L’histoire de l’Armée de l’Air évoque habituellement les exploits, l’héroïsme des pilotes, le dévouement des mécaniciens et quelques épisodes particulièrement marquants : les combats au temps des échanges à coups de carabine, les duels au dessus des tranchées ou le sacrifice des pilotes pendant la campagne de France. On relie difficilement les périodes successives entre elles dont on a rarement une vision d’ensemble. De plus, tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg et derrière cette façade, la construction d’une structure qui acquiert peu à peu sa part d’autonomie est une histoire complexe et qui demande une bonne connaissance de l’environnement institutionnel. C’est à l’ensemble des aspects de l’Armée de l’Air que s’attache Patrick Facon dans ce livre.

Auteur intéressé par la chose militaire, qui est connu par de nombreux ouvrages qui portent sur diverses campagnes et avant tout pour son intérêt pour l’aviation et son histoire, enseignant dans un cadre universitaire et dans un cadre militaire, Patrick Facon fournit dans un livre à l’apparence austère un condensé de l’Histoire de l’armée de l’Air en France, avant même que cette appellation soit officialisée (1933-34). Ce n’est pas un sujet nouveau pour lui, loin de là, puisque ce livre fait suite à l’Armée de l’Air en quête de son identité , et à une Histoire de l’Armée de l’Air allant jusqu’en 1946 ainsi qu’à plusieurs ouvrages sur l’aviation française pendant différentes phases de la seconde guerre mondiale sans compter de nombreuses publications dans des collections destinées au « grand public ».
L’intérêt du présent livre est justement de proposer une vision synthétique de l’histoire de cette arme , l’Armée de l’Air, depuis l’époque balbutiante de l’aviation, mais où déjà certains pensaient à des applications militaires jusqu’au récent retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Cette histoire est aussi bien technologique, événementielle pendant les périodes de conflit et le lent cheminement vers une structuration plus rationnelle de cette arme mais surtout vue du côté de l’organisation de l’Armée de l’Air. Les débats autour de l’autonomie des forces aériennes sont très présents, que ce soit pour la période de la Grande Guerre où l’arme aérienne est à la fois une découverte en très rapide évolution et pendant laquelle se découvrent des usages, des tactiques (combats en escadrilles plutôt que duels par exemple). La notion de supériorité aérienne à conserver sur un champ de bataille est ainsi peu à peu explorée.

DES PIONNIERS À LA PREMIÈRE EXISTENCE

Après un premier chapitre consacré aux véritables pionniers, au premier rang desquels se trouve Clément Ader, pour sa conception d’ensemble de l’utilisation des aéroplanes pour des usages militaires, mais aussi les services qui utilisent des plus légers que l’air, depuis les ballons de réglage d’artillerie des guerres coloniales jusqu’aux essais de dirigeables. Dès l’origine, déterminer de quelle spécialité (essentiellement l’artillerie ou le génie) dépendrait cette nouvelle activité a provoqué hésitations, débats même au Parlement. C’est donc sur fond de rivalités que finit par se créer au Ministère de la Guerre une 12e direction regroupant l’aviation et l’aérostation. Les tensions internationales jointes à l’intérêt général pour la conquête de l’air popularisent plusieurs des thèmes relatifs à l’aviation et au rôle qu’elle pourrait jouer. C’est dans ces conditions que l’aéronautique militaire aborde le premier conflit mondial, forte d’environ 150 aéroplanes face aux 232 allemands. Dès le début, sa participation au conflit est capitale, par les reconnaissances opérées au dessus des colonnes allemandes avant que se déclenche la contre-offensive française sur la Marne. Les responsables du service aéronautique voient très vite les possibilité d’une aviation de bombardement, qui devient très rapidement stratégique avec le bombardement de Karlsruhe et d’autres villes allemandes même si au début ces actions sont avant tout des actions de représailles.
Progressivement, les doctrines d’utilisation de la chasse se fixent aussi, son utilisation au-dessus de Verdun montrant que la maîtrise du ciel est indispensable. Mais comme l’indique Patrick Facon, les hésitations des hauts responsables militaires conduisent à des solutions successives d’organisation et d’utilisation au combat de l’aviation qu’il détaille. Cette histoire est moins connue que celle de pilotes héroïsés par la presse, mais elle n’en est pas moins fondamentale comme il le démontre, tout comme il souligne l’échec de transformer l’aviation en arme distincte, à contrario de l’exemple britannique avec la création de la Royal Air Force. Pourtant la rapide évolution permet de compter à la fin du conflit plus de 6000 pilotes, 80000 personnels non navigants reposant sur une industrie spécialisée qui a dépassé 50000 aéroplanes construits, le tout fonctionnant avec une organisation, des procédures, en un mot une lisibilité évidente de cette nouvelle activité guerrière.
La paix étant revenue, l’autonomie acquise par les aviateurs se heurte aux routines et aux pesanteurs de l’organisation militaire (3e chapitre) : jusqu’à la création du ministère de l’Air en 1928, l’aviation est donc « dispersée au sein de cinq structures différentes qui possèdent chacune leurs propres services spécialisés »

