Géopolitique de l’environnement, Hérodote numéro 165, 22 €

le thème de ce numéro est particulièrement adapté aux questions nouvelles du programme de l’agrégation de géographie, la nature, objet géographique et les espaces du tourisme et des loisirs . En effet, pour ces deux questions, mais cela pourrait également concerner les deux autres sujets comme l’Afrique : du Sahel et du Sahara à la Méditerranée et la France des marges.
En effet, la perception que les auteurs de ce numéro développent au fil des différents articles peut s’inscrire sur toutes les questions. On s’intéressera évidemment à l’éditorial de Béatrice Giblin, qui met en perspective cette question à propos des risques écologiques que les territoires subissent. L’analyse géopolitique vise clairement à étudier les conflits de territoire qui se développent autour de projets comme l’aéroport de Notre-Dame des Landes, ce qui rejoint d’ailleurs la question du tourisme, ou celui de ce barrage de Sirvens, avec une confrontation autour de l’usage d’un paysage entre certaines conceptions de l’agriculture et des préoccupations environnementales. Autour des zones à défendre, il y a bien une appropriation de territoire qui est en jeu.

Philippe Subra traite dans son premier article de ces « zones à défendre » entre 2008 et 2017. Ce nouveau mode de contestation environnementale consiste à occuper un territoire, ce qui remet directement en cause l’autorité de l’État qui doit concilier la nécessaire intervention d’ordre public en évitant le risque d’une confrontation grave. Pour les occupants des zones à défendre, il semblerait que l’emploi de la violence ne soit pas forcément un obstacle, et on est très loin de ces mobilisations pacifiques que l’on connaissait à propos du plateau du Larzac. La solution préconisée à la fin du quinquennat de François Hollande à savoir un référendum local dont le résultat a été favorable à l’implantation de cet aéroport, n’a pas pour autant débloqué la situation. On notera la très grande prudence de l’actuel gouvernement de Édouard Philippe.

Téva Meyer se livre à une étude comparée des conflits environnementaux en Allemagne et en France, en affirmant tout d’abord que contrairement à ce que l’on peut penser, la prise de conscience environnementaliste et l’engagement écologiste militant ont été plus précoces en France que de l’autre côté du Rhin. Le premier ministère de l’environnement a été fondé en 1971, 15 ans avant le ministère fédéral pour l’environnement, la protection de la nature et la sécurité des réacteurs, pour reprendre son nom complet. Par contre cet engagement en Allemagne a été dynamisé par des initiatives citoyennes, près de 50 000 en 1179 sur différentes questions, des constructions d’usines ou des projets autoroutiers. Au tournant des années 80, l’arrivée de la gauche au pouvoir en France qui remet en cause ses engagements de moratoire nucléaire, marque une certaine rupture avec les mouvement environnementaliste et la gauche. De ce fait, l’écologie politique s’inscrira comme auxiliaire de la gauche, mais seulement à partir de 1997, dans le cadre de la majorité plurielle. La situation a été différente en Allemagne où les verts sont devenus une force politique incontournable, avec un poids numérique important, mais cela caractérise l’ensemble des partis outre-Rhin. Le mouvement Grünen a pu peser au Parlement, compte aujourd’hui une soixantaine de députés, et plus de 220 élus dans les parlements régionaux. Pour autant son influence politique reste limitée, en dehors de sa participation au gouvernement de 1998 à 2005. On notera que le mouvement écologiste allemand s’inscrit également dans une démarche pacifiste, ceux à quoi on avait pu assister lors de la crise des euromissiles, pendant la période de la guerre fraîche entre 1979 et 1985. Cette influence dans l’opinion explique aussi les difficultés d’Angela Merkel à concevoir une possibilité de faire intervenir la Bundeswehr dans des zones de combat.
Pour ce qui relève des problématiques environnementales, les conservateurs comme les industriels allemands se sont finalement adaptés au moratoire nucléaire préconisé en 2011, d’autant plus que les entreprises intégrées dans la chaîne de valeur des énergies renouvelables ont vu une opportunité économique dans cette décision. Ceci étend cette décision semble avoir été prise davantage sous l’effet d’intérêts économiques et politiques que par l’influence des mouvements écologistes.

