Maxime Michelet Historien, spécialiste de la Deuxième République et du Second Empire. Il est encore le président de la société historique des Amis de Napoléon III ainsi que du Comité d’organisation du Centenaire de l’impératrice Eugénie. Il est l’auteur de : L’Impératrice Eugénie, une vie politique (Le Cerf, 2020), L’Invention de la présidence de la République (Passés/Composés, 2022). se fait ici l’avocat de la défense, dans ce procès en réhabilitation de Napoléon III. Abhorré par les républicains, ce dernier a subi la loi du vainqueur, qui inévitablement réécrit l’histoire à son profit. Ces mêmes républicains sont allés plus loin en vouant l’empereur aux gémonies, son règne et sa propre personne finissant même par être oubliés du plus grand nombre de nos contemporains.

En ne se fondant que sur des éléments purement factuels, Maxime Michelet remet en perspective l’œuvre accomplie par le souverain, mais encore et surtout l’homme, dans son entièreté. En somme, l’auteur réhabilite celui qui, selon Jean Tullard, avait manqué de panache à Sedan, alors que son illustre oncle était ressorti auréolé de gloire à Waterloo.

Le dernier empereur

Dès les premières lignes, Maxime Michelet nous plonge dans l’Angleterre victorienne, à la date funèbre du 9 janvier 1873, à Chislehurst et plus précisément à Camden House, où les trois couleurs du drapeau français sont en berne. L’hôte de cette maison, Napoléon III est mort.

L’empereur disparu, l’auteur retrace l’épopée de celui qui devint le premier président de la République élu au suffrage universel (1848), avant de devenir empereur, après le coup d’État du 2 décembre 1852 et qui vit son règne s’abîmer dans le fracas de Sedan, le 1er septembre 1870.

Libéré après 195 jours de captivité ultra-rhénane à Wilhelmshöhe, l’empereur retrouve sa femme et leurs fils outre-Manche à Camden-Place. Tout en profitant des délices des retrouvailles familiales, cet infatigable séditieux échafaude le projet d’un prochain « retour de l’île d’Elbe », à l’instar de son oncle. Toutefois, ces projets ne peuvent aboutir du fait de la santé déclinante de l’empereur, qui finira par mourir des suites de son opération de la maladie de la pierre.

Alors que la nouvelle de sa mort est accueillie dans l’indifférence générale à Paris, au Royaume-Uni, paradoxalement, elle provoque une immense émotion dont même la presse anti-bonapartiste ne peut que témoigner. Un deuil de dix jours est décrété par la Cour. Plusieurs journaux anglais encadrent de noir leur une, tels le Morning Post ou bien encore le Globe, à l’image des titres bonapartistes parisiens que sont le Pays, le Gaulois et l’Ordre. En Italie, l’émotion est également vive. À Milan, une statue équestre de Napoléon III est même réalisée.

Les funérailles de l’empereur sont l’occasion pour les bonapartistes, de sonder leurs forces. Si la reine Victoria n’assiste pas à la cérémonie funèbre, par souci diplomatique, elle est toutefois représentée par l’héritier au trône, le prince de Galles. Le chiffre de 60 000 personnes, venues assister à la cérémonie, est avancé. En réalité, ce sont près de 30 000 individus qui assistent à la procession funèbre. Ce chiffre est impressionnant, a fortiori pour un souverain déchu et exilé. Si au même moment, des messes sont dites à Paris, pour autant, le gouvernement interdit aux militaires d’actives demeurés fidèles à l’empereur de se rendre outre-Manche pour assister à la cérémonie.

L’empereur mort, la réprobation publique le poursuivra, de génération en génération, jusqu’à détourner les Français de sa personne et maudire jusqu’à sa mémoire.

Napoléon le maudit

Rares sont les nations à rendre hommage à la mémoire du défunt. Les réactions d’hostilité sont nombreuses en Allemagne, en Autriche ainsi qu’aux États-Unis. La presse hexagonale, quant à elle, voit dans la disparation de Napoléon III, celle du bonapartisme.

La presse républicaine, dans son ensemble, condamne ce « criminel », cet « imbécile » éclipsé par la « gloire de l’ordre ». Ces mêmes républicains considèrent que la mort de ce despote sanguinaire — seul responsable à leurs yeux, de la débâcle de 1870 — venge la défaite de Sedan. À l’occasion de la discussion des préliminaires de paix, les membres de l’Assemblée nationale, — à l’unanimité des voix moins celles de seulement 4 élus — votent la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déclarés seuls responsables de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France.

