Le grand mouvement de contestation déclenché fin 2010 en Tunisie, qui a balayé une partie du monde arabe, les a surpris tour à tour. Quel en fut le moteur principal ? Pourquoi certains régimes ont-ils chuté et pas d’autres ? Comment Assad peut-il impunément poursuivre sa répression meurtrière ? Quel rôle jouent les Occidentaux, la Russie et les autres puissances ? Pourquoi les islamistes ont-ils échoué à garder le pouvoir là où ils l’avaient conquis ? Y a-t-il une vraie guerre sunnites-chiites ? Les réponses à ces questions et à bien d’autres nécessitent sérieux, clarté et pondération. Car, directement ou pas, elles nous concernent tous. Y compris en France…
Dans son préambule, Encel justifie le choix de son travail et questionne directement « Pourquoi un ouvrage géopolitique sur le Printemps arabe ? » Il propose ainsi des éléments de réponse, tels que l’ampleur du mouvement sans précédent, la préoccupation française de ces territoires, et le fait que peu d’ouvrages sont parus sur le cas.
Après avoir évoqué la thématique des frontières et de ses découpages, Encel aborde l’émergence des régimes autoritaires dans le Monde Arabe, l’éternelle fraction chiites, sunnites est cartographié. Au rayon des arguments mobilisés, toujours dans ce premier chapitre, se trouve le complotisme « On ne compte plus les émissions de radio et de télévision, les prêches de « télévangéliste » islamistes (…) où l’Occident dans son ensemble parfois, les Etats-Unis en particulier souvent, et surtout les Juifs (et non seulement Israël) sont présentés comme instigateurs d’à peu près tous les malheurs des Arabes ou des musulmans. » Encel se positionne aussi sur les faiblesses militaires et stratégiques qu’il fait remonter depuis les temps médiévaux et pour lui, même Nasser n’a pas réussi à combler ses manques. Les différents types de conflits régionaux sont abordés avec beaucoup d’exemples ce qui est un des points positifs du livre.
Dans le deuxième chapitre, l’auteur s’attache à expliquer le déroulement du Printemps arabe. Il propose une définition de la nature de ce mouvement, avec notamment une (trop) brève analyse des places centrales des capitales, pourtant pôles stratégiques de ce soulèvement. Se pose ensuite la question de l’emploi du terme de « révolution ». Par ailleurs Encel propose d’analyser les moteurs de cette contestation en utilisant par exemple des chiffres précis issus de la banque Mondiale : « (…) durant les trois années qui précèdent le Printemps arabe, le PIB de la plupart des Etats arabes chute littéralement de 8.3 à 4.5% à Bahreïn ; de 7.1 à 5.1% en Egypte (…) de 6 à 2.1% en Libye (…) ou encore de 6 à 3% en Tunisie. » L’auteur évoque aussi « le ras-le-bol de la gérontocratie dynastique » reprenant les noms et âges de Moubarak, de Kadhafi… Bien évidemment les moteurs médiatiques sont abordés avec le rôle omniprésent des réseaux sociaux, ainsi que le rôle crucial des islamistes. Le géopoliticien va ainsi jusqu’à parler de « sorte d’effondrement du mur de Berlin, version arabe. » Il mentionne le cas des Etats qui vont passer au travers de ce Printemps arabe et propose des raisons à cet échappement, avant de nous ramener dans le mouvement par de brèves études de cas (Egypte et Syrie).
Le troisième chapitre est consacré à un bilan. Il y dresse un état des lieux consternant pour le monde occidental. D’une part, en termes de services de Renseignement, d’autre part, il note l’absence de réaction des grands pays émergents mais l’influence grandissante de la Russie. Enfin, il discute les choix de l’ancien président Etatsunien, Barack Obama.
Dans le dernier chapitre, l’auteur propose un certain nombre d’hypothèses et de perspectives. La première est intitulée « vers l’instabilité permanente ». En plusieurs points elle est d’abord, institutionnelle, puis territoriale. L’auteur résume la situation conflictuelle entre les sunnites et les chiites : « (…) en dépit de cette réalité qui permet de nuancer le caractère structurel de l’hostilité sunnites/chiites, il faut reconnaître que depuis les années 1980-1990 le clivage a été réactivé pour incarner dans cette décennie 2010 une déchirure excessivement meurtrière. »
Mon principal regret par rapport à cette réédition est que le texte de base n’a pas été réactualisé. En effet, mis à part les quelques pages de la préface à la deuxième édition, l’écrit date de 2014, et cela se ressent. Un chapitre ou deux de plus, à jour, n’auraient pas été de trop, afin de discuter ce mouvement avec un peu plus distance dans le temps. Par ailleurs, il me semble que ce livre contient beaucoup de partis pris assumés par l’auteur, il se rapproche plus de l’essai que du manuel estudiantin. Néanmoins les nombreux exemples proposés permettent de bien comprendre les enjeux (de 2014) du monde arabe. Bref, un livre qui propose sa propre analyse du Printemps arabe.