La présence chinoise en Afrique a fait l’objet de l’intérêt le plus vif de la recherche en géopolitique depuis l’avènement de la République populaire. La période actuelle correspond à celui de l’ouverture chinoise à la mondialisation à la fin des années 1990, à l’occasion de ce que l’auteur Xavier Aurégan, maitre de conférence à l’Université catholique de Lille, appelle « les Tentes glorieuses de la Chine en Afrique
(1993-­‐2023) ».

20 ans après les premiers travaux fondateurs étudiant les modalités de la présence chinoise en Afrique (F. Lafargue, V. Niquet-­Cabestan), qui ont posé les bases de l’analyse de la manière spécifique dont la puissance de la république populaire s’exerce sur le continent aux 54 États, distincte à la fois du géant américain et des anciennes puissances coloniales, Chine, Puissance africaine vient proposer une synthèse à jour de la présence chinoise et de ses avatars. Le livre s’appuie notamment sur les différents réalisés par l’auteur au cour de la dernière décennie, mis en dialogue avec d’autres publications et avec une lecture critique des sources des institutions chinoises organisant les relations avec le continent.
L’auteur insiste d’emblée sur la pluralité des relations qui sont entretenues entre d’une part « des Afriques » différant par la taille de leur économie ou de leur démographie, leurs structures productives, l’ancienneté de leur reconnaissance de la RPC par rapport à Taiwan, leurs régimes politiques ou encore leur localisation géographique, et d’autre part « des Chines » dont le régime parti unique ne laisse pas deviner la pluralité des acteurs (Parti, Armée populaire de libération, entreprises publiques et privées de rang national ou provincial,diasporas etc.). La problématique de l’ouvrage consiste en l’analyse des différents types de présences que crée ce système d’interactions aux composantes multiples, entre institutionnalisation en cours de la politique africaine de la Chine un contexte de croissance économique et échec de l’invention d’un modèle alternatif à la mondialisation en dépit de déclarations de principes fréquemment renouvelées.

Les mutations des relations sino-‐africaines et leurs temporalités

Bien que souvenir le souvenir mythifié des 7 expéditions de l’Amiral Zheng He (1402 à 1424) sur la côte orientale de l’Afrique soit souvent mobilisé, c’est bien la conférence de Bandung (1955) qui constitue d’après l’auteur le point de départ des relations entre la RPC et l’Afrique.
En 1963 a lieu la première tournée du ministre Zhou Enlai en Afrique, emblématique d’une politique reposant sur 4 axes : rivalité avec l’URSS (impliquant à l’occasion le soutien à des groupes révolutionnaires rivaux), soutien agricole et sanitaire peu technique –plus rarement militaire (RDC), éviction de Taiwan, diplomaties bilatérales afin d’obtenir la reconnaissance de la RPC à l’ONU. Les victoires de 1971 (la RPC remplace Taiwan au conseil de sécurité) et de 1998 (l’Afrique du Sud cesse de reconnaître Taiwan), couplées au décollage économique chinois, font entrer la diplomatie dans une période réaliste marquée par le primat de l’économie.

Diversité et intensité des flux financiers entre la Chine et l’Afrique

Les relations sino-‐africaines depuis les années 1990 répondent à la volonté chinoise de sécuriser un approvisionnement en matières premières indispensable à sa croissance : carburants, minerais (bauxite, cobalt). Entre 1995 et 2022, 50% des échanges commerciaux sino‐africains concernent donc 4 États : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria et l’Egypte. Ces flux sont passés de 50 milliards de dollars en 1995 à près de 300 milliards en 2022, soit 4 fois plus que l’Inde, les États-Unis ou la France.
Le commerce n’est qu’un type de flux financier entre Chine et Afrique : les aides (20 milliards/an), les IDE (44 milliards en stock en 2021), les prestations de service (très nombreuses, car les entreprises chinoises du BTP se voient le plus souvent attribués les marchés réalisés avec l’aide de la Chine) et les prêts (11,3 milliards/an en moyenne depuis 2013 et le lancement des nouvelles routes de la soie) complètent le tableau.
Ces différents flux dessinent les contours d’une Chine « qui investit peu en Afrique mais s’y investit beaucoup », et qui, tout en se positionnant dans certains cas comme une alternative à l’aide au développement occidentale (par exemple en octroyant des prêts à des régimes refusant de se plier aux plans d’ajustement du FMI), renonce ou échoue à mettre en œuvre un programme de solidarité dit de la « culture de l’harmonie et de la coopération » qui ne soit pas basé sur la défense des intérêts nationaux : outre la gestion diplomatique des stocks de dette ainsi généré, entre 60 et 90% de l’aide allouée par la Chine reviendrait in fine à ses entreprises.

