Je dois l’avouer, j’ai une certaine tendresse pour les polémistes et les chansonniers, quels qu’ils soient, et surtout quelles que soient leurs options philosophiques ou politiques. C’est une raison pour laquelle je souhaitais présenter cet ouvrage qui peut apparaître au lecteur pressé ou pétri d’apriori comme une simple justification de la politique de l’actuel locataire de l’Élysée.

Avant d’entrer dans le fond et d’entamer, dans une certaine mesure une sorte de dialogue avec l’auteur, quelques remarques sur la forme. L’écriture d’ André Bercoff peut apparaître comme jubilatoire. Il égratigne avec un certain bonheur les corps constitués, en évoquant la nature de quelques changements introduits depuis 2007. Il évoque des réformes constitutionnelles, la possibilité d’organiser un référendum, dès lors qu’un cinquième des membres du Parlement et 1/10 des électeurs inscrits sont d’accord pour que le sujet soit soumis à consultation populaire, et la présence de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels et aux côtés des juridictions d’application des peines. À ce propos, il explique avec juste raison, que ce qu’il appelle les bien-pensants, s’inquiètent à l’idée de perdre une partie de leur pouvoir ou de leur ascendant sur le reste de leurs concitoyens.

Rideau sur le voile

Un peu plus loin, à propos du voile, il s’interroge aussi sur une forme de masochisme qui conduit la gauche et l’extrême gauche à faire la fine bouche à propos de la laïcité, ouvrant de ce fait, mais ça l’auteur ne dit pas, un boulevard au Front National. Alors, lorsque André Bercoff évoque la chasse au Sarko, il explique que l’actuel président, en suscitant autant de dénominations peu flatteuses « agité, cyclothymique, Bernard Madoff » et autres noms d’oiseaux, a au contraire désacralisé la fonction présidentielle, en parlant un langage que le peuple peut comprendre, et qui passe au-dessus des élites autoproclamées.
La démonstration peut convaincre, mais en réalité, et cette fois-ci le débat portera sur le fond, elle se révèle d’une grande fragilité. On peut trouver un certain nombre d’arguments intéressants à propos de la fragilité dont l’opposition actuelle peut faire preuve sur certaines questions, et notamment sur la laïcité. Mais en réalité, cela aboutit à une sorte de justification lourdement sympathisante pour les partis que l’on qualifie de « populistes », qui se développent en Europe et dont le Front National serait « la version française », même si ses origines dans l’extrême droite traditionnelle le rendent fondamentalement différent.
André Bercoff dresse un inventaire plutôt flatteur de l’ensemble des réformes que la France aurait connues depuis le début de ce quinquennat. Création du conseiller territorial, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, réforme des retraites, représentation syndicale, Grenelle de l’environnement, etc. Le seul problème, et André Bercoff le note, c’est d’une part que ces réformes sont dans de nombreux cas restées au stade des effets d’annonce, mais en plus elles ont été remises en cause, comme le fameux bouclier fiscal considéré comme la réforme emblématique du début du quinquennat.

Ça bouge trop vite, même pour l’auteur

Il y a d’ailleurs une chose de vraie dans les nombreuses approximations de l’auteur, l’actuel locataire de l’Élysée bouge, il bouge soir et matin, mais encore trop vite pour ses laudateurs qui se retrouvent condamnés à brûler aujourd’hui ce qu’ils adoraient hier. Il y a tout de même un aspect qui mérite l’intérêt dans les différentes affirmations du polémiste. La question centrale est celle des institutions, qui peuvent apparaître dans une certaine mesure comme obsolètes. Les institutions de la Ve République telle qu’elles ont été conçues entre 1958 et 1962 cherchent à marier plusieurs principes à propos du pouvoir exécutif. Le présidentialisme, plus que le régime présidentiel, la fonction arbitrale du chef de l’État, et un système parlementaire majoritaire qui n’exerce sa fonction de contre-pouvoir que de façon imparfaite.
Dans son blog, plus que dans son ouvrage, André Bercoff évoque ces questions, et on peut lui donner acte de ces interrogations. Il est clair que le régime présidentiel, avec un contre-pouvoir effectif, présente un certain intérêt, et après tout la constitution des États-Unis a quand même duré plus de deux siècles. Il est vrai que l’actuel locataire de l’Élysée a poussé jusqu’au bout le système monarchique, mais en lui ajoutant sa caractéristique cathodique, le système télévisuel dans lequel il se complaît. On pourrait pousser d’ailleurs jusqu’au bout la logique de l’auteur, en se souvenant de cette formule utilisée par Valéry Giscard d’Estaing à propos de François Mitterrand qui aurait exercé, en tant que chef de l’opposition, le ministère de la parole. L’actuel locataire de l’Élysée n’a même plus besoin de l’opposition pour le faire. Sa tendance à multiplier les effets d’annonce, son traitement compassionnel du moindre fait divers, contribue à décrédibiliser l’action politique. On sait quels sont les conséquences désastreuses dans l’opinion de tels comportements. De plus, cette proximité entretenue avec le monde des fortunes clinquantes, rend d’autant plus contre-productives les tentatives pathétiques d’entretenir une proximité familière avec la France qui se lève tôt.

Rendons grâce toutefois à André Bercoff, qui n’a certes pas résisté à la tentation de la facilité en polémique, d’en avoir évité une : celle de « cogner » sur les enseignants. Les lecteurs de La Cliothèque qui appartiennent pour beaucoup, mais pas de façon exclusive, à cette catégorie, lui en sauront gré !

© Bruno Modica