Depuis Wilhelmshöhe, l’empereur déchu ne peut que protester contre un gouvernement sans mandat et s’indigne de cette déclaration injuste et illégale. Dès lors, il se consacre à un travail sur la guerre franco-allemande. Sans chercher à minorer sa responsabilité personnelle, il l’assume pleinement. L’empereur n’a de cesse de le répéter, jamais il n’acceptera d’autre jugement que celui prononcé par la nation régulièrement consultée.

Depuis son exil britannique, sa voix porte moins avant de s’éteindre précocement. L’empereur disparu, il laisse la place à sa légende noire. En France, ses rares partisans sont invités au silence. Émile Ollivier en est le parfait exemple. À l’occasion de son installation comme immortel, sous la coupole de l’Institut de France, caution républicaine de l’Empire libéral, celui-ci se voit refuser par le nouveau pouvoir de rendre hommage au souverain déchu.

Passé de vie à trépas, l’empereur est privé d’hommage national, seul l’opprobre a droit de cité. Son plus virulent contempteur, Victor Hugo, y contribue largement. Comme l’explique fort bien Maxime Michelet, un fossé s’est ouvert entre les deux hommes en 1849. En faisant le choix de s’appuyer sur les conservateurs, le président de la République obligeait le député-poète à s’appuyer sur la gauche parlementaire. N’ayant de cesse de critiquer le chef de l’État, Hugo n’a d’autre choix que de quitter la France au lendemain du coup d’État du 2 décembre, pour un exil qui s’achèvera avec la chute de l’empereur. L’homme de lettres n’aura de cesse de poursuivre l’empereur de sa vindicte, même après la disparition de ce dernier.

Un autre écrivain, Émile Zola, n’est pas en reste et use lui aussi de sa plume, pour juger défavorable le règne de Napoléon III. Dans sa saga des Rougon-Macquart, l’auteur dresse le tableau sans concession, d’une décadence fantasmée du Second Empire. Historien et théoricien du socialisme, Karl Marx voit en Napoléon III, un « personnage médiocre et grotesque ». Pour Maxime Michelet, les mythes hugolien, zolien et marxien constituent les racines d’une légende noire tenace de l’empereur, dont les historiens des XIXe et XXsiècles donneront une image déformée du souverain et de son règne.

Le président parjure

Assurément, le coup d’État du 2 décembre 1851 assombrit l’image de Louis-Napoléon Bonaparte, pourtant triomphalement élu président de la République, avec 75 % des suffrages. Celui-ci a pourtant prêté serment à la Constitution.

Aussi la question de l’inéluctable disparition de cette Deuxième République mérite d’être posée.

Ab initio, cette république est consubstantiellement vouée à disparaître, conséquence logique de la faiblesse de sa Constitution. Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas le fossoyeur de ce régime, mais plutôt celui qui en a hâté l’inéluctable destin. Ainsi, comme le démontre Maxime Michelet, la crise constitutionnelle de 1851 n’est pas l’issue fatale d’une constitution impossible ni le crime irrésistible d’hommes avides de pouvoirs illimités, mais une crise constitutionnelle et profondément politique entre différentes conceptions de la souveraineté populaire. En outre, s’il souhaite rester au pouvoir, Louis-Napoléon Bonaparte n’a d’autre alternative que réformer la nature même du pacte institutionnel.

Sphinx plutôt qu’idiot facile à mener, Louis-Napoléon Bonaparte laisse ses adversaires s’enfermer dans leurs propres erreurs. L’amputation du suffrage universel à près d’un tiers de l’électorat, en mai 1850, est l’élément moteur qui va lui permettre de développer sa rhétorique plébiscitaire. Cependant, il ne peut briguer un second mandant présidentiel. L’édifice de 1848 mécontente l’ensemble de la classe politique, qui aspire à instaurer un autre équilibre constitutionnel.

Plutôt que de laisser l’ensemble des courants politiques s’affronter pour définir l’avenir constitutionnel de la France, Louis-Napoléon Bonaparte, prend la décision de recourir au coup d’État. Celui-ci s’accompagne d’une violente répression : 27 000 personnes sont arrêtées. Parmi elles, 239 sont déportées à Cayenne et 900 autres en Algérie. Cette répression passe pour la plus brutale de notre histoire. Toutefois, en croisant ces chiffres avec ceux des journées de juin 1848 et ceux de la Commune de 1871, nous pouvons relever que celles-ci firent respectivement 4000 et 20 000 victimes !

