François Cochet est universitaire, spécialiste de la Grande Guerre, de l’expérience combattante et des aspects militaires (voir son ouvrage Armes en Guerre). Il s’est à nouveau associé au colonel Rémy Porte, auteur de nombreuses études sur la Grande Guerre. Tous deux nous livrent un ouvrage en 3 parties qui après nous avoir présenté l’évolution de l’armée dans son ensemble, s’intéresse aux hommes qui la composent à travers la diversité de leurs situations et de leurs relations. Enfin, la dimension matérielle du conflit fait l’objet de la troisième partie de l’ouvrage.
Une armée qui s’adapte pour gagner
Les millions de combattants mobilisés font partie d’un ensemble qui est loin d’être uniforme et dont l’organisation comme la composition doivent s’adapter aux nouvelles caractéristiques du conflit. C’est toute la structure pyramidale de l’armée qui évolue, depuis l’unité de base qu’est la section, jusqu’aux créations nouvelles que sont les groupes d’armée. Il faut encadrer les effectifs et services. C’est ainsi que se forge l’outil qui va permettre de remporter la victoire. Les unités dont la taille change pour tenir compte de la crise des effectifs et des progrès des armements Les effectifs des compagnies d’infanterie passent de 240 hommes en 1914 à 175 hommes en 1918, mais la puissance de feu des 175 hommes de 1918 est largement supérieure à celle des 240 de 1914. La montée en puissance des nouveaux armements et la guerre de position entraînent la diminution du rôle de la cavalerie et la montée en puissance du génie, de l’artillerie…
Il faut donc également développer et étoffer les services comme les états-majors qui doivent être capable d’assurer les liaisons entre tous les échelons et assurer une coopération interarmes de plus en plus importante. Il en est de même de services comme l’intendance ou le service de santé qui s’adaptent aux besoins de la guerre moderne. Les auteurs s’attachent à la compréhension des divers processus qui aboutissent à ces évolutions. Qu’il s’agisse des remontées du terrain vers les Etats-majors, de diffusions latérales entre unités ou des instructions officielles venus du sommet. Démarches empiriques et théories savantes se combinent pour donner naissance à une doctrine d’emploi des forces.
Des hommes au combat
L’étude des hommes qui composent l’armée aborde les points qui font souvent l’objet d’un débat mémoriel important comme le rôle de l’obéissance et la question des mutineries. Mais les auteurs s’interrogent aussi sur ce qui fait qu’un général va être considéré comme « bon » ou « mauvais ». C’est l’occasion de dépassionner les débats et de porter un regard scientifique sur ces questions du rapport des hommes au commandement et d’exposer la difficulté à évaluer les performances des uns ou des autres, pour comprendre pourquoi ces décisions ont été prises à cet instant précis. Mais à la guerre l’impact des décisions a des conséquences humaines immédiates et dans une démocratie comme la France, les généraux ont des comptes à rendre aux politiques. Le rôle de ceux-ci dans la désignation des officiers occupant les postes importants n’est donc pas oublié.
Enfin cette armée est de plus en plus moderne. Partout la technologie se diffuse et de nouveaux services font leur apparition : renseignement, météorologie, train….L’infanterie représentait 67% des effectifs en 1914, elle n’en représente plus que 45% en 1918 alors que la part des artilleurs passe de 16 à 26% durant la même période. En fonction de l’arme, l’expérience combattante comme les taux de pertes varient. Beaucoup des artilleurs combattants n’auront connu que l’arrière-front. Vient s’ajouter la foule des non-combattants : personnels de santé, de l’intendance, des services de camouflage, personnels au sol de l’aviation… La proportion de ceux-ci dans la mémoire collective comme dans les travaux savants reste faible pourtant leur contribution est indispensable au succès.. Il en est de même des marins dont on ne retient que les faits d’armes d’une minorité à Ypres en 1914 et les déboires des autres dans les Dardanelles. La mémoire laisse de côté le quotidien obscur mais utile de ceux qui escortent les convois ou assurent le blocus.
Des moyens matériels au cœur de la victoire
A travers quelques exemples choisis par les auteurs on perçoit l’importance des matériels. Pour chaque on va avoir la description du processus aboutissant à sa mise en service et une approche des effets. Avec bien sûr le rôle de la mitrailleuse, arme connue avant-guerre, mais dont les effets ont brisé bien des attaques. Mais aussi de la grenade, bien plus employée dans la guerre de tranchée que la mythique baïonnette. Avec, à chaque fois, des armes dont l’emploi tactique évolue, ce qui entraîne une modification de la composition des sections d’infanterie.
L’adaptation de l’armée aux nouvelles formes de combat est nécessaire. La réaction face aux innovations allemandes comme le lance-flamme ou les gaz est rapide. On s’approprie ces armes offensives et on met au point des parades. Mais il y a des domaines où l’armée française est innovante, notamment ceux de l’aviation et surtout des chars d’assaut. Seule la marine reste à l’écart.
Mais il ne s’agit pas d’un catalogue, ces exemples permettent de découvrir le fonctionnement d’une économie de guerre, avec l’importance des personnels affectés à la fabrication, la conception. Mais aussi de mieux percevoir les querelles doctrinales sur l’emploi des matériels et les rapports de force entre services qui peuvent accélérer ou freiner l’entrée en service de tel ou tel matériel.
Conclusion
D’une lecture aisée grâce au style des auteurs, l’ouvrage traite de l’aspect militaire du conflit sans tomber dans l’histoire bataille. Il permet de comprendre comment s’est forgé cet outil exceptionnel qu’est l’armée de 1918. Un outil tellement performant et sûr de lui qu’il va en oublier d’évoluer durant l’entre-deux-guerres. Dans leur démonstration François Cochet et Rémy Porte éclairent le mode de fonctionnement de l’institution militaire, avec ses besoins, ses réalités parfois éloignés du souvenir que veut en donner la mémoire collective, ses succès mais aussi ses échecs et problèmes ce qui évite à l’ouvrage de tomber dans l’hagiographie.