Acteurs, structures et territoires des relations sino-africaines

L’ouverture progressive de la Chine communiste à la mondialisation et à l’économie de marché à supposé la création d’institutions nouvelles à même d’animer les relations sino-­africaines pendant les Trente glorieuses de la Chine en Afrique. Ainsi la gestion des grandes entreprises publiques (CCCC, Sinohydro, COSCO) opérant sur le continent est passé des mains de l’armée populaire de Chine à celle de la SASAC commission de supervision et d’administration des actifs de l’Etat). Le financement des projets est souvent assuré par la banque chinoise d’import-­‐export (Exim Bank créée en 1994). L’agence de développement chinoise, créée en 2018 et ministère du commerce chinois (MOFCOM) octroient aussi de nombreux prêts gratuits ou concessionnels. Enfin de nombreux financements sont levés à l’occasion des Forums sur la coopération sino-­‐africaine ayant lieu tous les 3 ans depuis 2000.
Ces investissements chinois sont de plus en plus territorialisés, ciblant, via le financement du PIDA (programme de développement des infrastructures en Afrique) les infrastructures de transport et les mines, et s’insèrent dans un contexte global marqué par une transition portuaire en Afrique, et par l’initiative lancée en 2013 de nouvelles routes de la soie par le président Xi Jinping. 26 États africains sont concernés par une forme de présence chinoise dans leurs ports.
Derniers acteurs essentiels de relations sino-­africaines « par le bas », les diasporas chinoises en Afrique sont étudiés dans l’ouvrage dans leurs diversités : tant les Chinois d’outre-‐mer (huaqiao) que les citoyens étrangers d’origine chinoise (huayi), et officiels et officieux.. Certaines présences chinoises remontent en effet au XIXe siècle quand d’autres s’insèrent dans des pratiques d’expatriation de plusieurs années voire de tourisme. Les migrations se sont cependant considérablement intensifiés à partir des années 2000 avec les échanges, et ont été favorisés par le pouvoir chinois (coopérants) en particulier en ce qui concerne les flux touristiques qui nécessite
une approbation officielle du gouvernement chinois (Approved Destination Status). Les intermédiaires africains disposent toutefois d’une agentinité et occupent un rôle de plus en plus important.

Puissance et représentations dans le jeu chinois

Enfin, l’ouvrage étudie la mise en œuvre et en représentation de la puissance chinoise à l’occasion de la diplomatie du masque pendant la crise du COVID. De nombreux acteurs privés (Jack Ma, Huawei etc.) et publics (APL, villes, provinces) ont participé au conditionnement et à l’expédition de matériel sanitaire de qualité variable en Afrique à partir de la fin du mois de mars 2020, bientôt adoubés par le président Xi Jinping. L’aide chinoise, continuée l’année suivante par la diplomatie des vaccins, a montré la capacité du pays à mobiliser des chaines logistiques performantes, à manier les symboles face à l’Occident, et à privilégier ses alliés dans le continent africain. Elle s’intègre dans une longue tradition d’aide médicale sud-­sud mise en œuvre par la Chine depuis les médecins aux pieds-­nus, et élargies à l’agronomie.
L’auteur met aussi en évidence la croissance de « l’influence informationnelle chinoise » à travers une myriade de médias sous influence, mais souligne les limites du « pouvoir discursif chinois » qui met aussi de ses limites, à l’occasion d’instrumentalisation politique des sentiments nationalistes.
Au delà de ce smart power, le hard power chinois s’affirme de manière de plus en plus nette, à travers 4 exemples étudiés par X. Aurégan : les participations aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, l’implantation d’une base navale à Djibouti, la politique de ventes d’armes et de sécurité privée, et renforcement de la marine chinoise.

Un précieux répertoire d’exemples pour la classe

Ouvrage complet, mais au vocabulaire parfois technique pour des élèves y compris des grandes classes. Chine, Puissance africaine constitue un usuel précieux pour l’enseignant auquel il fournit un répertoire d’exemples et de notions sur lesquels bâtir des séances tant pour le collège (spécialement en classe de quatrième) que pour le Lycée. Des cartes, quoiqu’en noirs et blancs sont présentes et utiles, ainsi que de nombreux tableaux de données pour l’instant à jour.