S’il reconnaît que le coup d’État fut un acte incontestablement illégal, Maxime Michelet considère que Louis-Napoléon Bonaparte en a fait un acte légitime en sauvant la République des conjurations royalistes des menées anarchisantes. Preuve en est selon l’auteur que le président de la République a rétabli la plénitude de la souveraineté populaire en demandant au peuple son arbitrage, dans le respect et les principes plébiscitaires.

Avec 92 % de suffrages favorables — malgré une abstention qui représente près de 20 % du corps électoral — le plébiscite des 20-11 décembre 1851 est assurément l’acte politique qui permet à Louis-Napoléon Bonaparte, d’assurer la continuité de son mandat présidentiel, avant d’installer un nouveau régime : le Second Empire.

Le despote démocrate

Le prince-président entend restaurer le système créé en son temps par son oncle, quand ce dernier était Premier consul. Pour ce faire, il fait adopter une Constitution (1852), qui établit un président de la République nommé pour dix ans, des ministres dépendant de lui seul ainsi qu’un Conseil d’État chargé de préparer les lois. Le pouvoir législatif est double et se compose du Corps législatif, dont les membres sont élus au suffrage universel, qui discute et vote les lois et du Sénat — où se retrouvent toutes les illustres personnes du pays —, véritable gardien du pacte fondamental et des libertés publiques. En somme, cet édifice institutionnel semble cohérent.

Louis-Napoléon Bonaparte s’appuie ainsi sur un État fort, fruit d’un équilibre institutionnel dominé par cette prédominance du pouvoir exécutif, qui écrase toute velléité de parlementarisme du Corps législatif, simple chambre d’enregistrement, dont les membres sont choisis, via le système des candidatures officielles.

Si l’autoritarisme de l’exécutif est incontestable, au regard de la Constitution, la question d’un véritable État policier, institué par Louis-Napoléon Bonaparte est, quant à elle, irrecevable. À l’instar de cette Europe conservatrice du XIXsiècle, le Second Empire est animé d’un véritable souci d’ordre public. Toutefois, le régime impérial n’est pas totalitaire. Il a su importer le modèle britannique d’une police visible dans l’espace public. Trente ans avant l’arrivée du républicain Louis Lépine à tête de la préfecture de police, le régime impérial engage la professionnalisation des policiers, tout en modernisant les relations entre ces derniers et la population.

Si le régime est autoritaire, il n’en tire pas moins sa légitimité du peuple. Aussi se considère-t-il comme démocratique, par cette dimension populaire. Comme le rappelle Maxime Michelet, le Second Empire est l’âge de l’apprentissage du vote, même s’il est vrai, que la question d’élection pleinement démocratique ne correspond pas à l’acception du terme que l’on entend présentement. Nonobstant, malgré les candidatures officielles lors des élections législatives, sont assurément plus démocratiques que les scrutins censitaires des monarchies restaurées.

Malgré son centralisme politico-administratif, le régime impérial est un État de droit. Comme tel, il connaît d’importants débats d’idées et voit les corps constitués que sont : le Conseil d’État, le Conseil privé, le Corps législatif et le Sénat, s’opposer à certaines décisions prises par l’empereur.

Insensiblement, au cours des années 1860, le régime se libéralise tant économiquement que politiquement. Bientôt, le Conseil d’État devient un juge administratif, de plus en plus indépendant et impartial, à l’instar de la magistrature. Inéluctablement, les préfets — agents politiques au service de l’Empire — se muent en agents administratifs de l’État.

Éric Anceau, quant à lui, circonscrit ce nouveau régime à compter du 2 juin 1870 seulement. Il est vrai que dans les mois qui précipitent la chute du Second Empire, l’empereur appelle au pouvoir d’anciens opposants, parmi lesquels Émile Ollivier, dont il fait son chef de gouvernement. Les transports connaissent encore un développement formidable, l’enseignement supérieur se libéralise, enfin Paris, grâce à l’action conjuguée de l’empereur et du baron Haussmann, est littéralement métamorphosée.

Le monarque mondial

Sous son règne, Napoléon III entend redonner à la France, son dynamisme et son rôle actif dans les affaires du monde et de l’Europe. À ses yeux, la France doit être une puissance mondiale. Pour ce faire, l’empereur envoie ses armées combattre en Europe (Crimée, Italie), au Levant (Syrie), en Amérique (Mexique) et en Asie (Chine, Cochinchine).

