Les ouvrages de la collection repères publiés par les éditions la Découverte représentent près de 500 synthèses qui ont l’avantage d’être particulièrement accessibles tant au niveau du format que du prix. Les éditions innovent en proposant trois volumes sous forme de coffret consacré à l’histoire de l’Allemagne au XXe siècle la période couverte s’étend de 1900 à 1989.
Proche de nous, mais pas forcément bien connue, l’histoire de l’Allemagne est présentée sous l’angle de l’histoire sociale. Et cette synthèse se révèle d’ailleurs extrêmement précieuse.
Dans le premier tome, le premier XXe siècle, Marie Bénédicte Vincent présente les particularités de cette société allemande considérée comme particulièrement en avance, notamment du point de vue social, par rapport au reste de l’Europe, au tout début du XXe siècle. Cette société allemande est toutefois plus complexe qu’il n’y paraît. Elle conserve certains archaïsmes, notamment dans les terres de l’Est, avec la persistance d’une aristocratie prussienne qui sera très présente, y compris pendant la montée du nazisme. Les trois régimes politiques qui se sont succédé pendant la période, l’empire, la république de Weimar, troisième Reich, ont pu poser leurs marques sur cette société allemande qui connaît une modernisation importante. Conséquence d’une unité tardive, la structure du pays est organisée autour de villes qui connaissent une croissance rapide. L’industrialisation et la forte croissance numérique de la classe ouvrière et de la classe moyenne, très encadrées par des structures de masse, syndicats, partis politiques, associations d’anciens combattants, après la première guerre mondiale, donnent à cette société allemande un certain nombre de particularités. La crainte du déclassement, manifeste lors des deux grandes crises économiques de la période, celle du début des années 20 et celle des années 30, contribue à la radicalisation qui se traduit par la montée du nazisme. De ce point de vue, il peut être tentant de faire un parallèle avec des situations plus contemporaines dans notre pays. Les conséquences sociales, et dans un second temps politiques, de cette crise, ont été d’autant plus fortes en Allemagne que la modernisation avait été rapide et « l’État social », fortement enraciné, dès avant le départ de Bismarck.
Particulièrement intéressant dans cet ouvrage le chapitre consacré à la société dans la guerre totale qui permet de diversifier les exemples que l’on donne, le plus souvent à propos de la France sur « les sociétés fassent à la guerre ». Dans la première partie de l’ouvrage, en quelques pages, dans le chapitre intitulé la société à l’épreuve de la nationalisation, l’auteur montre comment l’État a eu à gérer les divisions confessionnelles, la place du catholicisme, religion minoritaire mais bien organisée et bien entendue la persistance de l’antisémitisme, un antisémitisme latent qui s’est exprimé de façon organisée à partir de 1933.
Dans le deuxième volume, consacré à la République fédérale, entre 1949 et 1989, Alain Lattard, présente une histoire qui est peut-être moins connue que celle de la précédente période. La société ouest-allemande a eu à gérer la reconstruction et la modernisation, en retrouvant dans une certaine mesure un certain nombre de valeurs conservatrices qui avaient été fortement ébranlées dans le tourbillon du nazisme. On l’ignore trop souvent, mais la notion de laïcité « à la française » n’a pas été intégrée en Allemagne. Bien au contraire, les Églises chrétiennes, protestante comme catholique, ont pu très sensiblement influencer la politique familiale et la politique sociale. Pendant les années 50, la démocratie chrétienne a très largement repris à son compte des éléments de la doctrine sociale de l’église. L’auteur présent également les ambiguïtés de cette culture politique de la restauration, qui a conduit au miracle démocratique, l’autre facette du miracle allemand, dont la plus visible et celle du miracle économique. La dénazification a d’ailleurs été ambiguë. Et une politique d’amnistie assez large permet à plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires et de soldats de reprendre une carrière normale malgré des compromissions avec le nazisme qui n’étaient pas forcément mineures. Pour ce qui concerne la démocratie, la structuration du système des partis autour de deux grandes formations interclassistes, comme la démocratie chrétienne et la social-démocratie, conduit à la formation de majorités solides. La constitution allemande vise à limiter au maximum les risques d’instabilité gouvernementale qui rappellerait trop la république de Weimar. La loi fondamentale dans son article 21 permet d’interdire les partis extrémistes comme le parti néonazi en 53 mais également le parti communiste allemand en 1956.
