L’ouvrage a une première partie géopolitique générale, tandis qu’une deuxième partie détaille les problèmes locaux.
Cette première partie rappelle que les frontières englobent des peuples hostiles ou séparent d’autres groupes de même identité. Aux tensions induites, s’ajoutent celles issues des inégales répartitions du pétrole, de l’eau et des terres cultivables. La région ne peut plus nourrir ses habitants.
La description géographique et géopolitique est claire et complète. De même pour le rappel historique, qui rappelle les rivalités séculaires entre chrétiens et musulmans. La Méditerranée passe ensuite aux mains des Européens dès la fin du 18e (Angleterre surtout, mais aussi France, Italie et Espagne). Après 1945 elle est contrôlée par l’URSS et les Etats-Unis, avec une prépondérance américaine qui deviendra totale après 1990.
En économie, l’écart des revenus entre Nord et Sud a augmenté régulièrement, si on excepte les Emirats. En « ppa », un Français est cinq fois plus riche qu’un Algérien et quinze fois plus qu’un Yéménite. Les autres indicateurs de développement, comme l’IDH, donnent des résultats analogues. Le monde arabe est non seulement inégal et hétérogène, mais il est commercialement éclaté, les échanges se faisant de chaque pays vers le Nord et non pas entre « frères ». Malgré des efforts, notamment de la France, la coopération euro-arabe ne donne pas beaucoup de résultats.
En démographie, le déséquilibre croissant oppose un Nord qui serait en implosion sans les immigrants, et un Sud où la baisse de la fécondité ne se traduit pas encore par un plafonnement de la population. En 1950 l’Union Européenne était quatre fois plus peuplée que le monde arabe. Ils sont à égalité aujourd’hui, mais l’une est vieille et l’autre est jeune. Les migrants d’origine arabe ne sont « que » 4,6 millions au nord (surtout en France,car les musulmans d’Allemagne et de Grande-Bretagne ne sont pas arabes), tandis que plusieurs millions d’Egyptiens travaillent dans la péninsule arabique ou en Libye.
Le chapitre de géographie humaine est très fourni, avec la description des communautés ethniques et religieuses, musulmanes comme chrétiennes. Peut-être n’y a-t-il pas assez de réserve sur la pertinence des chiffres concernant les chrétiens. On peut alors passer à un long rappel historique menant aux conflits actuels et notamment à tous les contentieux territoriaux plus ou moins connus en France.
La deuxième partie, régionale, commence par un chapitre sur le Maghreb, avec à mon avis une vision un peu rapide et sommaire de l’épisode colonial et de sa suite (car « délicat » ?). Du coup manque l’intensité des relations économiques et linguistiques avec la France, accentuées par les développements récents d’une économie et de classes sociales largement francophones, phénomène infiniment plus important que la « coquille vide » qu’est l’Union du Maghreb Arabe.
Les « pays du Nil » sont également bien traités, avec toujours l’impression d’un certain retard sur l’évolution économique et notamment du poids de l’argent du Golfe et de la nouvelle bourgeoisie égyptienne dans le développement.
Le croissant fertile et la péninsule arabique sont « expédiés » plus rapidement.
L’auteur passe ensuite à ce que l’on pourrait appeler « les idées structurantes », pays par pays et sur un siècle. Le monde arabe a été découpé en « États-nation » souvent artificiels. Mais ils se sont peu à peu consolidés et leur premier rival, le panarabisme, a échoué. Un deuxième rival apparaît maintenant, l’islamisme, qui est profondément internationaliste, comme Al Qaïda, mais parfois nationalement récupéré, comme en Turquie. L’État national s’oppose au système ethnico-religieux des « nations » de l’Empire Otoman. Mais les conflits entre ces « nations » demeurent, tandis que l’on assiste à l’échec des politiques de modernisation, souvent socialistes, à la captation des États par des clans et à la paralysie de la Ligue Arabe.