La politique extérieure de Napoléon III est décriée et l’influence supposée de l’impératrice, montrée du doigt. Cependant, le ministre des Affaires étrangères joue pleinement son rôle. Napoléon III n’use de la diplomatie parallèle qu’à l’occasion de la guerre d’Italie. L’empereur donne à la France une véritable politique extérieure. Par ailleurs, la puissance maritime du Second Empire lui permet de développer une diplomatie axée sur le pourtour méditerranéen.

Napoléon III hérite de la question algérienne, demeurée en suspens. Pour l’empereur, l’« Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe. Les indigènes ont, comme les colons, un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien l’empereur des Arabes que l’empereur des Français ».

Maxime Michelet note que, présente sur toute la surface du globe, la France de Napoléon III assume parfaitement son rôle de puissance globale d’équilibre, face à l’hégémonie anglo-saxonne. L’ambition diplomatique de l’empereur consiste à briser le concert européen hérité du Congrès de Vienne. Contre toute attente, Napoléon III noue une alliance avec la reine Victoria. L’empereur soutient encore les velléités nationalistes — dans les Balkans, en Italie et en Allemagne — qui battent en brèche l’édifice européen de 1815.

Le congrès de Paris (1856) marque le triomphe de la diplomatie française, qui va dominer l’ensemble des chancelleries européennes, jusqu’en 1863. Fort de ce succès, l’ancien carbonaro que n’a jamais cessé d’être l’empereur se consacre à son projet d’unification italienne. Cependant, son allié britannique s’agace et se méfie de la puissance recouvrée par la France. Diplomatiquement isolée après l’échec militaire de ses troupes au Mexique, la France entre inéluctablement dans une période de rééquilibrage international, la Prusse prenant sa suite.

Le scandale de Sedan

En 1953, Marcel Prelot écrivait : « Au fond, la seule chose qu’après sa chute, personne ne pardonna à Napoléon, ce fut la défaite ». En effet, comme l’analyse fort bien Maxime Michelet, la défaite de Sedan consacre le rêve de Bismarck, d’unité allemande. Le chancelier de la confédération de l’Allemagne du Nord entend, par ce conflit, unifier, autour de la couronne prussienne, les États allemands du Nord, tout en excluant l’Autriche de cette unité germanique en construction.

L’insuffisance de la réorganisation structurelle de l’armée française est patente, durant les dernières années du règne de Napoléon III. Celui-ci est bien conscient des périls qui menacent le pays. Il sait que face aux responsabilités des failles militaires, l’éventualité d’un conflit armé face au voisin ultra-rhénan conduirait à une inéluctable et brutale défaite.

Pleinement conscient de la faiblesse de ses armées, l’empereur fait toutefois preuve de naïveté face au « chancelier de fer ». En effet, la question de la succession d’Espagne permet à Bismarck de trouver avec la France, l’agresseur qui lui permettra de faire l’unité de l’Allemagne. Face à une opinion publique chauffée à blanc, qui réclame la guerre et crie : « À Berlin ! », l’empereur consent à contrecœur à déclarer la guerre à la Prusse.

Esseulée, face à une Prusse supérieure à elle militairement, la France ne peut compter que sur elle-même, les gouvernements russe et britannique ayant fait le choix de ne pas rentrer dans le conflit armé. Les chancelleries européennes n’ont pas conscience du risque de déséquilibre, que représente une Allemagne unifiée, pour le vieux continent.

Au-delà du désastre militaire, cette guerre franco-prussienne a surtout pour effet dévastateur pour l’empereur d’avoir été perdue avec la même soudaineté que celle perdue par l’Autriche, face à cette même Prusse, quatre ans plus tôt. L’empereur vaincu regrette de ne pas avoir pu mourir auréolé de gloire, à la tête de ses troupes.

Pour autant, s’il capitule, Napoléon III n’appelle pas à la fin des hostilités. Désormais prisonnier de guerre, celui-ci n’offre à l’ennemi que la capitulation de ses troupes et non de celle du pays, auquel il permet de poursuivre le combat. Maxime Michelet considère que, sans cette abdication de facto, jamais la constitution du gouvernement de Défense national et in fine, la proclamation de la République, n’auraient été possibles.

Le prince de la prospérité

Les réalisations sociales, et surtout économiques, du Second Empire, font consensus. En effet, grâce à sa politique cohérente et volontariste, l’empereur est parvenu à faire entrer la France de plain-pied, dans la modernité économique et sociale.

L’expansion du chemin de fer est l’un des accomplissements majeurs du règne de Napoléon III. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1851, la France ne comptait que 3500 kilomètres de réseaux contre 10 000 kilomètres pour le Royaume-Uni. À la fin du règne, ce sont 17 000 kilomètres de voies ferrées qui parcourent la France.

Les grands ports métropolitains connaissent eux aussi une période d’intense modernisation, à l’instar du Havre, de Bordeaux, de Nantes, ou bien encore de Marseille, dont Napoléon III souhaite faire la capitale de la Méditerranée.

Le réseau routier n’est pas en reste. En effet, l’empereur poursuit l’œuvre initiée par la Monarchie de Juillet. Le réseau télégraphique, lui, connaît un bond exceptionnel, qui modifie considérablement la perception du monde, des espaces et des distances. Avec l’amplification des échanges de marchandises, d’hommes et d’informations, la France entre pleinement dans l’ère de la communication moderne.

Comme l’avance Maxime Michelet, la politique économique du Second Empire est due avant tout, à la volonté ardente de modernisation de l’empereur qui, entouré d’hommes partageant ses opinions (Morny, Persigny ou bien encore les frères Pereire), a su bénéficier des fruits d’une bonne conjoncture économique mondiale.

Pour moderniser ses outils de production, généraliser les machines à vapeur tout en recherchant de nouvelles techniques de production sidérurgique, le régime sait qu’il lui faut mobiliser d’importants capitaux. Aussi la grande ambition du règne de Napoléon III est de démocratiser les banques. Pour ce faire, celles-ci doivent se réformer et se démocratiser, notamment en acceptant les fonds des épargnants les plus modestes. Le Second Empire voit la création de nombreuses banques. C’est sous le Second Empire que se constituent : le Crédit industriel et commercial (1859), le Crédit Lyonnais (1863) ou bien encore la Société Générale (1864).

Le dynamise économique de la France s’appuie également sur une législation favorable à l’esprit d’entreprise. Tout est organisé pour libérer les énergies économiques, industrielles et commerciales. En effet, l’empereur est attaché à l’abandon des traditions protectionnistes et négocie en 1860, un important traité de libre-échange avec le Royaume-Uni.

Cette période de modernisation et de dynamisme économique bénéficie au monde rural, qui représente encore les deux tiers de la population française. Les salaires des classes ouvrière et précaire augmentent régulièrement, tout au long du règne. Cependant, la deuxième moitié du règne voit ce dynamisme ralentir, conséquence immédiate de la guerre de Sécession qui fait rage outre-Atlantique. Cette stagnation économique conduit au retour au pouvoir de financiers orthodoxes et de la discipline budgétaire. Malgré cela, la vitalité du règne de Napoléon III voit le produit intérieur brut de la France doubler entre 1852 et 1870.

La passion du progrès

Maxime Michelet rappelle quelles lectures, sociales et socialisantes, eut le futur chef de l’État, notamment durant sa captivité au fort du Ham. Nonobstant, le futur Napoléon III n’est pas socialiste, mais bonapartiste saint-simonien.

L’empereur et son épouse ont une réelle dimension charitable et paternaliste. Ce trait de caractère est formidablement mis en lumière par Denis Hannotin, dans son Enquête sur certains comptes privés de Napoléon III, ouvrage formidablement documenté. Ainsi le couple impérial est-il à l’origine des asiles impériaux de Vincennes et du Vésinet ou bien encore de nombreux orphelinats. La politique sociale de l’empereur ne se limite pas à la charité.

En effet, de nombreux textes pionniers, dans le domaine des droits sociaux des travailleurs, sont adoptés. Les premiers accords de microcrédit aux travailleurs apparaissent, tout comme la prévoyance. Napoléon III s’intéresse encore à la question des retraites.

Soucieux d’apaiser les relations internes au monde du travail, l’empereur parvient à réformer l’organisation des Prud’hommes, afin d’en faire de véritables outils de conciliation entre les salariés et leurs patrons. Enfin, le Second Empire promeut encore l’extension de l’enseignement, notamment avec la création de facultés à Nancy, Clermont-Ferrand ou bien encore Marseille. En 1866 est installée l’École pratique des hautes études (EPHE).

À travers ces progrès sociaux, qui sont à porter au crédit du Second Empire, Maxime Michelet entend battre en brèche la caricature du règne obscurantiste Napoléon III, propagée par la République, née sur les décombres du régime honni. En outre, aucun héritage n’est plus représentatif de ce règne de modernisation et de progrès que l’exceptionnelle transformation de Paris. Forte de 500 000 âmes en 1801, la capitale étouffe cinquante ans plus tard, avec plus d’un million de Parisiens. L’ampleur des travaux est telle que l’on parle de Paris haussmannien. Maxime Michelet pour sa part avance l’idée de changer de formule et de parler plutôt de Paris louis-napoléonienne.

Louis-Napoléon retrouvé

Libérer l’histoire du Second Empire n’est pas chose aisée. Sa légende noire, forgée par les vainqueurs républicains au lendemain de sa chute, est longtemps restée prégnante. C’est au cours du XXsiècle que se produit la mutation de la mythologie en récit historique. Les condamnations de Hugo, de Zola et de Marx sont alors battues en brèche par un certain nombre d’historiens.

En effet, si au début du XXsiècle, Louis-Napoléon Bonaparte demeure un chef d’État haï. Pourtant peu favorable au Second Empire, l’historien Ernest Lavisse engage un travail de réhabilitation de Napoléon III, lui reconnaissant d’avoir fait progresser en enrichi la France. Deux autres historiens : Pierre de La Gorce et Charles Seignobos, lui reconnaissent eux aussi certaines réalisations importantes. Au lendemain du second conflit mondial, Napoléon III est toujours un personnage sulfureux. Cependant, le retour de l’Alsace-Moselle en 1918, puis la débâcle de 1940 vont relativiser le désastre de Sedan.

En le comparant aux dictatures fasciste, hitlérienne et stalinienne, le régime de Napoléon III assurément libéral, face à ces idéologies totalitaires. Dès lors, la voie de la réhabilitation du Second Empire est désormais ouverte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, nombre de thèses consacrées au Second Empire fleurissent. La Cinquième République consacre le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, réacclimatant la France aux principes bonapartistes.

Les années 1970 et 1980 marquent un nouveau tournant de l’historiographie du Second Empire. De très nombreux ouvrages consacrés à Napoléon III et à son règne sont publiés. Un très grand nombre de travaux universitaires, sur les institutions du Second Empire, sont initiés. Cette dynamique de réhabilitation se poursuit dans les années 1990, avec Philippe Séguin, qui signe un ouvrage intitulé Louis-Napoléon le Grand, contre-pied parfait au Napoléon le Petit commis par Victor Hugo.

Au-delà de la réhabilitation de l’empereur, les historiens se penchent sur sa politique sociale, qu’ils défendent, mais aussi sur la nature politique du Second Empire qu’il a instauré, traçant alors de nombreux parallèles avec le gaullisme. La thèse qu’a consacré Francis Choisel au Bonapartisme et Gaullisme, sous la direction de Jean Tullard, en est l’exemple le plus flagrant.

Les années 1990 sont également marquées par les thèses consacrées aux institutions, au personnel politique et administratif du régime instauré par Louis-Napoléon Bonaparte. Ces travaux se poursuivent dans les années 2000 et voient un mouvement historiographique majoritairement favorable au Second Empire. Les nombreuses thèses, qui voient le jour, contribuent à éclaircir de nombreux aspects encore insoupçonnés de l’empereur et de son règne.

Conclusion

Louis Pasteur écrivait : « Son règne restera comme l’un des plus glorieux de notre histoire ». Cependant, Napoléon III a durant de longues décennies, littéralement disparu de notre conscience collective, victime de la légende noire, forgée par les républicains.

Maxime Michelet pointe du doigt notre mémoire collective, qui selon lui, souffre d’un syndrome traumatique lié à la Seconde Guerre mondiale, qui semble désormais constituer un écran au-delà duquel les références historiques et mémorielles sont bien souvent incompréhensibles au plus grand nombre.

Toujours selon l’auteur, la réhabilitation de Napoléon III obéit tout d’abord à une nécessité de justice. En effet, le travail de l’historien consiste à faire fi de la mythologie hugolienne et de toute sa progéniture idéologique, afin par un travail scientifique, de balayer les légendes noires et parvenir, in fine, à une réhabilitation du Second Empire et de son souverain, en ne se fondant que sur des faits.

En outre, Maxime Michelet a cette phrase ô combien juste quand il considère que la France est l’héritière « d’une succession de siècles d’audaces souvent, d’errements parfois, de mouvement toujours » ! La France est effectivement un tout, elle est la fille de ses rois, de ses empereurs et de ses Républiques. L’auteur de ce formidable Napoléon III, la France et nous, conclut en écrivant que la France doit être capable d’assumer ce qu’elle fut, pour mieux continuer d’espérer ce qu’elle doit être et devenir ce qu’elle veut devenir.