LA RECONNAISSANCE OFFICIELLE DE L’ARMÉE DE L’AIR – L’ARMÉE DE L’AIR DANS LA GUERRE

Pour remédier à cette situation peu efficace, plusieurs solutions sont adoptées, et bien davantage sont envisagées. Le ministère de l’Air se heurte rapidement aux réticences de l’Armée et de la marine pour rendre autonome une véritable armée de l’air, ce qui ne se fait qu’en 1933 (4e chapitre) à la suite « de marchandages entre les ministères de l’Air, de la Guerre et de la Marine ». Toutes ces tractations débouchent cependant sur une organisation de temps de paix et une organisation différente en temps de guerre, les escadres aériennes devant dépendre des grands commandements de zones ; de nombreuses forces seraient de plus directement placées sous le contrôle de l‘armée de terre. Il est évident qu’un tel schéma ne pouvait qu’être dangereux par la multiplication des responsables et la complication de la chaîne des commandements. Dans ce contexte, ce que Patrick Facon appelle « la quête d’une doctrine nationale » quant à la place de l’aviation se poursuit, alors que sur le plan technique, la multiplication des prototypes ne conduit pas à la constitution d’escadrilles homogènes. L’industrie aéronautique est au milieu des années 30 « dans l’état semi artisanal ou elle est retombée depuis la fin de la Grande Guerre ». Les nationalisations de 1936, indispensables, ont encore accentué la désorganisation du secteur. Malgré les précoces efforts de réarmement, les retards industriels qui se multiplient n’ont permis de livrer que des appareils déjà dépassés au moment de leur livraison. Les plans d’équipement n’auraient approvisionné l‘armée de façon moderne qu’à partir de 1941. Persuadés de la la faiblesse de l’aviation, les chefs militaires n’ont pu que conseiller l’attentisme aux responsables politiques au moment des grandes crises de la fin de la décennie .

C’est donc une aviation française en voie d’organisation et d’équipement qui doit faire face au conflit, le tout en partie aggravé par des querelles de personnes. (5e chapitre : la défaite).
L’industrie aéronautique, malgré sa montée en puissance, livre souvent du matériel d’un état douteux, ou incomplet, la mauvaise coordination entre les fabricants fait apparaître des déficits de moteurs ou d’hélices… La modernisation des matériels de l’Armée de l’Air n’est donc pas achevée au moment de la bataille de France et la formation des personnels est loin de pouvoir mettre à disposition des escadrilles les spécialistes nécessaires. Malgré les sacrifices des équipages, l’aviation de bombardement n’arrive pas à arrêter les colonnes allemandes et la chasse est le plus souvent submergée, ce qui est également le cas pour les aviations alliées. Devant les urgences successives, le dispositif se sature et se détraque inexorablement. L’analyse de Patrick Falcon intègre au passage l’examen du mythe des 1000 avions allemands abattus (l’aviation allemande a perdu 1300 appareils pendant la campagne, dont 250 par accident et les alliés ont également participé à la destruction des avions de la Luftwaffe) et celui du non-engagement de la Royal Air Force qui a fourni bien davantage que ce que prévoyaient les promesses antérieures.