Ces échecs ont favorisé l’islamisme, qui veut opposer les valeurs traditionnelles à l’Occident : il ne s’agit pas de moderniser l’Islam mais d’islamiser la société. Les islamistes sont modernes par leurs techniques de communication, leurs moyens matériels et leur adaptation à la vie urbaine qui concerne maintenant la majorité des Arabes.
Le chapitre économique commence par un long exposé sur le pétrole, son histoire dans la région, les données pour chaque pays, l’importance croissante du gaz, les voies d’évacuation puis l’impact financier. On passe ensuite aux problèmes de l’eau, bien connu des Clionautes, notamment pour le Tigre, l’Euphrate et les nappes d’eau palestiniennes, mais aussi pour le Nil et les revendications éthiopiennes. Après l’eau, la nourriture : la production agricole par tête a diminué, notamment du fait de la politique d’approvisionnement à bas prix des villes. La croissance démographique, à laquelle s’ajoute depuis quelques années l’augmentation du niveau de vie, a amplifié la demande, et donc le déficit. Mais relever les prix pour les amener au niveau du marché et augmenter l’offre déclenche immanquablement des émeutes urbaines.
Un chapitre est consacré au Sahara, dont les frontières ont été taillées par la France au bénéfice de l’Algérie. Cela à l’agacement des autres États riverains, au fur et à mesure que les richesses minières se dévoilent et que les voies de communication, tant économiques que migratoires, prennent de l’importance. L’auteur décrit en détail l’ensemble des litiges frontaliers, du Maroc à la Libye et les conflits qu’ils ont généré.
Les Kurdes ont droit à leur chapitre, bien qu’Indo-Européens et non Arabes, mais l’histoire en a placé une partie en Irak et en Syrie. Un historique d’un siècle rappelle l’évolution de cette question et fait le point des différentes communautés, y compris celles de Turquie et d’Iran en dehors du monde arabe.
Les Palestiniens ont également droit à un chapitre très détaillé, avec l’évolution des populations juives et palestiniennes depuis 1880 (notons au passage que les Palestiniens qui étaient 1,2 millions en 1947 sont onze millions aujourd’hui) et la course démographique entre Juifs et Arabes tant dans les frontières d’Israël qu’en dehors. L’historique de la politique locale est décrite de manière très détaillée, avec la fameuse carte du mitage de la Cisjordanie. L’impasse est totale aujourd’hui et les territoires palestiniens sont sous perfusion internationale.
L’histoire du Liban est exposée depuis le milieu de l’empire Ottoman, avec la délimitation des frontières par les Français à la demande des Maronites et malgré les Syriens. Les multiples conflits internes et externes sont décrits en détail, ainsi que la situation actuelle où les chrétiens se retrouvent minoritaire dans un État créé par et pour eux.
Reste le Golfe, où la géographie est bien sûr la donnée principale et se conjugue avec deux mille ans d’histoire. L’importance croissante du pétrole au XXe siècle a encore compliqué la situation. Nous avons notamment une longue description des différentes guerres, menées par ou contre l’Irak et sur « l’arc chiite » qui inquiète tant l’Arabie.
En conclusion l’auteur insiste à juste titre sur le poids du militaire : dépenses, « pompage » des élites, conséquences sur les choix politiques et importance des populations déplacées ou réfugiées. Ce fardeau militaire explique « le recul arabe sur l’échiquier économique mondial et la perte d’influence et d’autonomie politique ». C’est tout à fait pertinent, mais on pourrait signaler que cela ne fait que s’ajouter à d’autres faiblesses, notamment décrites par le PNUD. Faiblesses qui pourraient se synthétiser par le terme « fermeture » dont l’islamisme est une facette récente, elle-même en réaction au début d’ouverture qui explique certains progrès récents et encore limités.
Le mérite de ce livre est la profusion de détails historiques, ethniques, politiques et économiques précis, appuyés par de bonnes cartes schématisées. Le plan choisi n’est pas adapté à la lecture « classique », puisque l’on revient plusieurs fois sur tel fait ou processus : c’est plutôt celui d’un manuel où l’on va piocher.