Claire le Renard revient sur les débuts du programme électronucléaire français, entre 1945 et 1974 en traitant de cette période où il s’agissait véritablement de travaux de pionnier. Pierre Messmer était alors premier ministre et juste après le premier choc pétrolier l’énergie électrique d’origine nucléaire apparaissait comme la solution.
Au niveau de l’histoire du nucléaire français on évoquera dans un premier temps l’après-guerre ou différentes possibilités ont été envisagées,. Ce sont les possibilités techniques du moment, notamment la disponibilité du combustible, ainsi que celle du modérateur. L’uranium naturel étant disponible en France, contrairement à l’uranium enrichi dont les États-Unis maîtrisaient la filière à cette époque, l’arbitrage a favorisé cette solution qui a été associée au graphite comme modérateur, pour donner ce réacteur français, uranium naturel–graphite–gaz qui a commencé à produire de l’électricité en 1956, sur le site de Marcoule. L’auteur revient sur les différentes étapes, notamment impliquant l’Europe avec le projet Euratom, de ce développement. D’autres solutions ont été adoptées comme la recherche sur le réacteur rapide sodium et le réacteur à eau lourde gaz. Dans le même temps la France cherchait à conserver son autonomie de décision sur la filière, sans forcément se soumettre à une quelconque autorité supranationale. Il est vrai que dans le même temps, à partir de 1954, l’hypothèse de la production d’uranium hautement enrichi de qualité militaire était envisagée de façon très sérieuse.
Cette spécificité dans l’approche française à expliquer pourquoi il y a eu dans les années 60 une sorte de guerre des filières entre le procédé français, décliné de différentes façons, à partir de l’uranium naturel, faiblement enrichi toutefois, et la filière française du réacteur à eau pressurisée. Le débat a été tranché en 1969, juste après le retrait du général De Gaulle, en mettant un terme à la filière graphite gaz.
À partir de 1974 on peut parler d’un véritable programme industriel accéléré à partir du plan Messmer qui influe encore aujourd’hui sur un certain nombre de choix politiques, notamment pour ce qui touche la centrale de Fessenheim dont la fermeture suscite les débats que l’on sait.

Nucléaire et question climatique : construction et conséquences d’un discours géopolitique en France et en Suède.
Pour Teva Meyer, il existe une différence de perception entre les deux pays à propos de la possibilité d’envisager un mix énergétique, tout en ayant comme objectif celui de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quelque soit le scénario retenu une limitation de la hausse de la température passera par une baisse des émissions de gaz à effet de serre grâce à trois outils : l’amélioration de l’efficacité énergétique, la capture des gaz à effet de serre et le report de la consommation fossile sur des énergies moins émettrices. De ce point de vue le nucléaire répond à cette exigence. Toutefois rares sont les états qui envisagent le recours à l’énergie atomique comme un élément déterminant de leur stratégie climatique. Il s’agit de la Chine, de l’Inde, de la Biélorussie, des Émirats arabes unis, du Japon et de la Turquie. En ce qui concerne ce dernier pays de voir peut-être d’autres préoccupations, celle d’une affirmation nationale qui pourrait aller jusqu’à envisager le développement d’une filière militaire.
La réalité des chiffres semble têtue. Les émissions de gaz à effet de serre liée à la production d’électricité nucléaire sont nettement plus faibles que pour toutes les énergies fossiles. Toutefois la question qui se pose est celle du recyclage des déchets, de la faisabilité de tels investissements, car il faudrait, pour obtenir un changement qualitatif et quantitatif important, construire 1500 nouveaux réacteurs avant la fin du siècle, et bien entendu les risques de prolifération et de détournement de matières fissiles.
L’argument climatique toutefois été très rapidement utilisé par les acteurs pro nucléaires. C’est le cas, trois ans après la catastrophe de Tchernobyl 1986, lors de la 14e conférence mondiale de l’énergie organisée à Montréal en 1989. Paradoxalement, alors que de très nombreux partis écologistes européens sont nés des mobilisations antinucléaires, la prise de conscience de la menace climatique globale à déstabiliser cette opposition. L’auteur de l’article, Teva Meyer, montre donc la différence entre les deux pays, deux géants de l’électronucléaire aux trajectoires différentes. Les mix énergétiques des deux pays sont composés respectivement à 75 % pour la France 45 % pour la Suède par l’énergie nucléaire. Alors que le pays scandinave avait pris un moratoire sur la construction de nouveaux réacteurs, ce dernier est abrogé partiellement en 2011, et cette orientation n’a pas été remise en cause par l’arrivée des sociaux-démocrates revenus au pouvoir en septembre 2014. Très concrètement les mouvements environnementalistes suédois ne semblent pas véritablement hostiles à l’énergie nucléaire, dans la mesure où ils considèrent que le réchauffement climatique constitue une menace plus importante. L’audience des associations environnementalistes favorables nucléaires apparaît beaucoup plus faible en France. Toutefois l’auteur remarque que l’enjeu climatique semble avoir été le déclencheur d’une crise interne dans le réseau sortir du nucléaire en France. Il est vrai que pendant le quinquennat de François Hollande, comme avec le début du quinquennat de Emmanuel Macron, avec comme ministre Nicolas Hulot, le menace climatique semble renverser les priorités.

Aurélie Joveniot :

Le conservatoire du littoral, 40 ans après : quel bilan et quelles perspectives.