L’armistice ouvre en général pour beaucoup de combattants et de non-combattants une période étrange et sombre: pour l’armée de l’air, qui en tant que corps cherche avant tout à survivre (« la déchirure » , titre du 6e chapitre), sépare pour longtemps aviateurs restés fidèles à Vichy de ceux qui ont rejoint les FFL. Les pourparlers de Rethondes n’avaient débouché que sur le désarmement des appareils dans des bases de la zone non-occupée, et surtout d’Algérie et de Tunisie vers lesquelles une bonne partie des appareils avaient été transférés avant l’armistice. Les appareils sont immobilisés (souvent sans hélices, sans dynamos, sans possibilité de carburant pour éviter les fuites vers Gibraltar ou Malte. Paradoxalement, Mers-el-Kébir donne un peu d’oxygène à cette armée aérienne qui a lutté contre les britanniques en bombardant même Gibraltar et qui, assurant la défense des territoires français et des colonies soulage les forces de l’Axe d’avoir à le faire.
La guerre du Levant dans laquelle combattent contre les Anglais et les Gaullistes près de 300 appareils français aggrave la coupure avec ceux qui ont rejoint Londres. Maintenue « sous perfusion » par les Allemands, l’Armée de l’Air obtient néanmoins en 1941 de relancer des fabrications pour renouveler du matériel, en contrepartie de la fabrication d’avions et de moteurs pour le Reich.. Selon l’auteur, « les aviateurs sont en majorité hostiles à la France Libre dans laquelle ils discernent une organisation dissidente, un repaire de rebelles, une antithèse de l’esprit de discipline ». Utilisée selon les besoins de l’Axe, l’Armée de l’Air de l’armistice reçoit le coup de grâce au moment de l’opération Torch, par les destructions précédant le débarquement en Afrique du Nord, et pour l’Armée de l’Air métropolitaine par son démantèlement par les Allemands. Face à l’aviation de Vichy, celle des Français libres représente numériquement assez peu de choses, et Patrick Falcon retrace la constitution compliquée d’une force aérienne entre difficulté de recrutement, problèmes de préséances, et difficultés relationnelles avec les responsables britanniques. Ceux qui ont survécu aux opérations (en 1943, la moitié des navigants a disparu) rejoignent à partir de 1943 une armée de l’air réunie, mais n’en conserveront pas moins « un sentiment identitaire particulier », qui se veut plus républicain, plus moral.

LES DIFFICILES ANNÉES D’APRÈS-GUERRE

La « réunification » titre du 7e chapitre n’en est que plus difficile, ce qui se marque par la rivalité entre les responsables de Londres et d’Alger d’autant que la situation est des plus complexes entre Giraud, alors favorisé par les alliés, et les officiers généraux de son entourage et les alliés, essentiellement américains à propos de la reconstitution d’un Armée de l’Air que les uns voient assez indépendante et les autres subordonnée au haut commandement allié. Sur le plan de l’équipement de cette force, elle est également laborieuse, retardée par le manque de cargos. Dépendant de l’approvisionnement anglais, américain et russe pour l’escadrille Normandie, perturbé par les querelles doctrinales et tout comme celles liées à l’origine des chefs, l’amalgame est donc laborieux même si aviateurs gaullistes et aviateurs d’Alger participent les uns et les autres aux grandes opérations. L’arrêt des hostilités, en arrêtant les fournitures de matériel et en cessant de subordonner des forces aériennes qui ont acquis leur autonomie par rapport à l’Armée de Terre alors que l’épuration se développe place les responsables devant la lourde tâche de reconstituer une véritable armée aérienne en tenant compte de ses éléments et des ambitions renaissantes d’un État qui cherche à redevenir une grande puissance. Cette reconstitution commence par le démantèlement du dispositif de temps de guerre, la révision des prévisions à la baisse, en plusieurs étapes, alors que le retour à des postes de responsabilité des gradés de l’armistice crée un profond malaise. Comme si cela ne suffisait pas, les questions doctrinales empoisonnent cette période « d’éclipse » (pour reprendre le titre du 8e chapitre « de l’éclipse au renouveau ») entre aviateurs qui ont vu le caractère à la fois indispensable et décisif des frappes aériennes et de la maîtrise de l’air et l’état major de la défense nationale (commandé par Juin) pour qui l’aviation n’est qu’une force d’appui. Le débat n’a guère changé depuis la Grande Guerre…Les mois qui suivent se marquent par des renoncements successifs aux programmes ambitieux qui avaient été prévus, à l’incapacité de l’industrie française de fournir le matériel demandé et pour finir par un accord avec les Britanniques pour la fourniture de chasseurs dans le cadre d’un pacte qui préfigure l’OTAN. La conclusion de ce chapitre montre l’importance de l’évolution : à la fois technologiques (le passage à la propulsion à réaction) et stratégique par l’appartenance aux systèmes d’alliances de l’après guerre.

