Après le succès d’un premier volume, Jean Lopez et Olivier Wieviorka proposent un deuxième volume de mythes autour de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’introduction, les auteurs rappellent leur objectif : « débusquer les mythes, légendes et idées reçues qui encombrent et déforment la perception du conflit ». Ils proposent quelques explications pour comprendre pourquoi tel ou tel élément s’est cristallisé au point de devenir un mythe. Ils constatent aussi que les historiens ont du mal à se faire entendre en général et, sur un sujet si présent dans le débat public, ils ont encore plus de difficultés à ce que porte la recherche historique.

Le livre est donc le rassemblement de contributeurs qui proposent chacun en une vingtaine de pages de démonter un mythe. Chaque article propose à la fin un appareil de notes et une petite bibliographie pour aller plus loin. On trouve les notices biographiques des auteurs à la fin.

Les aspects proprement militaires

Plusieurs articles sont consacrés à des aspects strictement militaires. Vincent Bernard décrypte le chiffre souvent avancé à savoir 1 000 victoires aériennes et 100 000 tués de la part des Français avant la défaite. Il montre bien comment ce chiffre a été gonflé et, que de toutes façons, il est très difficile de compter précisément car les victoires aériennes étaient souvent créditées plusieurs fois. La vérité pour la France est sans doute plus proche de la moitié. Jean-Christophe Noël consacre sa contribution à l’idée qui voudrait que « les Allemands ont failli remporter la bataille d’Angleterre ». On découvre en réalité l’impréparation et le manque de stratégie des Allemands. « La marine japonaise était redoutable » : Pierre Grumberg entame par le cas du Yamato, seul cuirassé coulé au monde qui a droit à un musée. Si le bâtiment était impressionnant, il n’était plus adapté à cette guerre. Les militaires japonais de l’époque ont totalement négligé l’électronique et le radar. De même traine parfois l’idée que « les Allemands n’ont pas pris Moscou à cause de l’hiver » On s’aperçoit qu’en réalité cette excuse de l’hiver a été fournie initialement par Hitler. Elle a ensuite été sans cesse répétée sans vérification. Les auteurs montrent d’ailleurs que, selon ses discours, Hitler augmente la froideur de l’hiver russe ! On comprend aussi qu’il y avait certaines erreurs d’analyse de la part des généraux allemands.

Vichy

L’article de Bénédicte Vergez-Chaignon revient de façon très claire sur la question de savoir si « entre 1940 et 1944, Vichy a protégé la France ». Elle montre d’abord la nécessité de préciser les choses : parle-t-on de Vichy, ou des hommes qui servent le régime ? Si on prend l’exemple des colonies, elles sont conservées mais à titre de gage de bonne foi envers l’Allemagne nazie. «  Les gouvernements et les administrations ont à certains moments protégé certains Français, certains territoires, certaines activités économiques ». Elle conclut par cette formule : «  à l’aune des intentions, le bilan n’est pas plus convaincant qu’à celui des résultats. » De façon plus précise, Robert Paxton s’intéresse à la question de savoir si Vichy avait protégé les Juifs français en sacrifiant les Juifs étrangers. Le constat est sans appel : Vichy a aggravé la situation.

Réexaminer quelques figures célèbres

Johan Chapoutot développe sa contribution autour d’Hitler en insistant sur le fait qu’il était loin d’être un chef infaillible. Il explique que cette idée est liée à l’idéologie totalitaire. Il rappelle aussi que la figure du chef est centrale à cette époque, que ce soit dans les démocraties ou dans les dictatures. Il souligne aussi que pendant longtemps les historiens ont trop pris au pied de la lettre les discours des nazis. Hitler était pourtant loin d’être infaillible comme en témoigne son hésitation et ses consignes de l’été 40. Hitler était aussi enfermé dans ses certitudes, ce qui peut se comprendre puisqu’il pouvait avoir l’impression d’avoir toujours eu raison et réussi depuis 1919. Nicolas Aubin revisite le mythe Patton «  le meilleur général américain ». Il montre qu’il fut un leader, mais pas un penseur, et qu’il s’inspira beaucoup de méthodes anciennes. Il n’est pas un stratège mais un collectionneur de prises de guerre. Il a eu surtout le sens de la communication à un moment où ce n’était pas habituel, d’où sa popularité.

Du côté de la Résistance
Un article est consacré aux FTP, fer de lance de la résistance armée en milieu urbain. Là encore, les historiens ont parfois eu du mal à être critiques sur leurs faits d’armes. « Le cœur de la France libre battait à Londres » : cette idée répétée à l’envi mérite un réexamen. En effet, cette formule tend à faire oublier le rôle des colonies. « Le Français libre de la première heure était donc également tchadien et camerounais ». Pour des périodes plus avancées, il ne faut pas oublier non plus le rôle d’Alger ou de Brazzaville. Philippe Buton revisite lui l’idée qui voudrait que « le Parti communiste français n’a pas voulu prendre le pouvoir à la Libération ».

Quelques autres évidences à revoir

Il faut aussi réexaminer certaines évidences comme Stalingrad, tournant de la Seconde Guerre mondiale. Il est nécessaire également de revenir sur Midway, trop souvent rapidement présentée comme une des trois étapes clés de la guerre du Pacifique. « Les Italiens de gentils occupants ? » : Davide Rodringo entreprend de déconstruire cette idée souvent entendue. Il propose d’ailleurs de comprendre pourquoi ce mythe a pu se créer. Il est certain par exemple que l’occupation italienne fut moins dure que celle des Allemands, surtout que dans plusieurs cas ces derniers ont succédé aux Italiens dans des moments où la situation était plus tendue. La guerre froide joua aussi son rôle. Régis Schlagdenhauffen réexamine la question de la déportation des homosexuels. Il rappelle d’abord que cette question a émergé dans les années 80. « Les homosexuels n’ont fait l’objet ni d’une politique d’extermination ni d’un génocide ; seul l’espace pangermanique est concerné par la pénalisation des relations homosexuelles entre hommes ». Marc Perrenoud réexamine la question de la Suisse comme pays neutre. Il convient aussi de revenir sur l’aspect décisif qu’aurait eu la propagande dans la Seconde Guerre mondiale. Les instruments pour en mesurer l’efficacité manquent à l’époque et, bien souvent, la propagande finit de convaincre ceux qui l’étaient déjà en partie. Acheter un journal ne veut pas forcément dire être convaincu, surtout qu’on pouvait le lire pour des informations autres qu’idéologiques. A Paris, les actualités filmées à la gloire de l’armée allemande provoquent des cris au point que l’occupant décide d’éclairer les salles durant leur projection. Les Soviétiques l’ont emporté grâce au nombre : Benoist Bihan décrypte cette idée en montrant bien que les raisons de la victoire sont plus à porter au crédit de la stratégie ou de la mobilisation. Le dernier article s’attache à Hiroshima et au fait que ce fut le bombardement le plus meurtrier du Japon. La réalité est bien différente. Tokyo a été bombardée dans la nuit du 9 au 10 mars avec un bilan de 100 000 morts. C’est un bombardement au napalm avec des conséquences dramatiques.

Ce deuxième volume, tout comme le premier, se révèle à la fois très agréable à lire et fournit de nombreuses précisions et éclairages utiles. Il intéressera à la fois l’enseignant, qui pourra trouver matière à anecdotes pour nourrir son cours, et, de façon plus globale, toute personne qui cherche à en savoir plus, au-delà de certaines images parfois réductrices.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes