« Écrire autrement les sciences sociales »

L’Atelier des Cahiers est une maison d’édition spécialisée dans les ouvrages présentant la Corée. Après la publication d’un rapport sur les recherches archéologiques à Kaesong en Corée du Nord en 2017, puis d’un guide culturel intitulé « Croquis de Corée » en 2018, et d’une présentation du droit en Corée du Sud au printemps 2021, l’éditeur vient de publier un ouvrage attendu par les spécialistes mais aussi par les curieux désirant s’informer de façon fiable sur la Corée du Nord contemporaine.

Publié grâce à 4 soutiens (l’Agence nationale de la recherche, le laboratoire Chine, Corée, Japon CNRS‑EHESS‑Université de Paris, le Centre de recherches sur la Corée de l’EHESS et l’École française d’Extrême‑Orient), l’objectif de ce livre est de décrire et analyser la pratique du terrain en Corée du Nord. Pour y parvenir, ce livre regroupe des textes signés par Yannick Bruneton, Evelyne Chérel-Riquier, Koen De Ceuster, Alain Delissen, Henri Desbois, Françoise Ged et de la géographe Pauline Guinard. La direction est l’oeuvre de la géographe Valérie Gelézeau et de l’anthropologue Benjamin Joinau.

Dès la présentation des auteurs du livre, le ton est donné.

Yannick Bruneton n’est pas historien de la Corée médiévale, ni directeur d’études cumulant à l’EPHE, ni membre du laboratoire Chine, Corée, Japon (CNRS-EHESS-Université de Paris). Sait il d’ailleurs lui-même qui il est ? Contraint d’accompagner des collègues passablement désagréables pour faire des terrains de recherche en Corée du Nord, il peut y exprimer son humeur acariâtre. Piètre déserteur de karaoké, il ne supporte ni l’humour, ni les chansons, ni l’alcool. Il se trouve en Corée du Nord comme un dauphin dans son delphinarium, et toutes les portes s’ouvrent devant lui (surtout celles des hôpitaux de Pyongyang pour y faire une mammographie). […]

Évelyne Chérel-Riquier est coréaniste, maître de conférences à la Rochelle Université. […] Peu de photos de Pyongyang à son actif, le chargeur de son appareil photo étant resté en France. […]

Valérie Gelézeau est géographe, directrice d’études à l’EHESS et aussi coréanologue […]. En 2013 et en 2018, elle a été cheffe de délégation, c’est-à-dire organisatrice du voyage, responsable et principal interlocutrice des partenaires sur place – et donc chargée de se creuser la tête pour remplir les livres d’or ou de batailler pour négocier à peu près tout du voyage. »

Faire du terrain en Corée du Nord, l’Atelier des Cahiers, 2021, page 23.

Fait inhabituel pour ce type d’ouvrage, l’ironie et l’humour sont constamment au rendez-vous. Une vingtaine de textes présentent les difficultés, l’intérêt et les limites de l’expérience de terrain. A l’initiative d’un défi lancé par Henri Desbois pour pimenter les missions de recherche, les auteurs partent à la recherche de thomassons. Inventé par le Japonais Genpei Akasegawa, il s’agit « d’éléments insolites du paysage urbain, tels un escalier qui ne mène nulle part, un poteau sans fonction, qui échappent à l’ordre utilitaire de la ville contemporaine et acquièrent de ce fait un statut ironique d’oeuvre d’art. Une question obsède alors les chercheurs : existe-t-il à Pyongyang ? Peut-on désigner l’hôtel Ryugyung de Pyongyang comme un thomasson ?

De petites bandes dessinées racontent des anecdotes de terrain et des dessins de l’artiste nord-coréen Sun Mu s’intercalent entre les articles des chercheurs francophones. Les deux directeurs d’ouvrage vont même jusqu’à commenter la rédaction de l’ouvrage, sous la forme de dialogues légers et divertissants qui permettent de prendre du recul sur l’élaboration du livre. 

« Valérie Gelézeau (VG) : C’est drôle, ce quizz ! Inattendu comme restitution d’une mission !

Benjamin Joinau (BJ) : Oui, mais tu n’as pas peur que cela fasse trop « private joke » comme le soulignait Théo à la relecture ?

VG : Certes, mais cela souligne bien le « langage privé » des chercheurs entre peux. Ici il s’exprime par l’humour. Donc je suis partisane pour que l’on garde ce clin d’œil comme signe de l’entre-soi inévitable des chercheurs partageant un objet de recherche et une expérience en commun.

BJ : Oui, et je crois qu’on n’insistera jamais assez sur l’importance qu’à l’humour comme fonction cathartique par rapport à un terrain aussi anxiogène que la Corée du Nord ! Sans nos debriefings quotidiens remplis d’humour (et de bière !), je crois que je n’aurais pas tenu pendant nos missions à Pyongyang ».

Faire du terrain en Corée du Nord, l’Atelier des Cahiers, 2021, page 179.

Source : Extrait tiré du livre « Faire du terrain en Corée du Nord » publié par l’Atelier des Cahiers, Octobre 2021, pages 7.

L’auteur du compte-rendu tient à remercier Benjamin Joinau pour l’envoi de la carte en haute résolution.

La quatrième de couverture du livre annonce que ce livre est un « essai académique qui bouleverse les règles du genre ». L’expression est souvent galvaudée. En refermant ce livre, le lecteur peut dire que ce pari est tenu haut la main. Un véritable OLNI (Objet Littéraire Non-Identifié) alliant une grande finesse d’écriture, de savoureuses anecdotes, un humour efficace et le sérieux d’un compte-rendu de terrain dans un pays difficile d’accès pour les chercheurs. A ce titre, peut-on considérer la page 217, entièrement rédigée en latin, comme un thomasson littéraire ?

A noter que des nombreuses photographies non-publiées dans la version papier sont disponibles sur le site de l’Atelier des Cahiers.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien
  • Un entretien en deux parties avec les auteurs est disponible sur Youtube :

Antoine BARONNET @ Clionautes