La situation d’enlisement dans laquelle se trouvent les forces de l’OTAN en Afghanistan est souvent attribuée à la tradition guerrière d’une population ayant déjà fait reculer Britanniques et Soviétiques. La détermination des combattants afghans est une des raisons de leurs succès, mais pas la seule. La dimension montagneuse du théâtre des opérations a brouillé les cartes du rapport de force traditionnel. C’est un espace dans lequel la supériorité technologique ne suffit pas, il faut en maîtriser les contraintes pour en tirer ensuite les meilleurs atouts. L’histoire monte que nombreux sont les cas, où, en milieu difficile (montagnard ou arctique), la victoire n’est pas allée à celui que l’on pensait le plus fort.

Un milieu que connaissent bien les 3 auteurs de cet ouvrage, tous trois sont colonels, diplômés de l’Ecole Militaire de haute Montagne de Chamonix. Mais surtout, ils ont pu confronter la théorie avec la réalité des combats, tous trois ayant servi en Afghanistan. Leur ouvrage est une étude des conditions du combat en montagne illustrée à travers de nombreux exemples empruntés aux diverses périodes et complétée par l’étude de huit batailles tirées des conflits des XX° et XXI° siècles. Ils énoncent donc 6 principes pour la guerre en montagne.

La préparation aux conditions de l’engagement

Cela semble évident, et pourtant, nombreux sont les cas où des forces ont été engagées en milieu montagnard (ou arctique) sans avoir été préparées aux contraintes de celui-ci: pente, terrain, climat… Des contraintes qui pèsent sur les communications et la logistique des armées, même les plus modernes.

D’où la nécessité de préparer les combattants dans leur corps et leur esprit à ce qui les attend. Le milieu accentue l’écart séparant une troupe préparée d’une troupe qui ne l’est pas. Les nombreuses victoires remportées par les Finlandais face aux Soviétiques lors de la guerre d’hiver (1939-1940) ne s’expliquent pas autrement. Les auteurs nous le démontrent notamment avec l’étude de l’anéantissement des 163° et 14° divisions soviétiques par la 9° division finlandaise lors de la bataille de Suomussalmi (1939).

L’ubiquité

La montagne est, à priori, un terrain favorisant uniquement le défenseur. Pourtant, du fait de la nature du terrain, celui-ci se trouve souvent réduit à une défense passive, obligé de disséminer ses forces et peut éprouver de nombreuses difficultés à les regrouper.

Faire preuve d’ubiquité, laisser penser qu’on est partout, qu’on soit en attaque ou en défense, permet de désorienter l’adversaire et de pouvoir concentrer ses propres forces là où l’on veut. Parmi les exemples repris dans l’ouvrage, le plus développé est l’étude de l’attaque menée par le corps de montagne français en 1944 dans les Apennins. Une offensive où s’illustrèrent particulièrement les troupes coloniales.

L’opportunisme

Le compartimentage du relief en milieu montagnard semble laisser peu de possibilités d’action et d’initiative aux troupes engagées, les engagements en Tchétchénie, dans les Balkans où en Afghanistan l’ont montré. Pour utiliser aux mieux les forces engagées et avoir un temps d’avance sur l’adversaire, le renseignement joue un rôle important. Celui-ci peut être obtenu par des moyens technologiques (drones, satellites) mais également par des troupes au sol. Des troupes qui doivent s’assurer la maîtrise des points hauts. De cette capacité de renseignement et de sa bonne utilisation dépend la possibilité de saisir les opportunités qui s’offrent et donc l’initiative. L’étude du semi-échec de l’opération Anaconda (conduite par les forces américaines en 2002 en Afghanistan) montre que leur incapacité à adapter un plan rigide aux circonstances explique ce résultat.

La domination du champ de bataille

Par nature, la montagne est composée de points haut et bas, tous deux également utiles aux opérations militaires. Les points bas sont les lieux de mouvement privilégiés des forces et de la logistique, les conditions naturelles y sont plus favorables. Relief et climat sont plus contraignants pour les points hauts, mais ceux-ci constituent des points d’observation, des positions d’arrêts, des lieux de passage obligé (cols). Des hauts on menace les vallées, mais on y est également isolé, peu mobile, et donc vulnérable aux infiltrations en provenance des bas, leur perte peut provoquer l’écroulement de tout le système défensif.

Plus qu’ailleurs, en montagne, il faut maîtriser les contraintes qu’impose le milieu, être capable de progresser par les hauts comme par les bas. L’étude de la prise de Mount Harriet par les commandos britanniques lors de la guerre des Malouines en 1982 ou l’échec relatif de l’opération Panjshir V conduite par les Soviétiques en 1982 permettent d’en faire la démonstration.

La complémentarité des feux

Arriver à optimiser la puissance de feu est plus dur en montagne qu’ailleurs. Le relief offre de nombreux abris, gène le déploiement de l’artillerie qui manque d’espace. Le climat gène la visibilité, affecte les performances machines et des hommes. Les deux limitent l’emploi de l’aviation. Quant aux hélicoptères, leurs performances sont altérées par l’altitude et ils sont vulnérables aux armes antiaériennes.

Il faut donc disposer de toute la gamme possible d’appui-feu (aérien, tirs direct, tirs indirects) afin de couvrir le maximum de situation possible et de surprendre l’adversaire. Cela implique également une décentralisation des capacités de feu pour un meilleur guidage de ceux-ci en fonction de la situation tactique. Une concentration des feux que surent réaliser les forces du général Béthouart à Narvik (1940) où les troupes françaises dans la Kapisa (Afghanistan 2009).

Le siège de l’ennemi

Compte-tenu du peu d’axes de communication en montagne, ceux-ci constituent des objectifs vitaux. Ils sont à la fois utilisés par les flux logistiques et pour la manœuvre des troupes (déploiement, retraite…). Cela vaut pour le matériel, mais aussi pour les télécommunications qui ont besoin de relais pour s’affranchir du cloisonnement du relief et de l’absence de réseaux.

Le harcèlement de tels axes par des forces de guérilla peut se révéler extrêmement rentable et oblige l’adversaire à immobiliser de nombreuses forces pour les sécuriser. Les troupes opérant en montagne peuvent certes bénéficier d’un soutien héliporté, mais celui-ci a une capacité d’emport limitée, et reste dépendant des conditions météorologiques.

Il faut donc des troupes qui opèrent avec une logistique légère pour être à même de se dégager des contraintes du milieu. Elles peuvent ainsi espérer surgir là où on ne les attend pas et briser les lignes de communication adverses comme le fit la cavalerie française lors de la Dobropolie (1918). Ce qui provoqua l’effondrement des forces bulgares et allemandes auxquelles elle était opposée.

Illustré par de nombreux exemples empruntés aux diverses périodes historiques, cet ouvrage collectif permet de dégager les grandes lignes de la guerre montagne. Les 8 batailles étudiées qui complètent l’ouvrage permettent de voir comment ces principes peuvent trouver leur application sur le terrain. On peut certes regretter que les études proposées ne soient pas un peu plus développées pour ce qui est des ordres de bataille et des cartes explicatives. Le propos est cependant clair, et c’est bien ici le plus important.

Un ouvrage également intéressant pour ceux qui veulent connaître un peu mieux le conflit afghan auquel participent plusieurs milliers de soldats français.