Mohamed a 14 ans lorsqu’il quitte l’Arabie Saoudite pour étudier au Pakistan. Mais, deux mois après son arrivée, ont lieu les attentats du 11 septembre 2001. Alors qu’il se situe à des milliers de kilomètres de là, et qu’il n’a rien à voir avec cet évènement, le jeune homme se trouve embarqué dans une spirale infernale qui va le mener à Guantanamo. Il faudra 8 ans de détention pour que son innocence soit reconnue !

Les auteurs

Jérôme Tubiana est journaliste et chercheur indépendant. En 2010, il rencontre Mohamed El-Gorani au Tchad et publie son histoire dans la revue XXI. Il a également écrit de nombreux articles sur les conflits au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. Alexandre Franc a publié une dizaine de bandes dessinées. L’ouvrage comprend une carte en annexe ainsi des traductions de documents en anglais utilisés dans plusieurs planches.

Au départ, un jeune homme qui vit en Arabie Saoudite

Mohamed est tchadien et sa famille s’est installée en Arabie Saoudite. Il est vendeur dans la rue à la sauvette. Il décide, contre l’avis de sa famille, de partir étudier au Pakistan afin de pouvoir progresser socialement. Il sera hébergé par la famille d’un de ses copains, Ali. Pour obtenir un passeport, il doit mentir sur son âge et changer de nom, deux éléments qui lui seront fatals ensuite. Lorsque le 11 septembre arrive aux Etats-Unis, il n’y prête guère attention.

L’arrestation

Mohamed est arrêté au Pakistan. On comprend, au fur et à mesure, que les autorités du pays l’ont livré comme gage de leur bonne volonté de coopérer avec les Etats-Unis. Dans un premier temps, il a confiance et pense qu’il va être renvoyé en Arabie Saoudite. L’ouvrage décrit de façon précise ses conditions de détention. Sans savoir alors où il se trouve, il passe un mois sur une base américaine située à Kandahar.

L’arrivée à Guantanamo

Très vite, les personnes qui l’interrogent lui conseillent de témoigner contre d’autres prisonniers. Mohamed détaille ensuite sa vie quotidienne de prisonnier. On lui reproche d’avoir appartenu en 1993 à une cellule clandestine d’Al Qaïda alors qu’à l’époque il avait six ans. Il connait plusieurs transferts à l’intérieur de Guantanamo. Appelé 269, il se concentre sur l’apprentissage de l’anglais, comme une bouée de sauvetage.

Mohamed et les autres prisonniers

En 2003, lui et les autres prisonniers obtiennent le droit d’avoir un Coran mais pour deux raisons : pour que les médias pensent qu’ils sont bien traités et pour mettre les prisonniers en colère en manquant de respect à l’ouvrage. Mohamed tisse des liens plus particuliers avec un autre prisonnier Shaker Aamer qui le prend, en quelque sorte, sous sa protection. Ce dernier sera libéré en 2015 après 14 ans de détention. Mohamed raconte aussi comment les prisonniers tentent de se battre pour leurs droits.

La question de la torture

Plus qu’un singulier, c’est un pluriel qui convient mieux tant le livre donne d’exemples. A un moment donné, Mohamed vit trois mois avec les mêmes vêtements, sans douche et sans sortie. A un autre, il est transféré au Psych block. Il y a aussi une brigade d’intervention, nommée l’Equipe, qui intervient de façon violente contre les prisonniers. De nombreuses planches décrivent ce quotidien marqué par la violence.

Un espoir

Le changement arrive en la personne d’un avocat, Clive Stafford Smith. Ce dernier utilise le fait que Mohamed était en réalité mineur au moment de l’arrestation. D’abord méfiant, le jeune homme s’en remet à lui et apprend que son procès va avoir lieu en 2008. Peu après, il apprend qu’il sera libéré en 2009. Il faut se souvenir qu’à la même époque, Barack Obama devient président et promet de fermer Guantanamo. Mohamed est ensuite transféré dans un autre camp où les conditions de détention sont radicalement différentes. Les vingt détenus peuvent se déplacer librement à l’intérieur, ils ont le droit à un oreiller, un micro ondes ou même encore des livres. Il peut appeler sa famille… mais il est écouté.

Libération

En juin 2009, Mohamed embarque pour un long vol, direction le Tchad. Il se réinstalle dans son pays d’origine mais éprouve assez vite des difficultés à s’intégrer. Pour regagner l’Arabie Saoudite, il passe par le Soudan mais est arrêté à Khartoum. Il réussit finalement à s’enfuir et décide de retourner au Tchad. Pour conclure, Mohamed dit : « J’étais parti de chez moi pour faire des études mais on m’en avait empêché. On m’avait traité comme un criminel et on m’avait pris huit ans de ma vie… Je dois me débrouiller pour avoir une vie meilleure là où je suis ».

Et après ?

La bande dessinée se termine par un texte de Jérôme Tubiana qui raconte la vie de Mohamed après 2010. Nous sommes alors en 2017 et ils se retrouvent après sept ans sans s’être vus. Mohamed a épousé en 2011 la fille d’un ami de son oncle. Il a eu des enfants mais sa vie quotidienne reste toujours difficile. Jérôme Tubiana conclut, en décembre 2017, qu’il espère que Mohamed trouvera un endroit « où on ne le regardera pas comme un suspect ».

Une BD au format poche

Ce livre fait partie d’une collection de bandes dessinées republiées en format de poche.  Elle propose une sélection de classiques d’aujourd’hui signés par des auteurs contemporains.

Lorsqu’il referme la bande dessinée, le lecteur est pour le moins sonné par une telle histoire, par un tel enchainement qui a fait qu’un jeune homme de 14 ans a passé son adolescence à Guantanamo. Un témoignage fort et indispensable.