Cette « histoire de Daniel V » est un retour individuel d’un ancien appelé d’Algérie, un parmi les 400 000 jeunes gens qui ont servi sur ce territoire pendant cette guerre qui n’a pas dit son nom pendant plusieurs décennies.

Ce récit à la première personne est remarquable par la qualité de son écriture, soutenue et dense. L’auteur a su retracer cette atmosphère étonnante de la période qui suit les accords d’Évian, cette transition entre le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962.

Pendant cette période bien des épisodes restent encore dans le flou et suscitent d’ailleurs toujours de très nombreuses polémiques. La question des disparitions d’européens est largement développée par les cercles algérianistes avec des chiffres difficilement vérifiables, tandis que le problème des harkis et de leur sort reste encore sujet à contestation.

Dans ce récit qui retrace les derniers jours du sous-lieutenant Daniel V. l’auteur essaie de retrouver cette atmosphère délétère dans un petit poste isolé, et visiblement oubliés par le commandement militaire régional, dans la région d’Oran. Pierre Brunet, officier appelé, car diplômé d’une grande école a recueilli le témoignage de ce jeune homme dont la trajectoire semble bien surprenante.

Sursitaire mais devançant l’appel, anticolonialiste actif pendant sa période étudiante, fiancé avec une belle jeune fille mais refusant tout contact avec elle, une fois arrivée en Algérie, à l’évidence les zones d’ombre sur Daniel V. qui s’est engagé sous une fausse identité sont multiples.

C’est à travers le regard de ce personnage que Pierre Brunet découvre les particularités de cette sale guerre. Dans ce poste isolé de Rio Salado qui délimite deux territoires, celui des colons qui se sont claquemurés dans leurs villas bourrées d’armes avant de prendre la route de l’aéroport vers la métropole et celui du village arabe, la guerre d’Algérie se vit en résumé, avec toutes ses contradictions.

Ce n’est pas un parachutiste sadique qui torture les prisonniers dans ce camp mais un instituteur devenu lieutenant. Ce ne sont pas des harkis victimes de la sauvagerie des moudjahids du FLN que l’on voit dans ce récit, mais des opportunistes, comme il y en a dans tous les camps. Il semblerait que l’un d’entre eux soit l’assassin de Daniel V. si l’en on croit l’auteur.

Dans ce poste isolé, et même si les informations radio sont fragmentaires, les feux du désespoir de la fin de la guerre d’Algérie embrasent l’horizon de ces soldats qui se demandent encore pourquoi ils étaient là. Sur fond d’attentats de l’OAS dont ils entendent parler tout de même, et notamment la destruction de la bibliothèque d’Alger, ces jeunes gens, pour la plupart originaires du nord de la France se retrouvent en quelque sorte projetés hors du temps et de l’histoire.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce récit présent une incontestable valeur historique. Au-delà de la qualité d’écriture, remarquable d’ailleurs, c’est plutôt cette atmosphère de fin de règne qui mérite d’être notée, et à ce titre ce court récit apporte un éclairage particulier tout aussi intéressant que les multiples études qui ont fleuri en 2012 pour le 50e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Si la mémoire n’est pas l’histoire elle reste tout de même l’un de ces matériaux que l’historien peut et doit utiliser, mais avec les méthodes de l’histoire, ce qui fait la différence avec les entreprises mémorielles dont on connaît les dérives.

Bruno Modica