L’année 2011 ne laissera sans doute pas un souvenir très positif dans l’histoire du développement durable, notamment sur ses aspects énergétiques. La catastrophe nucléaire de Fukushima et le fort médiocre compromis arraché à Durban (COP 17) n’incitent guère à l’optimisme. L’ouvrage de Paul Mathis aux éditions Quae non plus, mais il n’en reste pas moins très stimulant : ni géographie de l’énergie ni géographie du développement durable, « les énergies, comprendre les enjeux » rendra pourtant bien des services pour traiter ces aspects en géographie : Paul Mathis est à la fois physicien et agronome et cette perspective correspond bien à certains des questionnements présents dans nos programmes. Ce regard de l’ingénieur est la marque des éditions QUAE qui fournissent à un large public un regard sur le travail des institutions publiques comme le Cemagref, l’Ifremer et l’INRA.

La fin d’un développement fondé sur l’énergie facile et à bon marché

Décrire les enjeux énergétiques signifie d’abord passer par un parcours un peu obligé auquel n’échappe pas le découpage de cet ouvrage. Paul Mathis débute par une présentation de l’importance de l’énergie et par présenter les définitions nécessaires à son étude. Passant ensuite en revue les énergies fossiles – en insistant sur leur origine, leurs propriétés physiques qualités et défaut – il met l’accent sur l’impasse de leur utilisation à moyen terme, avant même leur épuisement, par la montée des coûts et des conséquences environnementales. Cette impasse le conduit à présenter les différentes pistes d’économies d’énergie, dont les options d’aménagement du territoire qui induisent moins de déplacements. S’il s’appuie sur l’optimisme qu’apporte l’observation d’une tendance de fond à la baisse de l’intensité énergétique des activités, il insiste sur les changements de rythmes, de mode de vie et les arbitrages qui seront nécessaires pour diminuer la consommation énergétique.

Les révolutions énergétiques à venir dans la production et la distribution

Les chapitres suivants sont consacrés à la production d’énergie. Le chapitre consacré à l’électricité est central dans l’ouvrage, car c’est dans ce domaine que l’auteur s’engage le plus, pour indiquer les limites de la production par le photovoltaïque, l’éolien et critiquer la libéralisation du secteur de l’énergie à l’échelle européenne. Sa présentation des changements à prévoir dans les réseaux de distribution électrique pour intégrer les « nouveaux » modes de production d’électricité, très intermittents, est à cet égard fondamental. L’auteur démontre que l’impression d’un passage à une production locale de l’énergie est une illusion : le développement du solaire et de l’éolien pousse à davantage interconnecter les réseaux et les systèmes de production ; pour l’éolien et le solaire, la production de l’Afrique du Nord à l’Europe du nord pourrait être intégrée à un grand réseau électrique européen, la « plaque de cuivre » (projets Desertec et Transgreen). Bien qu’il évoque la catastrophe de Fukushima, Paul Mathis reste persuadé de la nécessité d’un maintien « raisonnable » et très surveillé du nucléaire au moins jusqu’au milieu du siècle, au moment où l’on saura si la quatrième génération de réacteurs, bien plus efficaces, est viable.

Les usages de l’énergie : adapter la meilleure solution à chaque situation

Les chapitres consacrés à la production de chaleur et les énergies à utiliser dans les transports montrent la nécessité de bien évaluer les rendements énergétiques et l’ensemble des autres paramètres (émissions de CO2, autres formes de pollution etc.) avant de proposer une solution . Ainsi, pour « décarbonner les transports », véhicules électriques et véhicules hybrides doivent-ils correspondre à des situations différentes ; l’auteur se montre par ailleurs très réservé sur les biocarburant actuels dont les rendements sont modestes en rapport avec les ressources utilisées : dans une démonstration où l’on trouve à la fois le physicien et l’agronome il met en avant la nécessité d’utiliser la biomasse pour produire de la chaleur plutôt que de l’utiliser pour les transports (sauf dans quelques situations locales) , car dans ce domaine elle ne peut répondre aux besoins, même si les biocarburants de deuxième génération, à partir de cellulose et de lignine ouvrent plus de perspective, puisqu’ils ne rentreraient pas en concurrence avec les usages alimentaires.

La fin du livre montre les différents horizons des percées technologiques en matière énergétiques :les décennies qui entourent le milieu du siècle semblent être le moment où certaines pistes peuvent arriver à maturité : séquestration du carbone, biocarburants de deuxième génération, en attendant la troisième avec les algues, quatrième génération de réacteurs nucléaires ; mais il y a encore beaucoup d’incertitudes sur leur rentabilité et leur durabilité. Le passage par l’hydrogène pose toujours le problème… des énergies nécessaires à sa production. Quant à la fusion nucléaire (recherches d’ITER à Cadarache) l’horizon est encore plus lointain et incertain.

En fonction de l’ensemble de ces observations, Paul Mathis conclut sur une vive critique des politiques énergétiques à l’échelle mondiale, mais surtout européenne et plus encore française : notre pays subventionne le développement d’énergies renouvelables au rendement incertain en alourdissant la facture énergétique de tous (CSPE) alors que la taxe carbone qui aurait pu inciter à de véritables économies d’énergie a été écartée. Quant à la libéralisation du secteur de l’énergie, elle ne va pas faciliter la mise en place de réseaux énergétiques cohérents et adaptés à des solutions durables.

Un outil pour introduire un peu de culture scientifique dans la géographie du développement durable.

Sans rentrer dans des calculs complexes, les démonstrations de Paul Mathis s’appuient constamment sur des principes scientifiques, des équivalences ou des grandeurs d’ordre. La thermodynamique et Carnot accompagnent ainsi bien des chapitres et justifient nombre d’appréciations sur telle ou telle solution énergétique. Cette présence de la culture scientifique, bien simplifiée par un ingénieur ayant eu l’habitude de communiquer aux « profanes » peut nous être utile comme un passeport pour les travaux pluridisciplinaires impliquant la physique et les SVT. Si l’on y ajoute l’aptitude de l’auteur à faire comprendre ce qui fait système dans les enjeux énergétique, on comprendra le profit que l’on peut tirer de cet ouvrage dans un enseignement de la géographie qui n’hésiterait pas à retrouver les couleurs scientifiques qui étaient les siennes il n’y a pas si longtemps.