C’est sous l’égide de l’OTAN que s’organise désormais l’Armée de l’Air (« les défis de l’O.T.A.N. », 9 ème chapitre). Ce sont cependant des considérations budgétaires qui empêchent alors l’armée de l’air d’occuper tout sa place dans le système stratégique d’alliances qui se met alors en place dans un total manque de réalisme de la part des responsables européens dont les moyens ne correspondant pas à leurs ambitions. De plus, les ressources de l’industrie aéronautique française sont loin d’être suffisantes malgré la meilleure organisation qui se dessine alors autant par la capacité de production que par les technologies utilisées et la qualité du matériel. Les plans d’armement se sont dont succédés, et des appareils américains sont fournis par le biais d’aides directes. La guerre de Corée est suivie d’un renforcement de l’intégration des forces aériennes nationales dans le dispositif de l’OTAN malgré les réticences liées à l’affirmation liées à la souveraineté nationale notamment en ce qui concerne la défense aérienne. Un autre obstacle à la modernisation de l’armée de l’air est dans le même temps, l’importance que prennent les opérations en Indochine L’armée de l’air est ainsi sollicitée pour répondre à deux exigences contradictoires : se moderniser pour tenir sa place dans l’Alliance et fournir toujours plus de moyens dans la lutte contre le Viet-Minh.

Le règlement de la guerre d’Indochine pouvait laisser croire aux responsables de l’armée de l’air que l’heure était enfin venue de se consacrer au grand réarmement que prévoyait l’OTAN mais le déclenchement de la guerre d’Algérie remit une fois de plus tout en cause (« la crise, » 10 ème chapitre). La réflexion stratégique s’intéressait dans le même temps de plus en plus à l’arme atomique car selon le chef d’état-major des forces armées-air « le transfert de moyens de plus en plus importants en direction de l’Algérie impose de toute urgence la valorisation atomique des forces chargées de la défense européenne ». Les réticences américaines vont entraîner après 1958 la recherche d’une solution entièrement nationale lorsque « le gouffre algérien », titre d’un sous-chapitre cessera de ponctionner l’essentiel des moyens au détriment des effectifs affectés à la défense de l’Europe de l’Ouest. En utilisant en grande partie des avions déclassés pour l’attaque au sol acquis aux Etats-Unis et des hélicoptères, l’armée de l’air utilise en Algérie 600 avions et une centaine d’hélicoptères, servis par 50000 hommes. Alors que de son côté l’armée de terre développe également flotte d’hélicoptères et avions légers, ce qui ne manqua pas de susciter frictions et débats. Cette ponction sur l’ensemble des effectifs finit pas aboutir à la dissolution de plusieurs escadrons de chasse en Europe.

C’est face à cette situation que le général de Gaulle affirme dès son retour au pouvoir l’importance de la défense dans un cadre national et celle de la force de frappe comme moyen de puissance et comme symbole.
Le putsch d’Alger de 1961 dans lequel de nombreux officiers aviateurs sont compromis frappe alors durement une armée de l’air profondément divisée, notamment par l’ordre donné aux chasseurs de tirer sur les appareils susceptibles de transporter des parachutistes vers la Métropole. Le dégagement des cadres impliqués suit cette crise tout comme les mesures orientant l’armée de l’air vers d’autres tâches : défendre le territoire même en utilisant la dissuasion nucléaire si nécessaire, doctrine développée par le général de Gaulle et son entourage.
Dégagée de l’hypothèque algérienne, ne participant plus aux guerres coloniales, l’armée de l’air se consacre alors à la mise en place d’un système de défense cohérent qui inclut la dissuasion nucléaire comme le prévoit la première loi programme de 1960-1964 dans laquelle le vecteur est le Mirage IV ; la bombe est mise en fabrication (chapitre 11 « l’enjeu nucléaire »). Néanmoins, la définition des conditions d’utilisation éventuelles séparent de nombreux responsables aviateurs plus « atlantistes » et le gouvernement dès l’origine du programme de dissuasion. Plus tard, les divergences restent importantes entre armée de terre, de l’air et la marine quant à la répartition des charges nucléaires plus faibles « kilotonniques » destinées dans l’esprit de leurs concepteurs à des frappes plus localisées.