À partir des années 60 l’Allemagne entre dans une nouvelle période que l’auteur qualifie de dynamique du progrès. Le refoulement du passé national-socialiste devient moins pesant et la société allemande connaît une vague de contestation, dans laquelle on voit déjà apparaître les préoccupations environnementales qui feront des « verts » allemands le modèle à suivre outre-Rhin.
Entre 1974 et 1989 l’Allemagne est confrontée comme tous les grands pays développés à la crise économique. Le chômage augmente et l’économie sociale de marché peut se voir remise en cause. Toutefois, malgré l’alternance entre les sociaux-démocrates de Helmut Schmidt et des chrétiens-démocrates, avec Helmut Kohl, les fondements du modèle ne semble pas être remis en cause. L’attachement à l’État social préserve globalement jusqu’en 1989 le consensus. Cela permet d’ailleurs de mettre en œuvre une réforme des retraites en 1989, proposée par les chrétiens-démocrates avec l’accord des socialistes. On lira également avec profit la partie consacrée à l’émergence des mouvements alternatifs, qui sont devenus des mouvements de masse en Allemagne, à la fois autour de la contestation antinucléaire, mais aussi sur les questions de mode de vie. En réalité, ce caractère massif qui contraste avec l’aspect plus marginal des mouvements de ce type en France, s’explique sans doute par la diffusion plus forte outre-Rhin de la culture de masse. La société française était sans doute plus fragmentée pendant la première moitié du XXe siècle que la société allemande dans laquelle les forces d’intégration, malgré la parenthèse national-socialiste, étaient beaucoup plus fortes.
Le troisième volume de ce que l’on pourrait appeler une trilogie, est consacré à la République démocratique allemande, cette construction politique qui était une des conséquences de la guerre froide mais aussi, il ne faudrait pas l’oublier, des fracturations antérieures de la société allemande, avant la montée du nazisme.
Pour l »auteur, Sandrine Kott, la société est-allemande est le fruit d’un projet formulé et mis en oeuvre par le parti socialiste unifié, le nom que porte le parti communiste en Allemagne de l’Est. Le parti est l’acteur de la transformation sociale, il a pris le contrôle de l’État et des organisations de masse, et mettre en oeuvre un programme politique très largement inspiré par l’expérience soviétique. La société est profondément transformée, avec un mouvement de collectivisation des terres, avec un contrôle effectif de la société par le parti. En décembre 1988, il compte 2 300 000 membres. Par ailleurs, la police politique, la Stasi, compte près de 90 000 personnes en 1989 avec 170 000 collaborateurs officieux.
Par rapport aux autres pays du bloc soviétique, la population est-allemande a bénéficié, en contrepartie d’un contrôle politique étroit, d’un confort de vie supérieure. Certes la Trabant n’était pas une luxueuse limousine mais au début des années 80 elle faisait rêver les Polonais et les hongrois qui voyaient passer les Allemands de l’Est sur la route des vacances au bord du lac Balaton. C’est d’ailleurs en pensant à la république démocratique allemande que Georges Marchais a lancé la formule de « bilan globalement positif », pour les pays socialistes.
Lorsque l’on referme cet ouvrage sur la RDA, on revient dans une certaine mesure d’un voyage dans le temps, et un temps qui n’est pas si éloigné que cela. Une réaction que l’on peut avoir serait de voir ou de revoir ce film « culte », goodbye Lénin.
© Bruno Modica