Lorsque l’on a connu les plages languedociennes, au début des années 60 et mouvement d’équipement touristique du littoral, on se souvient que cette cote basse était faiblement peuplée, en dehors de quelques points liés à des activités de pêche, et parfois ludiques comme le casino de Valras, proximité de Béziers. Le reste du territoire était très largement occupé par des étangs. Le mouvement de construction semblait inexorable jusqu’au moment où, en 1975 est créé le conservatoire du littoral, dont la mission est de soustraire l’urbanisation de constituer un patrimoine public de sites naturels définitivement préservés et ouverts à tous. On peut comprendre l’ampleur du défi tant la pression a été forte pour mettre en exploitation des sites particulièrement attractifs pour y développer le tourisme.
En 40 ans d’action, on aurait pu imaginer que des conflits auraient été particulièrement violents, tant les enjeux pouvaient être importants. La pression des élus pouvait s’exercer en faveur des propriétaires fonciers qui sont aussi leurs électeurs, sans compter que les constructions et les habitations nouvelles sont sources de rentrées fiscales. La politique du conservatoire du littoral a nécessité du temps et des alliances avec des acteurs multiples mais dans la pratique 70 % des acquisitions effectuées, à titre conservatoire l’ont été par la voie amiable. Bien au contraire, dans les années 70–80, le conservatoire du littoral va être sollicité pour défendre des territoires menacés par d’ambition projet immobilier. L’article évoque un épisode sur la Côte d’Opale, ou de grands industriels du Nord souhaitaient sanctuariser leurs immenses réserves de chasse clôturées. Un phénomène de ce type a eu lieu 15 ans plus tard, sur l’étang de Vendres, à la limite de l’Hérault et de l’Aude. L’action foncière du consommateur du littoral s’est menée progressivement, le territoire a pu être préservé. Cet article est illustré par une carte particulièrement utile, qui montre l’importance de cette action sur l’ensemble des côtes françaises. Ce qui est toutefois étonnant, dans cet article sur lequel de nombreux cas sont étudiés, comme celui du Marais Vernier dans l’estuaire de la Seine, la question corse ne semble pas être abordée. Il y aurait peut-être pourtant beaucoup à dire sur le sujet.

Parmi les articles qui méritent le détour, on évoquera également la contribution de Philippe Subra et de Pierre van Cornewal, à propos de l’écotaxe, qui a été sans doute l’échec le plus flagrant d’une réforme environnementale qui pouvait tout de même se justifier. On se souvient, et on a l’impression que c’était il y a très longtemps que c’est il y a seulement trois ans, le 9 octobre 2014, que Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement annoncé la suspension de cette écotaxe. Deux ans plus tard, alors que le quinquennat de François Hollande n’était pas encore terminé, le dispositif était définitivement enterré. Ce qui est plutôt drôle, c’est que c’est par le biais d’un amendement déposé par le député du socialiste du Finistère, Richard Ferrand, qui a connu une autre destinée depuis, que le clap de fin a été donné.
L’article revient sur le problème des rapports de force, qui a conduit à l’abandon de ce projet qui avait pourtant été issu du Grenelle de l’environnement, la grande affaire conduite par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo. La demande d’une taxe locale est venue des élus alsaciens, qui subissaient le report sur le réseau du Haut-Rhin et du Bas-Rhin d’une partie du trafic routier allemand. Le dispositif français a été élaboré dans la loi de finances 2009, avant même le vote du premier volet de la loi Grenelle. Le mécontentement des populations locales, l’absence peut-être de courage politique a fini par donner raison au transporteur le chargeur, qui se sont aperçus très vite de la fragilité du dossier, et de l’absence de consensus dans l’opinion. Il est vrai que le sentiment de subir un péage, qui pourtant ne concernait pas les usagers privés, à très vite joué en défaveur de cette écotaxe.

Parmi les articles qu’il faudra lire de façon très attentive, on portera un intérêt particulier à celui de Nora Seni, sur les conflits environnementaux en Turquie, comme expression d’insoumission.
Paradoxalement, c’est après le coup d’État militaire de 1980, et la mise en œuvre d’une constitution restreignant l’accès à l’activité politique, que la société civile a pu émerger. Des associations, des fondations, des mouvements d’idées, ont pu se développer, et se sont préoccupés de questions environnementales. Même si cela était resté marginal jusqu’en 2010.
Évidemment, dans la période de forte croissance que la Turquie connaît, entre 2000 et 2012, les projets urbains se développent, et la population s’inquiète de voir les rares espaces verts disparaître. C’est pour préserver un des derniers espace vert du centre-ville que s’est développé le mouvement Taksim Gezi lors de l’été 2013.

Ce mouvement relève à la fois du conflit environnemental, car il s’agissait bien de défendre un espace vert, mais également traduit une forme d’opposition politique. Il s’agit de combattre un projet visant à remettre en cause l’aspect cosmopolite du quartier autour de la place Taksim symbole d’une Turquie ouverte, laïque, ou l’égalité hommes femmes a été mise en œuvre des 1924.

Parmi les trois articles qui devront également être signalés, nous citerons celui sur les projets d’exportation d’eau du Québec, un enjeu majeur avec des transferts massifs d’une région à une autre du Canada, mais également vers le grand voisin du Sud.
Pour rester dans la géopolitique de l’eau, Il convient de citer l’Hydropolitique environnementale du Mékong, ainsi que les rapports de force en termes de géopolitique interne au Brésil autour des barrages hydroélectriques amazoniens.