A LA FOIS A L’EXTÉRIEUR MAIS PROCHE DU SYSTÈME D’ALLIANCES…

Dernier pas vers l’affirmation d’une force de défense indépendante, la sortie de l’OTAN (chapitre 12 « la garde à l’Est ») touche particulièment les aviateurs, donc beaucoup sont impliqués dans les structures militaires de l’Alliance et qui utilisent encore de nombreux appareils d’origine américaine. Les conséquences furent finalement limitées dans la mesure où aucune crise internationale grave n’est survenue dans cette période de réajustements qui voit également de nombreux regroupements s’opérer dans l’industrie. La position de la société Dassault est plus que confirmée puisqu’elle devient alors le principal fournisseur d’avions de combat de l’armée de l’air. Patrick Facon analyse ensuite la position originale de la défense française à la fois fidèle à ses alliés mais en dehors de l’alliance et les conséquences que cette position entraîne pour l’organisation d’un système de défense dans lequel l’armée de l’air, dont les appareils porteurs d’armes nucléaires de différents types et destinées à différents usages seraient les principaux acteurs en cas de conflit. Dans cette restructuration, les questions de renouvellement de matériel deviennent de plus en plus importantes d’autant plus que depuis les années 1960, si on exclut l’opération « Mousquetaire » à Suez en 1956, la France a déployé des forces en Afrique à la suite d’accords de défense avec des Etats nouvellement indépendants. Le transport aérien militaire tient également une place importante dans les opérations humanitaires.

Les deux derniers chapitres (13 et 14) sont consacrés à l’après-guerre froide qui donne une importance croissante à la capacité de transport immédiate, à la capacité de projection sur des conflits localisés. La guerre du Golfe marque une autre étape, avec l’utilisation de la Force d’Action Rapide incluant des avions de combats et la coordination avec les aviations d’autres nations, dont au premier plan bien sûr les forces américaines. L’opération Daguet emploie alors une soixantaine d’appareils et 1500 militaires de l’armée de l’air. Patrick Facon relève à propos de ce conflit « électrochoc pour l’armée de l’air » que les conditions de combat ont conduit à la révision de tactiques et à la mise en évidence de carences importantes dans le domaine du matériel, du nombre d’avions de transport et de système de détection et de commandement. C’est donc une nouvelle réorganisation qui s’impose, à la fois sur le plan de la stratégie, par rapport à l’organisation en zones et à la réduction des effectifs, puis à l’arrêt du flux régulier provenant des militaires du contingent bien que l’armée de l’air déjà par nature fortement professionnalisée soit moins touchée que l’armée de terre : le processus de professionnalisation est engagé dès 1996. Dans le même temps, la place de l’armée de l’air dans le dispositif de dissuasion diminue au profit des missiles embarqués sur les sous-marins nucléaires. La guerre du Kosovo place pour la deuxième fois de la période l’armée de l’air devant des insuffisances notamment en matière de détection. Le dernier chapitre, dans lequel le mot de « transformation » intervient à plusieurs reprises aussi bien sur le plan des matériels avec le passage progressif au « Rafale », de la technologie des armes embarquées, de l’usage progressif des drones. En revanche l’aviation de transport attend le remplacement de son matériel car la construction de l’avion européen A400-M est sans cesse retardée. C’est sur le principe « d’une armée projetable » sur un théâtre d’opération extérieur que s’est bâtie l’organisation stratégique, mais aussi d’une armée pour laquelle selon les dispositions du Livre Blanc de 2008 il est de plus en plus nécessaire de se pencher sur le rapport coût/efficacité. Les dernières pages de Patrick Facon rendent compte de cette évolution car on y trouve reproduites des formulations présentes chez de hauts responsables militaires qui ne dépareraient pas dans la bouche de responsables d’entreprise tels que « thématique de l’efficacité et de l’expertise », « expertise de milieu », « chantiers (de réflexion )». Dans cette évolution, le retour dans le commandement intégré de l’OTAN marque de plus incontestablement une étape.

CONCLUSION

La conclusion de l’ouvrage, brève, récapitule rapidement les moments forts et souligne l’existence désormais incontestée en tant qu’armée à part entière de l’Armée de l’Air au sein des forces françaises.

Cet ouvrage, très dense, fourmille d’informations pour qui a besoin de se pencher sur l’histoire de l’armée, les conflits internes, les oppositions de stratégies, les liens entre politique générale et organisation militaire d’autant plus que cette spécialité nouvelle avait à trouver sa place. Il faut être à la fois spécialiste et bon connaisseur de la chose militaire comme Patrick Facon pour jouer sur autant de registres à la fois. Il est donc dommage, et c’est un défaut relevé dans de nombreuses publications de travaux universitaires que l’appareil critique ait disparu, privant du recours aux références précises et que les indications dans le texte qui permettent de situer telle ou telle déclaration ne peuvent remplacer complètement. De même, la nécessité de limiter le nombre de pages conduit à ne pas toujours indiquer en clair la signification des sigles que le non-spécialiste a du mal à assimiler après une première présentation en toutes lettres. Malgré ces difficultés de lecture, cet ouvrage très complet restera un livre de référence sur le sujet.

Alain Ruggiero
Université de Nice-Sophia-Antipolis