastes sujets abordés dans d’autres manuels. Ils s’apparentent à des exposés parfois peu clairs, souvent incomplets et voire inutiles.
Par contre les deux derniers chapitres (sauf le 1er sous-chapitre du 4e chapitre) baignent dans le thème annoncé par le titre de l’ouvrage.
Ils sont de surcroît bien écrits, simples et complets pour une compréhension et une utilisation en classe. Pour cet apport, le livre de Suzanne DIONET-GRIVET devrait se trouver dans toutes les bibliothèques scolaires.